Des marcheurs aux Assises : turbulences sur la protection de l’enfance

Des marcheurs aux Assises : turbulences sur la protection de l’enfance

06.07.2017

Action sociale

A l’occasion des Assises nationales de la protection de l’enfance, des travailleurs sociaux du Maine-et-Loire ont été rejoints par des confrères d’Ile-de-France pour manifester contre la « casse » du secteur. Le contexte angevin, certes, est particulier ; mais il fait écho à un manque de moyens dans d’autres départements… Récit d’une longue marche, achevée au pas de course.

 

 

 

« Paris, Angers, solidarité ! » Sur les trottoirs huppés de Neuilly-sur-Seine, ce 4 juillet, l’heure est à la « convergence des luttes » chère aux syndicats. Du Maine-et-Loire surgissent en effet, ce midi, une quinzaine de randonneurs. Certains ont parcouru entre les deux villes jusqu’à 350 kilomètres à pied, en une seule semaine. « Je marche pour la protection de l’enfance », est-il indiqué sur leurs tee-shirts... Et ceux qui les applaudissent ici, des Hauts-de-Seine, de Seine-et-Marne ou de Seine-Saint-Denis, comptent bien manifester à leurs côtés, cet après-midi. A l’autre bout de Neuilly-sur-Seine, en effet, à la Porte Maillot, se tiennent les dixièmes « Assises nationales de la protection de l’enfance », organisées par l’Observatoire national de l’action sociale (Odas) et le Journal des acteurs sociaux (Jas). A vrai dire, les quelques centaines de manifestants n’ont pas été autorisés à y être représentés. Mais l’occasion paraît belle d’alerter contre « la casse de la protection de l’enfance », pour reprendre le slogan des organisateurs – parmi lesquels plusieurs syndicats Solidaires, CGT ou FSU.

Appel à projets

« Casse » de la protection de l’enfance ? Dans le Maine-et-Loire le sentiment est en tout cas partagé par nombre de travailleurs sociaux menacés de perdre leur emploi. Le conseil départemental vient en effet d’y mener à terme un appel à projets encore inédit en France. L’objectif initial était de revoir toute l’offre d’établissements gérés par les associations, notamment pour la réajuster aux besoins des enfants. A l’arrivée, certes, 40 créations de places sont annoncées ; mais 5 gestionnaires doivent finalement être dépossédés de leur activité, au profit de 4 autres opérateurs. Et les syndicats craignent qu’ainsi 400 emplois disparaissent, si les nouvelles structures ne les réembauchent pas.

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« Marchandises »

Mais ce redéploiement ne doit-il pas servir l’intérêt supérieur de l’enfant ? « Les mômes ne sont pas des marchandises », rétorque, parmi les marcheurs angevins, l’étudiante Margaux Horel, qui devine dans cette opération une logique financière. « Il faut certes remettre en cause au quotidien nos pratiques », concède cette aspirante monitrice-éducatrice ; « mais nous voulons le travailler ensemble, avec le département ». De même, sa consœur Peggy Redon, déléguée FO dans un établissement évincé, observe qu’ont été choisis des opérateurs non soumis à la convention collective de 1966, avantageuse pour les salariés. « Or si vous voulez être disponible avec les enfants, il faut pouvoir souffler et avoir de bonnes conditions de travail ! » Elle aussi regrette que « le conseil départemental ait choisi de fermer toute communication avec cet appel à projets ». A ses côtés, l’éducateur spécialisé et délégué Sud Julien Gerland espère maintenant que « l’étincelle prenne », à travers la protection de l’enfance en France, « pour qu’on arrête de jouer avec la vie des gamins ».

