Des dossiers du service social des hôpitaux de Paris laissés à l'abandon

Des dossiers du service social des hôpitaux de Paris laissés à l'abandon

19.07.2018

Action sociale

Des dossiers du service social de l'AP-HP, en principe strictement confidentiels, qui traînent par terre, au vu des passants, ça fait mauvais effet ! C'est ce qui est arrivé le week-end dernier sur le site de l'ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris (14e), qui accueille aujourd'hui un centre d'hébergement et des manifestations artistiques dans le cadre de l'occupation temporaire des "Grands Voisins".

John Ward n'en revient toujours pas. C'est complètement par hasard que cet historien du travail social au nom de pirate anglais du 16e siècle est tombé, dimanche 15 juillet, à la faveur d'une visite privée aux "Grands Voisins", sur des dizaines de dossiers du service social de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) et de papiers à en-tête de l'assurance maladie, gisant dans un carton éventré à même le sol.
Des documents, en principe couverts par le secret, qui auraient pu passer inaperçus mais qui ne pouvaient qu'attirer l'œil averti de cet ancien assistant social et formateur en travail social. N'importe qui peut en effet se saisir d’un dossier, l’ouvrir et prendre connaissance des données confidentielles et nominatives qu’il contient, constate-t-il, en repérant lui-même sur l'un d'eux le nom d'une assistante sociale de sa connaissance, toujours en activité… "C'est très grave", déclare-t-il, en rappelant que "la règle de confidentialité est très stricte".

Action sociale

L'action sociale permet le maintien d'une cohésion sociale grâce à des dispositifs législatifs et règlementaires.

Découvrir tous les contenus liés

Un sujet très sensible

Loi santé du 26 janvier 2016

Morceaux choisis d'un texte aux multiples facettes

Je télécharge gratuitement

La violation du secret est un sujet évidemment très sensible dans le secteur social et médico-social, où les professionnels sont amenés à connaître et à rendre compte de détails intimes et confidentiels de la vie privée de personnes vulnérables. "L'assistance publique est dans l'illégalité la plus totale en laissant traîner ces dossiers dans des locaux désaffectés", s'insurge encore John Ward, "et les assistants sociaux qui ont pris soin de respecter rigoureusement les règles déontologiques dans leur pratique seraient consternés d'apprendre que ces dossiers sont disponibles dans une décharge à ciel ouvert".
C'est aussi l'avis de Didier Dubasque, qui nous a avertis de la trouvaille de John Ward et qui s'indigne, dans un post publié sur son blog : "La responsabilité de cet abandon a eu lieu sans respect de la vie privée ni du secret professionnel". L'AP-HP "est une grande institution qui se doit d’��tre à la pointe et garante du respect du droit et de l’éthique professionnelle", poursuit-il, et elle "aurait dû s’organiser pour garantir la conservat ion des dossiers ou leur destruction en préservant leur confidentialité". "Un tel manquement est inacceptable, et l’on peut légitimement se demander comment on en est arrivé là".

Un placard jamais ouvert...

C'est ce que nous avons cherché à savoir, nous aussi, et la négligence semble ne faire aucun doute. Car ce n'est pas la première fois que de tels documents sont retrouvés dans les anciens bureaux de l'hôpital désaffecté.

John WardSelon nos informations, en 2012 déjà, l'association Aurore prenant possession des lieux pour y installer un centre d'hébergement pour personnes sans domicile y a trouvé quantité de dossiers, "oubliés" là par les services de l'AP-HP, et qui ont été détruits sans autre forme de procès.

C'est aussi le cas des dossiers repérés ce week-end, finalement jetés à la benne, lundi. D'où sortaient-ils ? Eh bien, probablement d'un placard passé inaperçu jusque là et jamais ouvert, tout simplement… Ils provenaient en effet de deux bâtiments qui viennent d'être vidés de leurs occupants pour être rendus au propriétaire des lieux, la société publique Paris Batignolles aménagement. Quoi qu'il en soit, ces dossiers "ont bien été détruits", assure-t-on aux "Grands Voisins", où l'on fait progressivement place nette pour le chantier de rénovation du site, occupé par les associations jusqu'en 2020, avant le lancement du nouveau quartier Saint-Vincent-de-Paul. Quelque 200 personnes sans domicile y sont encore hébergées.
 

