« J'ai plein de choses à dire »

« J'ai plein de choses à dire »

23.06.2017

Action sociale

Notre série « A voix haute » veut donner la parole à ceux qui n'ont longtemps pas eu voix au chapitre : "usagers", "bénéficiaires", ou encore "personnes accompagnées"... Agathe est une femme pétillante de 37 ans, préoccupée du bien-être des autres. Témoigner ? : « Évidemment que je suis d'accord. J'ai plein de choses à dire et je crois que c'est important qu'on nous écoute. »

Agathe a effectivement pas mal de choses à raconter. Elle comptabilise 12 années en foyer, tout juste un tiers de sa vie. Son regard sur l'institution et les travailleurs sociaux qui la font vivre est fin et précieux. C'est elle seule qui prend la décision, alors âgée de 25 ans, de quitter la maison familiale pour vivre en foyer : « Je voulais être autonome et rencontrer de nouvelles personnes ».

Une première expérience chez les soeurs

Son premier foyer sera une institution religieuse, tenue fermement par des sœurs catholiques. « Elles nous faisaient faire beaucoup de ménage. Certains week-ends on ne pouvait pas rentrer chez nous, on devait rester s'occuper du foyer. On me faisait laver les escaliers, les cendriers aussi, alors que je n'aime pas du tout cela car je ne fume pas. ». Le ménage débute dès le petit matin, après un réveil fixé à 7 heures. Parfois, les tâches ménagères exigées par les sœurs la mettent en retard à son travail : Agathe est employée dans un établissement et service d'aide par le travail (Esat), elle travaille dans l'étiquetage. « Les employeurs savaient très bien ce que nous demandaient les sœurs, donc ils ne nous engueulaient pas quand on était en retard... » 

Les journées d'Agathe sont régies par un emploi du temps saturé et figé, qui laisse peu de place aux loisirs. Elle ne met cependant pas l'ensemble du personnel dans le même bateau : « Il y avait une sœur que j'aimais énormément. Mais la cheffe, j'avais du mal avec elle. Elle était très sévère. Une fois, par exemple, alors que je lui demande un chocolat, elle me répond ''tu ne manques de rien, tu n'as pas besoin de chocolat''. J'étais choquée. »

Un compagnon depuis 10 ans

Agathe décide de changer de foyer. Conseillée par une amie, elle postule dans une structure réputée plus progressiste. « Ils m'ont posé plein de questions pour savoir pourquoi je voulais changer. La psychologue m'a demandé si c'était pour fuir l'autre foyer. ». Agathe, toujours mesurée et optimiste, répond : « Non, c'est pour vivre autre chose, plus sereinement. En plus ici c'est mixte, on peut être amoureux. » Elle sourit. Agathe a rencontré son compagnon au foyer. Ils sont ensemble depuis dix ans. « Je suis très heureuse d'être avec mon chéri là-bas. On a chacun une chambre mais lui il a un grand lit, donc je vais dans la sienne. C'est très important pour moi qu'on puisse être ensemble. On est amoureux, comme tout le monde ! »

Le changement de foyer est radical : « On a plus de liberté, on peut sortir le soir, c'est mixte, on est seulement 31 résidents. Dans l'autre foyer on était une centaine. Ici c'est quand même plus humain. » La relation avec les éducateurs est globalement très bonne. « Ils savent écouter, ils ne s'énervent pas souvent, ils savent comprendre les angoisses qu'ont les gens comme moi. Ils connaissent tout ça, ils ont fait des formations. »

Des éducateurs pris par l'administratif

Elle pointe tout de même le manque de temps, parfois, qu'ont les éducateurs à leur consacrer. En creux, on devine les transformations du travail social et le dangereux glissement vers le tout-administratif : « Ils ont des tas de trucs à faire : des écrits, des synthèses. Ça prend du temps ! Or un bon éducateur c'est quelqu'un qui prend le temps de comprendre pourquoi on est triste. Je n'aime pas quand ils disent ''je n'ai pas le temps''. Mais je sais qu'ils ont protesté auprès de la direction, en disant qu'ils ne pouvaient pas tout faire : les fichiers, les synthèses, c'est long. » 

A part cela, Agathe est ravie de ce nouveau foyer : « C'est tout neuf, les chambres sont grandes, les éducateurs très gentils. On fait des fêtes, et ça c'est super cool. Dans l'autre foyer on ne fêtait jamais les anniversaires. » Les chambres ne sont pas meublées, ce qui pour Agathe est très positif : « Ma grand-mère et mon père m'ont donné des meubles. Contrairement à l'autre foyer qui était meublé, ici je me sens chez moi. Ça fait plaisir. »

"Nous sommes ravis de vous rencontrer"

Aurait-elle un conseil a donner aux éducateurs qui accompagnent les personnes en situation de handicap psychique ? « Il faut beaucoup écouter les résidents, surtout. Et s'adapter à chaque personne en fonction de son autonomie. Moi je fais tout toute seule, mais ce n'est pas le cas de tous. » Agathe parle rarement pour elle seule, elle se fait souvent la porte-parole des autres résidents, dont celles et ceux qui ont plus de difficultés à s'exprimer.

Lors d'un atelier théâtre, elle a écrit un très beau texte dont elle accepte la reproduction ici : « Nous sommes des personnes en situation de handicap. Nous n'aimons pas les moqueries. Nous n'aimons pas que les personnes n'osent pas nous regarder. Nous sommes contents des différences qui nous apportent plein de joie. Nous sommes plein de sentiments, nous vivons, nous aimons, nous avons parfois des moments tristes. Nous sommes amoureux comme les autres. Nous sommes parfois angoissés par l'inconnu mais nous restons très positifs. Nous sommes ravis de vous rencontrer. »

« Est-ce que j'ai bien répondu aux questions ? », demande-t-elle à la fin de l'entretien, dans le souci permanent de ne pas décevoir. Notre réponse positive la rassure. Son recul, sa capacité d'analyse, tout en ne niant jamais les difficultés liées à son handicap, forcent le respect. Nous ne saurons pas  quel est son handicap, d'ailleurs. La question ne lui a pas été posée, elle ne l'a pas précisé spontanément non plus. C'est peut-être mieux comme ça.

 

Pourquoi cette série "A voix haute" ?

Depuis plusieurs mois, nous nous intéressons, à travers notre série "En quête de sens", aux interrogations, découragements et enthousiasmes de travailleurs sociaux sur leurs métiers aujourd'hui chahutés. Il nous a paru logique de faire entendre, en regard, ceux qui expérimentent directement, du fait d'une situation de vulnérabilité provisoire ou permanente, des dispositifs sociaux ou médico-sociaux pensés pour eux... mais pas toujours avec eux.

Les temps changent toutefois : aujourd'hui, la parole des « usagers » de l'action sociale et médico-sociale est plus et mieux prise en compte, voire encouragée. La loi 2002-2 et ses outils de participation sont passés par là. Les concepts d'empowerment et de pair-aidance infusent peu à peu. Beaucoup reste à faire, mais une idée s'est imposée : premières expertes de leur vécu, les personnes accompagnées ont des choses à dire. Et les professionnels et décideurs, beaucoup à gagner à les écouter

 

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