CHRS : des équations tarifaires avec des inconnues et des incongrues

CHRS : des équations tarifaires avec des inconnues et des incongrues

08.06.2018

Action sociale

Pour la première fois en 2018, des tarifs nationaux plafonnés sont opposables aux centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS). Selon Jean-Pierre Hardy [*], cette réforme qui mélange nouvelle tarification « à la ressource » et vieille « approbation des dépenses » risque d'entraîner une baisse des dotations budgétaires pour 45 % à 55 % d’entre eux.

L’arrêté du 2 mai 2018 a fixé pour les douze groupes homogènes d’activité et de missions (GHAM) des centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), non pas des tarifs plafonds, mais des tarifs plafonnés sur des valeurs moyennes. En effet, dans d’autres secteurs comme les établissements et services d'aide par le travail (Esat) et les sections soins des Ehpad, les tarifs plafonds étaient calés sur les montants de l’avant-dernier décile ce qui entraînait 10 à 20 % d’établissements « perdants » mais 80 à 90 % d’établissements « gagnants » au terme de la convergence tarifaire sur 5 à 7 ans. Dans les Ehpad, la convergence tarifaire vers les tarifs plafonds sur les soins a bien montré qu’il y avait 20 % de perdants alors que la convergence tarifaire à la valeur moyenne départementale du point Gir dépendance fait qu’il y a 40 % de perdants.

Pour les CHRS, les tarifs plafonnés sur des valeurs moyennes de leurs GHAM vont entraîner une baisse des dotations budgétaires pour 45 % à 55 % d’entre eux (lire notre explication en encadré).

Le contentieux de la tarification va de nouveau prospérer

Inévitablement, compte tenu du poids de la masse salariale dans les CHRS, les abattements sur le groupe II seront traduits en demande de licenciements par l’autorité de tarification, elle-même, d’où des tensions sociales à prévoir. Notons que la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) va mettre en difficulté les autorités de tarifications régionales en leur demandant de continuer à approuver à la baisse les dépenses par groupes fonctionnels pour pallier à des équations tarifaires incongrues.

Le contentieux de la tarification va de nouveau prospérer. Les CHRS concernés par cette procédure budgétaire contradictoire « à la dépense autorisée » par groupes fonctionnels sont uniquement ceux qui sont en dessous des tarifs moyens, il ne peut donc pas leur être opposé l’obligation de revenir aux tarifs moyens prévus à l’article L. 313-9 du code de l'action sociale et des familles (CASF) et la convergence tarifaire sur la base des coûts moyens en application du 6° et 7° de l’article R. 314-23 du CASF.

Plus la ressource est contrainte, plus il faut la laisser gérer souplement

Force est de constater que sont ainsi mêlées des logiques tarifaires de financement « à la ressource disponible » et « d’approbations des dépenses ». À partir du moment où l’autorité de tarification n’a pas la ressource pour couvrir les dépenses autorisées les années antérieures, il faut se limiter à répartir équitablement la ressource disponible sans prétendre ajuster au millimètre ressources et dépenses. L’application d’équations tarifaires « à la ressource sur les dotations régionales limitatives (DRL) disponibles » évite d’approuver des dépenses par groupes fonctionnels et permet au gestionnaire, pour équilibrer ses comptes, de rechercher des recettes complémentaires (sans que cela entraîne une double peine par diminution de la dotation globale de financement - DGF), de nouvelles répartitions des charges communes, des mutualisations, des services communs avec ses centres provisoires d'hébergement (CPH) ou ses centres d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada)… Les tarifs plafonnés dans des équations tarifaires emportent passage à l’EPRD en application de l’article L.314-7-1 du CASF.

Plus la ressource est contrainte, plus il faut la laisser gérer souplement. L’équilibre budgétaire et la recomposition de l’offre doivent s’envisager dans le cadre d’un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens (CPOM).

 

Décryptage technique

L’instruction du 23 mai 2018 relative à la campagne budgétaire du secteur "Accueil, hébergement et insertion" (AHI) pour 2018 et son annexe 6 propose des équations tarifaires sans base réglementaire et sans fondements micro-économiques.

