"On ne s'attaque pas au burn-out, mais aux troubles psychiques liés au travail"

"On ne s'attaque pas au burn-out, mais aux troubles psychiques liés au travail"

01.02.2018

HSE

Aujourd'hui, François Ruffin défendra à l'Assemblée sa proposition de loi visant à créer un nouveau tableau de maladie professionnelle pour instaurer une présomption d'imputabilité pour les troubles psychiques liés au travail – et engendrés par ce que l'on appelle plus globalement l'épuisement professionnel. Le texte a peu de chances d'aller plus loin.

"Il ne s'agit pas pour moi de faire reconnaître le burn-out comme maladie professionnelle, tout simplement parce qu'il n’est pas reconnu comme une maladie. En revanche, on sait que le burn-out engendre des troubles psychiques", a essayé de défendre le député de la France insoumise François Ruffin devant la commission des affaires sociales, la semaine dernière. Il y présentait une proposition de loi visant à créer un nouveau tableau de maladie professionnelle qui intégrerait ces troubles psychiques engendrés par l'épuisement professionnel.

Au bout de plus de deux heures de débats, son texte a été rejeté par la commission. Il revient cependant aujourd'hui, jeudi 1er février 2018, cette fois dans l'hémicycle, pour être examiné en séance publique. 

Comment ce tableau fonctionnerait-il ?

Un tableau permet, pour toute autre maladie professionnelle, de mettre en place une reconnaissance quasi-automatique, grâce à la présomption d'imputabilité de la pathologie au travail, à partir du moment où les conditions définies par le tableau sont remplies. Chaque tableau s'organise en trois niveaux de conditions : la ou les pathologies, puis le "délai de prise en charge", c'est-à-dire le délai entre la cessation de l'exposition au risque supposé être à l'origine de la maladie et la constatation de celle-ci, et enfin la "liste limitative des travaux susceptibles de provoquer ces maladies"

"C'est mieux pensé que tout ce qui avait été proposé jusqu'à présent", commentait il y a quelques jours Marine Jeantet, directrice des risques professionnels à la CnamTS. Selon le tableau que propose le député, la dépression, l'anxiété généralisée et le stress post-traumatique pourraient donc bénéficier de la présomption d'imputabilité. Il s'agit des trois affections psychiques déjà reconnues aujourd'hui comme maladies professionnelles par les CRRMP (comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles). Sur 596 affections psychiques reconnues en 2016, 460 étaient des dépressions, 68 des troubles anxieux, 65 des états de stress post-traumatiques. Le délai de prise en charge (entre l'exposition et la constatation) serait de 6 mois. 

Quant à la "liste des travaux", François Ruffin propose de parler d'une "exposition à une organisation pathogène du travail" et énumère 8 critères : "des exigences liées au travail trop importantes" (surcharge de travail, etc.), des "exigences émotionnelles importantes", un "manque d'autonomie dans son travail", de "mauvais rapports sociaux et mauvaises relations de travail", des "conflits de valeur et travail empêché", une "insécurité de la situation de travail (changements organisationnels, déménagements, incertitudes sur l'avenir, précarité du contrat)", un "engagement individuel poussé à l'extrême", du "harcèlement moral"

Manque de définition et facteurs personnels

Premier argument de rejet de la proposition de loi, utilisé en commission par plusieurs députés : la définition médicale du burn-out. "Avant de prévoir un tableau – réponse sans doute aisée, mais peut-être un peu simpliste –, il nous paraît nécessaire de définir ce qu’est le burn-out dans des termes médicaux précis", s'est opposé Stéphane Viry, député LR des Vosges. François Ruffin n'a pas réussi à convaincre en expliquant que ce n'est pas la reconnaissance du burn-out lui-même qui est demandée. 

 

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Second argument récurrent : comment faire la part entre les facteurs professionnels et personnels qui mènent à l'épuisement ? Un argument qui ne concerne pas que les maladies psychiques, rétorque François Ruffin, citant le plomb, l'amiante ou la silicose. "Pour ces maladies également, le patronat a longtemps argué que les causes étaient multifactorielles – liées à à la consommation de tabac ou d’alcool – et n’avaient rien à voir avec le fait que les mineurs allaient à la mine ! La silicose du XXIe siècle ne se situe plus dans les poumons, mais dans les cerveaux." 