Une destruction qui soulève des questions

Au-delà de la violation du secret, passible de poursuites pénales (un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende, selon le code pénal), la destruction des dossiers de l'AP-HP pourrait aussi constituer une faute, estime en outre Christophe Daadouch, juriste et formateur, co-fondateur du site secretpro.fr. "Ce sont des archives publiques, on ne les balance pas à la poubelle comme ça", assure-t-il, en ajoutant que "la destruction d'archives publiques est qualifiable pénalement", elle aussi. De nombreuses dispositions légales seraient susceptibles d'être mobilisées sur ce point, dans le code du patrimoine qui définit ce que sont les archives publiques (articles L. 211-1 et suivants) et prévoit qu'elles sont "imprescriptibles" ou dans le code des relations entre le public et les administrations, par exemple. Reste qu'aucune règle spécifique n'est prévue pour le "dossier social" en tant que tel.
Pourtant, ce sont aussi "des histoires de vie" qui se racontent à travers ces dossiers qui constituent la mémoire des parcours sociaux des personnes et qui doivent, à ce titre, être traités avec précaution. A cet égard, Christophe Daadouch évoque le cas de petites associations exerçant par le passé dans le champ de la protection de l'enfance et qui, devant un jour fermer leurs services, détruisaient leurs archives par souci de confidentialité - privant, du même coup, les jeunes concernés d'un accès à tout un pan de leur histoire personnelle. Pour éviter cet écueil, ces associations doivent aujourd'hui confier leurs dossiers à l'aide sociale à l'enfance, qui les verse le cas échéant aux archives départementales.

John WardDes dossiers qui racontent "des histoires de vie"

Dans le cas présent, les archives départementales auraient d'ailleurs dû être consultées, avance le juriste, puisqu'elles exercent un contrôle sur les archives des établissements de santé. Sauf que, par exception, ce n'est pas le cas pour les hôpitaux de l'AP-HP, qui ne sont pas contrôlés par les archives de Paris, nous a affirmé le directeur de celles-ci, mais seulement par le service des archives de l'AP-HP.
Leur durée d'utilité administrative (DUA) aurait aussi pu entrer en considération, souligne Christophe Daadouch, puisqu'elle détermine de fait la durée de conservation au-delà de laquelle ces pièces doivent être éliminées. En l'espèce, impossible de savoir de quand dataient l'ensemble des documents présents sur le bitume le week-end dernier, mais ils étaient forcément antérieurs à 2012, le site hospitalier étant désaffecté depuis 2011. A noter que la circulaire de janvier 1994 relative au tri et à la conservation des archives des établissements publics de santé, qui ne mentionne pas non plus de règle spécifique relative au dossier social, prévoit une DUA de 5 ans pour le dossier administratif du patient.
Du côté de l'AP-HP, enfin, cette information semble avoir été prise au sérieux mais les réponses à nos multiples questions ne nous sont pas parvenues à temps pour figurer dans cet article.

Mise à jour jeudi 19 juillet 10 h 15 : L'AP-HP nous a finalement indiqué "que l'ensemble des dossiers médicaux, soumis à des règles particulières d’archivage et de conservation, ont bien été transférés lors du déménagement des équipes de soin entre 2010 et 2012" et qu'un prestataire avait été missionné en 2016 pour "procéder à l’enlèvement de l’ensemble des matériels et archives subsistant sur le site qui lui étaient signalés par les occupants".
Elle reconnaît que les dossiers "de nature administrative et sociale auraient dû eux-mêmes être débarrassés au moment de cette prestation", mais se dédouane en renvoyant la balle sur les occupants des lieux : "Si l’AP-HP avait été informée, elle aurait procédé à leur récupération et archivage", assure-t-elle, en regrettant "vivement que ces dossiers aient été exposés et jetés sans en avoir été informée". Elle ajoute enfin avoir "saisi le gestionnaire des lieux pour connaître les raisons" de ce qu'elle qualifie de "dysfonctionnement majeur".

Anne Simonot
Vous aimerez aussi

Nos engagements