Les DRJSCS sont invitées à procéder à la ventilation des charges qu’elles ont approuvées par groupes fonctionnels en 2017, dans chacune des GHAM de chaque CHRS. L’exemple d’un CHRS avec trois GHAM à l’annexe 6 propose un taux de répartition issu de l’étude nationale de coûts (ENC). Sachant qu’un CHRS peut avoir entre un à douze GHAM, on attend les autres taux de répartition en fonction de la combinaison entre 2 à 12 GHAM. Indépendamment de la fiabilité de l’ENC utilisée, ces taux n’ont aucune base réglementaire (non prévu dans l’arrêté du 2 mai 2018).

Compte tenu de l’impossibilité de répartir les recettes en atténuation et les résultats entre les GHAM, les tarifs ainsi déduits pour chaque GHAM sont des tarifs bruts et non nets. La reprise des excédents des années antérieures pour les CHRS en dessous des tarifs plafonnés et des déficits pour les CHRS au-dessus desdits tarifs est aberrante, sauf à passer le message de maintien de l’effet « boule de neige » : « on réduit votre dotation 2018 mais le déficit que cela va entraîner sera repris en 2020 et ainsi de suite ».

Pourtant, l’article 2 de l’arrêté du 2 mai 2018 ne prévoit pas de reprise de résultats ce qui est dans la logique de la convergence tarifaire voulue qui ne doit pas être entravée par des reprises de résultats.

Notons que la notion des recettes en atténuation n’a pas de base réglementaire, les produits des groupes fonctionnels 2 et 3, les autres produits complémentaires du groupe 1 ne peuvent avoir un traitement uniforme. Si la convergence se fait sur les dotations globales de financement (DGF) 2017 des CHRS, une partie de ces recettes en atténuation sont déjà venues réduire les DGF 2017.

Le taux de convergence par GHAM présentant des tarifs supérieurs aux tarifs plafonnés par l’arrêté du 2 mai 2018 a été fixé par cet arrêté à -25 % sur 4 ans jusqu’à ce que les tarifs plafonds soient atteints. A ce taux national et réglementaire de réduction des DGF 2017 pour fixer la DGF 2018 peut s’ajouter un taux régional laissé à l’appréciation des autorités de tarification régionales.

Compte tenu qu’à l’exception des DOM, les dotations régionales limitatives (DRL) ont des baisses supérieures aux baisses des dotations résultant de la convergence tarifaire sur les GHAM présentant des coûts supérieurs aux tarifs plafonnés par l’arrêté du 2 mai 2018, les autorités de tarifications régionales sont invitées à approuver en 2018 des dépenses à la baisse sur les GHAM et les CHRS qui présentent pourtant des coûts inférieurs aux tarifs plafonnés calculés sur des valeurs moyennes.

En effet, l’arrêté du 2 mai 2018 permet bien une tarification « à la ressource disponible » uniquement sur les CHRS et les GHAM « sur dotés » au regard des tarifs plafonnés, mais pas sur les CHRS et les GHAM « sous dotés ». Plutôt que de fixer des DGF 2018 en diminution par rapport à 2017 sur les CHRS « sous dotés » pour respecter les montants des DRL, en application d’équations fixés par arrêté ministériel en complément de l’arrêté du 2 mai 2018, une tarification « à la dépense autorisée » par groupes fonctionnels et par GHAM est maintenue pour les CHRS « sous dotés ».

Compte tenu des DRL en diminution, l’autorité de tarification devra réduire en 2018 les montants 2017 des dépenses autorisées dans les groupes fonctionnels. Rien ne peut justifier que des dépenses normalement autorisées les années antérieures et acceptées aux comptes administratifs soient r��duites en 2018 alors qu’il y aura dans le secteur des CHRS comme dans les autres secteurs un effet inflation-prix.

 

Jean-Pierre Hardy

Directeur au projet stratégique de France Horizon

Ancien chef du bureau de la réglementation financière, budgétaire et comptable à la DGAS (2000-2009)

Ancien directeur délégué aux solidarités et au développement social à l'Assemblée des départements de France (2010-2015)

 

[*] Les propos tenus dans la rubrique "Vos chroniques" sont rédigés sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas la rédaction.

 

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