"Face à la montée du fait religieux, il est urgent de repenser le collectif du travail"

"Face à la montée du fait religieux, il est urgent de repenser le collectif du travail"

06.11.2017

Gestion du personnel

Denis Maillard, spécialiste des questions sociales et des transformations du travail, fondateur du cabinet Temps commun, décrypte à travers son livre "Quand la religion s’invite dans l’entreprise" * l’origine du fait religieux en entreprise. Avec à la clef, une multitude d’exemples et de témoignages.

Sur quoi portent les principales revendications au travail concernant le fait religieux ?

Une première catégorie concerne l’organisation du travail, les revendications portent sur l’aménagement des horaires, les jours fériés ou les demandes de recueillement, comme l’industrie a eu à en connaître depuis la fin des années 70. En deuxième lieu, l’expression des convictions religieuses concerne la vie collective en entreprise, comme les références alimentaires, qu’il s’agisse des menus halal ou du refus de manger de la viande de porc. Enfin, plus problématiques sont les revendications individuelles ou identitaires. Elles concernent, d��une part, les rapports entre les sexes, et, d’autre part, le refus, au nom de sa religion, de réaliser certaines tâches. Ainsi quand une personne dit : "je ne travaille pas sous les ordres d’une femme", ou "je ne partage pas une réunion avec une personne d’un autre sexe", ou "je ne peux pas le faire, car ma religion me l’interdit", les salariés remettent en cause la capacité de travailler en commun.

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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Vous déplorez que le droit, "général", "abstrait", ne réponde pas assez aux situations complexes et particulières. La loi El Khomri a-t-elle permis de faire avancer les choses ?

En autorisant désormais les entreprises à inscrire un principe de neutralité dans leur règlement intérieur, afin de restreindre, sous certaines conditions, la manifestation des convictions des salariés, la loi El Khomri permet pour la première fois d’aborder la question religieuse sous l’angle du travail. Un tel règlement intérieur doit mettre en avant la capacité de travailler en commun. J’encourage les entreprises à faire ce type de démarche. Les grands groupes ont d’ores et déjà pris les devants mais les PME, souvent les plus demandeuses, sont à la traîne.

Les deux arrêts de la cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de mars dernier encadrent-ils suffisamment la montée des pratiques religieuses ?

Ces deux arrêts viennent renforcer au niveau jurisprudentiel la loi El Khomri. La cour de justice européenne penche vers une définition collective de l’entreprise. D’une part, elle réaffirme que les entreprises peuvent interdire, par le biais de leur règlement intérieur, le port du foulard islamique et plus largement tout signe d’appartenance religieuse, pour des raisons objectives, c’est-à-dire liée à l’activité économique et non à des éventuelles orientations philosophiques (comme par exemple la laïcité).

D’autre part, elle indique que ce n’est pas au client d’avoir une demande discriminatoire. En clair, la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits du client de ne plus voir ses services assurés par une travailleuse portant un foulard islamique n’est en aucun cas une exigence essentielle et déterminante. Un licenciement ne peut pas être fondé sur un tel motif. Les entreprises doivent donc poser des règles claires dans leur règlement intérieur. Celles-ci ne peuvent viser une religion particulière, ni même une appartenance politique ou philosophique.

Vous affirmez que "le fait religieux est révélateur des mutations au travail". Pourquoi ?

Depuis 40 ans le travail s’est transformé. L’individualisation des relations au travail a renforcé l’identité non plus seulement professionnelle mais personnelle de l’individu. Et c’est précisément ici que se noue la problématique du religieux. On a dit aux gens "venez comme vous êtes", investissez dans votre travail votre subjectivité, votre personnalité, votre créativité et notamment votre identité. Or, on paie aujourd’hui cette injonction. On assiste à une revendication de tous les individus qui demandent à être reconnu dans leur identité, c’est-à-dire à l’irruption de l’individu totalement privé dans l’espace collectif. Mais l’entreprise est-elle encore le lieu de travail en commun ou n’est-ce plus que celui des droits individuels ?

L’individualisation de la relation au travail a trouvé sa première manifestation dans la destruction de l’espace et du temps professionnels. Les nouveaux modes d’organisation ont mis à mal l’unité de lieu, de temps et d’action qui régissait jusqu’ici le travail. Fini le temps où les salariés embauchaient aux mêmes heures, prenaient leurs pauses ensemble. Révolue l’époque où la progression dans la boite se faisait à l’ancienneté et les augmentations de salaire étaient collectives. L'individualisation a ensuite gagné les rémunérations, les entretiens annuels, les formations, les parcours professionnels et les horaires, répondant à la fois aux besoins de l’économie et à ceux des salariés. Même le lieu de travail est petit à petit devenu nomade et donc personnalisé.

Parallèlement, vous êtes très critiques vis-à-vis des politiques de diversité menées par les entreprises depuis ces 20 dernières années...

La promotion de la diversité est passée jusqu’ici par des politiques implicites d’intégration sur le modèle de l’égalité républicaine : il s’agissait d’aboutir à une parité femmes/hommes, de permettre aux handicapés de vivre une carrière professionnelle commune. On a fait bon gré mal gré une place aux minorités visibles puis aux minorités sexuelles. Toutes ces bonnes intentions, prêtées à une sorte d’entreprise providence, butent désormais sur un sujet plus délicat à traiter : les croyances religieuses. La montée du fait religieux est le fruit des bouleversements causés depuis plus de 30 ans par le processus d’individualisation auquel la promotion de la diversité était censée répondre. Comme il y est invité, le salarié engage alors toute son identité d’individu au cœur de son travail. Problème : il se trouve que pour une part non négligeable des salariés, cette identité est aujourd’hui religieuse. Et c’est là que les difficultés commencent.

Que préconisez-vous ?

Les identités doivent se mettre en sourdine. Il faut remettre en discussion le travail parce que c’est le seul moyen de rappeler à tout le monde que ce qu’on fait dans l’entreprise, c’est de travailler ensemble. En clair, face à la montée du fait religieux, il est urgent de repenser le collectif du travail.

* Fayard, octobre 2017

Anne Bariet
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