Hébergement d'urgence : "Si l'Etat est incapable de régler ces problèmes, ce n'est pas la faute des associations"

Hébergement d'urgence : "Si l'Etat est incapable de régler ces problèmes, ce n'est pas la faute des associations"

18.12.2017

Action sociale

Selon Marc Uhry, spécialiste des politiques de l'habitat, beaucoup de migrants présents dans les centres d'hébergement d'urgence aujourd'hui ne sont pas expulsables. La solution ne se trouve pas, à ses yeux, dans l'ouverture de toujours plus de places d’hébergement, mais dans la régularisation de ces personnes aux droits incomplets, et dans la gestion européenne de l'asile.

Après avoir passé 20 ans dans le secteur associatif, la moitié sur le terrain, dans une association d’insertion par le logement, et l’autre moitié à la Fondation Abbé Pierre, Marc Uhry est aujourd'hui consultant sur les politiques de l'habitat. Il nous livre son point de vue sur les débats en cours.    

tsa : Que pensez-vous de cette circulaire du 12 décembre dénoncée par les associations ?                     

Marc Uhry : Cette circulaire introduit un débat qui n'est pas très bon sur le fond et qui occulte une réflexion sur la politique migratoire. Comme dit l'adage : "Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude". Si l'Etat est incapable de régler ces problèmes, ce n'est pas la faute des associations. Beaucoup de personnes ont des droits incomplets et ne partiront pas.

Il faut savoir qu'en amont, c'est l'Etat qui oriente ces personnes vers les associations via les SIAO [services intégrés d'accueil et d'orientation]. Depuis le développement du contentieux sur le "Dalo hébergement", l'Etat est sous la menace permanente d'une obligation de proposer un hébergement aux bénéficiaires du Dalo et a donc repris la main sur les orientations en CHRS et autres structures d'hébergement financées par l'Etat.

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L'action sociale permet le maintien d'une cohésion sociale grâce à des dispositifs législatifs et règlementaires.

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Cette circulaire est-elle utile ?

Je ne pense pas. Cette circulaire ne changera rien du tout. L'Etat a déjà toutes les informations. On ne méconnaît pas le statut administratif de ces gens, c'est une vue de l'esprit. Ceux qui peuvent l'être sont déjà accompagnés par les associations dans leur démarche administrative. Ce n'est pas un enjeu de méconnaissance des situations, celles-ci sont pour la plupart connues.

Il reste les personnes qui ont des droits incomplets. Pour régler cette urgence, il faut les régulariser. Or aujourd'hui, l'Etat est paralysé car il n'ose ni régulariser, ni expulser.

Loi santé du 26 janvier 2016

Morceaux choisis d'un texte aux multiples facettes

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Qui trouve-t-on aujourd'hui dans l'hébergement d'urgence de droit commun ?

On y trouve des ressortissants européens, roumains notamment, qui sont dans une forme d'impensé du droit. Sur ce point, la Haute Cour britannique vient d'affirmer que l'éloignement des sans-abri européens était contraire au droit de l'Union européenne, c'est un raisonnement qui pourrait s'appliquer en France.

Viennent ensuite les étrangers sous procédure Dublin, un dispositif qui n'est plus opératoire aujourd'hui : les gens connaissent les procédures et évitent de laisser leurs empreintes digitales. Quand on parvient à prélever leurs empreintes, dans tel ou tel pays, c'est un peu le hasard. Si on les renvoie dans un autre pays de l'UE, ils reviendront quelques semaines plus tard.

Il y aussi dans ces centres des étrangers déboutés. Mais, là aussi, ces personnes sont souvent dans des procédures en cours. Elles sont inexpulsables, soit à cause d'un très mauvais état de santé, soit parce qu'il n'est pas possible de les renvoyer vers des pays en guerre. Ceux qui sont réellement susceptibles d'être éloignés l'ont déjà été ou ont disparu des radars.

Il y a aussi toutes ces personnes exclues des autres dispositifs sociaux, dites-vous ?

Oui. On fait converger vers l'urgence les lacunes des autres politiques publiques : politique migratoire, politique de santé mentale (sur 180 000 lits en hôpital psychiatrique 120 000 ont été supprimés en 30 ans !), politique de la jeunesse (pas de revenu minimum pour les jeunes). Un certain nombre de cas ne relève pas de l'action sociale proprement dite.

Et la défense associative qui consiste à dire qu'il ne faut pas discriminer les étrangers, c'est un peu court. Les ambitions sont devenues modestes : on négocie pour savoir qui bénéficiera de dispositifs très sommaires (accès à un gymnase...). Nous sommes dans l'enjeu symbolique de l'opposition mais ce n'est pas l'accompagnement social qui répondra aux enjeux de droit au séjour, de suivi psychiatrique ou de manque de revenus. Ces problèmes ne sont pas du ressort des travailleurs sociaux.

Selon moi, tout ne passe pas par la création de places supplémentaires. La France est le seul pays d'Europe qui résout l'urgence par l'urgence, sans proposer de vision systémique. Elle consacre un budget important aux politiques de l'urgence sociale avec des résultats médiocres. L'ouverture ou la fermeture de places d’hébergement est un débat qui occulte l’incurie des politiques migratoires. Il faut donc se demander si l'on actionne les bons leviers. Il faut cesser de réclamer plus de moyens pour les associations et exiger davantage de droits pour les personnes. Certains pays réussissent bien mieux que nous, comme la Finlande, les Pays-Bas ou le Danemark.

Que fait l'Europe ?

Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, avait promis une "green card" europėenne pour créer une filière d’immigration légale et limiter les tentatives désespérées. C’est au point mort. Il faut donc reprendre une initiative du côté de l'Union européenne.

Propos recueillis par Linda Daovannary
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