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Des Hauts-de-Seine à la Haute-Vienne

Il reste à savoir si le Maine-et-Loire est comparable aux autres départements. Alors que le défilé s’élance vers le Bois de Boulogne, une éducatrice spécialisée de l’Aide sociale à l’enfance décrit la situation des fortunés Hauts-de-Seine. « Malgré son excédent budgétaire, le conseil départemental ferme ses foyers, pour les remplacer, en partie seulement, par des établissements associatifs », avance cette travailleuse sociale. « Et dans mon propre service, nos effectifs ne sont pourvus que pour moitié… » Résultat ? Selon elle, « nous ne parvenons plus à remplir nos missions de protection de l’enfance. » Et voilà comment « nous rentrons le soir en nous demandant si nous n’allons pas passer dans le Parisien le lendemain, pour avoir laissé un gamin chez ses parents, faute d’avoir pu appliquer une décision de justice… »

Exemples extrêmes ? « La situation est la même en Meurthe-et-Moselle, en Bouches-du-Rhône, en Seine-Saint-Denis, en Ille-et-Vilaine, en Haute-Vienne, ou en Indre-et-Loire », selon Hervé Heurtebize, secrétaire national de la FSU territoriale. « A chaque fois, alors même qu’augmente la pauvreté, nous faisons face à des postes non pourvus, ainsi qu’à une dégradation des conditions de travail. La protection de l’enfance n’a jamais été autant attaquée dans ses fondamentaux ».  

A toutes jambes

Mais voilà qu’apparaît la Porte Maillot, et qu’un groupe de marcheurs, soudain, se met à courir. A toutes jambes. Les manifestants traversent l’énorme place, slaloment au milieu des voitures. Les portes du Palais des congrès sont en vue. Celles-ci se referment aussitôt - dans un nuage de fumigènes et de gaz lacrymogènes. Des policiers courent, des travailleurs sociaux toussent… Et de nouveau une porte s’ouvre : plusieurs s’y engouffrent à la queue-leu-leu. Direction les escalators, pour rejoindre les fameuses Assises. D’où une course-poursuite mouvementée au milieu des boutiques, un barrage policier tendu au pied des escaliers mécaniques, puis une longue attente au milieu des stands de la protection de l’enfance - avant que, finalement, les organisateurs n’entrouvrent l’immense salle de congrès à une délégation de manifestants.

« Marcher dignement dans la société »

Les travailleurs sociaux se déploient alors sur la vaste scène. Et Julien Capelle, l’un des marcheurs angevins, prend la parole au nom de son collectif. Il revient d’abord sur ce bras-de-fer dans le Maine-et-Loire, né « de l’incompréhension et de l’absence de dialogue » entre le département et les associations. Il raconte aussi leur semaine de marche, « pour que les enfants que nous accompagnons puissent à leur tour marcher dignement dans la société ». Et il demande, une nouvelle fois, « le retrait des appels à projets ».

Mais au fond, poursuit-il, « ces appels à projets ont servi d’électrochoc ». Ils « ont mis en exergue toutes ces défaillances, ces carences » de la protection de l’enfance à travers la France. « Quand arrêterons-nous d’accepter d’organiser la misère ? » Aux yeux des marcheurs angevins, désormais, « la question n’est pas uniquement de savoir quelle planète nous laisserons à nos enfants, mais aussi quels enfants nous laisserons à notre planète »…

Echos

Sur la scène du Palais des congrès, la docte table ronde de l’après-midi reprend finalement, tant bien que mal – avec, encore, quelques échos des coups de sang du jour. Jean-Philippe Vinquant, le directeur général de la cohésion sociale, évoque lui-même un « moral des troupes pas totalement au beau fixe pour les professionnels » qui vivent comme un « mauvais rêve » : ils savent de mieux en mieux quoi faire pour l’enfant, sans en avoir les capacités. Quant à Jean-Louis Sanchez, le délégué général de l’Odas, il retient de la journée « un immense paradoxe ». « Il y a une ambition partagée pour que la protection de l’enfance soit encore meilleure » - et pourtant, malgré toutes les mutations nécessaires, « on sent bien que tout mouvement provoque de la colère ». Comment, dès lors, « trouver un langage commun entre politiques et professionnels » ? Un peu plus tard, réunis en assemblée générale à la Bourse du travail (place de la République), les manifestants votaient une mobilisation nationale pour la protection de l’enfance pour ce 21 septembre.

Olivier Bonnin (article et photos) et Linda Daovannary (vidéo)
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