Abaisser le taux d'IP à 10% 

Les députés Nouvelle gauche n'ont pas été davantage convaincus. Régis Juanico (Nouvelle gauche, Loire) dit lui aussi partager les objectifs de la proposition de loi, mais diverger sur les modalités. Il était autrefois (sous la précédente majorité) aux côtés de Gérard Sebaoun et de Benoît Hamon (qui ne sont plus députés). Il a même été le porte-parole de Benoît Hamon lors de la campagne présidentielle, lequel a durant plusieurs années martelé qu'il n'y a pas de reconnaissance de l'épuisement professionnel en France et qu'il faut soit faire un tableau, soit supprimer ou abaisser le taux d'IP (incapacité permanente) qui déclenche le transfert des dossiers de demande vers les CRRMP. 

 

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Le seuil d'IP est actuellement fixé à 25%. L'abaisser est la solution aujourd'hui portée par Régis Juanico : "modifier la procédure de reconnaissance complémentaire, hors tableau, en expérimentant l’abaissement du seuil de 25 % d’incapacité permanente, pour assurer la possible reconnaissance du burn-out au taux de 10 %". C'était la conclusion de la mission d'information menée début 2017 par Yves Censi, alors député LR, et Gérard Sebaoun, même si, écrivaient-ils, "abaisser ou supprimer ce taux pour les seules maladies psychiques serait inéquitable". Leur rapport avait été approuvé à l'unanimité par l'ancienne commission des affaires sociales, dont certains membres siègent toujours. 

Stéphane Viry, parlant le 24 janvier pour tout le groupe LR, s'est positionné pour "renforcer les moyens des CRRMP" – ce qu'avait en son temps timidement tenté de faire François Rebsamen ministre du travail, sans le soutien de la droite – et "d’expérimenter la possibilité de réduire de 25 % à 10 % le taux d'incapacité permanente partielle autorisant cette reconnaissance". Gilles Lurton (LR, Ille-et-Vilaine) et lui présenteront aujourd'hui un amendement demandant au gouvernement d'en étudier la possibilité et d'en faire un rapport au Parlement. Amendement similaire à gauche. 

 

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• Reconnaissance du burn-out : et si on baissait le taux d'incapacité à 10% ?

 

Est-ce au gouvernement ou au Coct de faire un tableau ?

"Les tableaux actuels de maladies professionnelles sont établis par consensus entre partenaires sociaux, rappelle Élisabeth Toutut-Picard (LREM, Haute-Garonne). Pensez-vous vraiment que c’est au législateur et au gouvernement de dire ce qui est une maladie ou ne l’est pas et quelles pathologies doivent être reconnues comme maladies professionnelles ?". En effet, si un nouveau tableau nécessite la parution d'un décret, signé par le gouvernement, tout se joue en réalité au sein au sein de la commission du Coct (conseil d'orientation sur les conditions de travail) chargée de créer et réviser les tableaux de maladies professionnelles. 

Chaque modification est l'aboutissement d'une négociation, avec des compromis et des mécanismes de "donnant-donnant" qui permettent de maintenir l'équilibre, comme on a pu récemment le constater à propos de la réparation des articulations abîmées par les TMS (troubles musculo-squelettiques). Un passage en force du gouvernement, s'il est théoriquement possible pourrait déséquilibrer un dialogue social qui fonctionne aujourd'hui assez bien pour piloter la branche AT-MP. Le vœux d'inscrire la reconnaissance des pathologies psychiques dans un tableau pourrait finir par être exaucé, mais cela pourrait être au détriment d'autres tableaux, notamment sur les TMS. Marine Jeantet, à la CnamTS, a plusieurs fois souligné ce risque.

La majorité renvoie à la mission Lecocq

Du côté de la majorité, les amendements de rejet sont prêts (amendements 14, 15 et 16). Ils supprimeront tour à tour chacun des trois articles de la proposition de loi, pour éviter de marquer une opposition formelle à l'ensemble du texte. "La majorité est sensible à ces enjeux", répètent les signataires LREM. Mais ils préfèrent, avec le soutien du groupe UDI et Modem,  renvoyer au renforcement de la prévention via la sensibilisation des chefs d'entreprise. 

Se dédouanant de tout attentisme, les députés LREM misent sur la mission confiée à Charlotte Lecocq. Ses conclusions "aboutiront à des préconisations qui permettront de mieux appréhender les troubles psychiques et les maladies professionnelles", assure Guillaume Chiche, alors que la mission ne doit pas expressément s'occuper de cette question, selon la lettre de mission envoyée par le premier ministre. 

 

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"Cela doit être clair avant notre passage dans l'hémicycle : nous ne souhaitons pas la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle [...], ce n'est pas à lui qu'on s'attaque, mais aux troubles psychiques liés au travail, pour la plupart issus du burn-out et clairement caractérisés", a une énième fois prêché François Ruffin devant la commission des affaires sociales. Cela n'était sans doute pas la dernière, la phrase devrait à nouveau résonner en séance publique aujourd'hui.

HSE

Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Élodie Touret
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