Qualités requises pour engager la responsabilité d'une personne morale : toujours une interprétation stricte de l'article 121-2 du code pénal

10.11.2017

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La responsabilité d'une société ne peut être engagée que s'il est démontré que l'auteur de l'infraction en est un organe ou un représentant

La chambre criminelle de la Cour de Cassation maintient sa jurisprudence : il est nécessaire que l’organe ou le représentant agissant pour le compte de la société soit identifié pour retenir la responsabilité de la personne morale

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Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement. 

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Première affaire : absence de mise à disposition d’équipements de travail préservant la sécurité lors de travaux en hauteur

Une société est condamnée, pour infraction à la réglementation sur la sécurité des travailleurs, à 3000 euros d’amende et, pour contravention de blessures involontaires, à 5 000 euros d’amende. Il lui était reproché  de ne pas avoir mis à disposition de ses salariés, pour des travaux temporaires en hauteur, des équipements de travail préservant  leur sécurité.  Au moment de l’accident,  deux salariés faisant une chute de plus de huit mètres de haut, suite à l’effondrement d’une toiture, les victimes marchaient sur des platelages (rails de sécurité) qui reposaient directement sur la couverture et non sur des traverses, ce qui ne pouvait suffire à supporter le poids de quatre personnes, avec en outre le poids extracteur estimé à 70 kg. Par ailleurs, aucune des victimes ne portait de harnais stop-chutes, ceux fournis par la société étant en nombre insuffisant. Enfin, et surtout, aucun  filet de protection anti chute n'avait être installé, alors même, qu’au début de ce chantier, l’inspection du travail et le responsable de sécurité de l'entreprise, avaient décidé qu'il en soit installé un. Les manquements aux normes de sécurité étant incontestables, la question était de savoir s'ils pouvaient être imputés à une personne possédant une des qualités requises pour engager la responsabilité d'une personne morale.

Les juges du fond avaient pensé que oui, en condamnant Franck D., cogérant, qui avait représenté la société tout au long de l'instance. Ils s'appuyaient sur les dispositions de l'article 706-43 du code de procédure pénale, selon lequel l'action publique est exercée à l'encontre de la personne morale prise en la personne de son représentant légal à l'époque des poursuites. Mais, en se prononçant ainsi, ils faisaient une confusion entre deux moments distincts : la commission des faits et l'engagement des poursuites. Il est possible, en effet, que celui qui représente la société devant le tribunal n'ait acquis cette qualité qu'après la réalisation de l'infraction. Or, sur le terrain de l'article 121-2 code pénal, c'est au moment des faits qu'il convient de se placer, comme c'est le cas pour tous les éléments constitutifs de l'infraction, pour vérifier que l'auteur est un organe ou un représentant de la personne morale. En l'espèce, un simple rappel de la chronologie suffisait à montrer en quoi la décision des juges du fond  posait problème.

Le 13 août 2012, date de l'accident, le prévenu avait la qualité de directeur salarié, cela  depuis le 1er janvier 2008. Le 21 juin 2013, en vertu d’une délibération de l’assemblée générale ordinaire de la société, il a été nommé en qualité de co-gérant de la société, à compter du 15 juin 2013. Le 16 janvier 2015, la société a été citée devant le tribunal correctionnel d’Agen par acte d’huissier du 19 novembre 2014.

Ainsi, c'est bien après la réalisation des faits que Franck D. avait acquis la qualité de représentant de la société. Au moment de l'infraction, il était simplement directeur salarié de l'entreprise, ce qui ne lui conférait pas la faculté d'engager, par son action, la responsabilité pénale de celle-ci. A moins de démontrer qu'il était titulaire d'une délégation de pouvoirs en matière d'hygiène et de sécurité du travail, puisque la jurisprudence reconnaît la qualité de représentant au délégataire. Les juges du fond n'ayant pas effectué une recherche en ce sens, leur décision est cassée.

Seconde affaire : manquement à une obligation de sécurité lors des opérations de coordination des travaux sur un chantier

Sur un chantier, l’effondrement d’une dalle de béton a causé la mort de deux ouvriers, deux autres étant grièvement blessés.  Une société et plusieurs personnes physiques ont été poursuivies pour homicides et blessures involontaires. La première a été reconnue coupable de ces délits, a fait appel, et, sur confirmation du jugement, se pourvoit en cassation. Ayant désormais renoncé à ce que la responsabilité pénale d'une personne morale puisse être engagée sur la base d'une simple présomption de la qualité d'organe ou de représentant chez l'auteur des faits, la chambre criminelle n'hésite pas à censurer les décisions qui n'établissent pas de manière précise et certaine que ce dernier avait bien l'une de ces deux qualités. Cet arrêt en est  aussi une illustration.

Il faut savoir que la mission de la société mise en cause était d'organiser la coordination des travaux, sur un chantier faisant intervenir plusieurs sociétés, en vue  de prévenir les risques résultant de leurs interventions simultanées ou successives. Or, au moment de l'accident, deux entreprises au moins intervenaient sur le site, ce qui permettait de dire que l'on était bien en situation de co-activité, et que l'opération entrait dans le champ de compétences de la société.

Quelques jours avant l'accident, un préposé,  ingénieur et coordonnateur de sécurité, de cette société avait effectué une visite du  chantier,  à l'occasion de laquelle il avait noté que, celui-ci étant d'une hauteur dépassant 6 mètres, une obligation spéciale de sécurité s'imposait, notamment un plan de montage et une note de calcul pour la conception et la construction des étaiements. S'il n'avait pas la compétence pour décider, lui-même, des mesures les plus appropriées à adopter, il existait au sein de la société un ingénieur, également dédié à ce chantier, auquel il aurait pu s'adresser ; ce qu'il n'avait pas fait. Au final, ce préposé  n'avait pas vérifié  l'existence réelle d'une note de calcul des charges, comme cela était rendu nécessaire par la réglementation en ce domaine (art. L 4121-2 et L 4531-1 code du travail) et n'avait pas attiré l'attention des intervenants sur ce manquement à une obligation de sécurité. Or ce manquement était en grande partie à l'origine de l'accident. A partir de là, les juges du fond, estimant que le préposé  était  intervenu pour le compte et dans l'intérêt de la société, avait retenu la responsabilité pénale de cette dernière, en soulignant que peu importait que ce salarié n'ait pas été investi d'une délégation de pouvoirs. C'est cette dernière affirmation qui a entraîné la censure de la chambre criminelle. Elle rappelle, en effet, que seul un salarié ayant reçu une délégation de pouvoirs, de droit ou de fait, et pourvu de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires, peut se voir reconnaître la qualité de représentant au sens de l'article 121-2 du code pénal.

Philippe Pouget
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