L'accord de performance collective peut modifier le forfait annuel en place

03.04.2018

Gestion du personnel

La loi de ratification confirme la possibilité de modifier le dispositif du forfait annuel en heures ou en jours applicable dans l'entreprise par un accord de performance collective et précise les modalités d'acceptation ou de refus des salariés.

Les forfaits annuels en jours et en heures nécessitent, pour être mis en place dans une entreprise, un accord collectif préalable (C. trav., art. L. 3121-63). Il en est de même en cas de modification d’un dispositif de forfait annuel  déjà existant dans l’entreprise. Cet accord collectif peut-il être un accord de performance collective (APC) ? La question se posait avant la loi de ratification : en effet, la règle selon laquelle  "les stipulations de l’APC se substituent de plein droit aux clauses contraires  et incompatibles du contrat de travail"  (C. trav., art. L. 2254-2) se heurte à la nécessité de conclure une convention individuelle de forfait avec chaque salarié concerné  (C. trav., art. L. 3121-55 et L. 3121-54).
C’est pourquoi la loi de ratification du 29 mars 2018, tout en  confirmant la possibilité de mettre en place ou de modifier le forfait annuel par un accord de performance collective,  précise les règles d’articulation entre le régime juridique de l'APC et le régime du forfait annuel prévu aux articles L. 3121-53 à L. 3121-66 du code du travail. Toutefois, elle prévoit un régime juridique différent selon que l’APC met en place ou modifie un dispositif de forfait annuel.
Pour plus de clarté, les développements ci-après concernent uniquement  la modification d’un forfait annuel existant dans l’entreprise. Le régime de la mise en place d’un forfait annuel par un APC fera l'objet d'un prochain article.
Lorsque l’APC modifie un dispositif de forfait annuel, la loi de ratification précise que :

- les articles L. 3123-53 à L. 3121-66 du code du travail (relatifs au régime juridique du forfait annuel) s’appliquent à deux exceptions près :

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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  • l'article L. 3121-55 sur la nécessité de conclure une convention individuelle de forfait,
  • et le 5° du I de l’article L. 3121-64 sur l’obligation de prévoir dans l’accord collectif « les caractéristiques principales des conventions individuelles, qui doivent notamment fixer le nombre d’heures ou de jours compris dans le forfait » (C. trav., art. L. 2254-2-II).

- l’acceptation de l’accord par le salarié conformément aux III et IV du présent article (sur la possibilité d’un refus et  les modalités de ce refus) entraîne de plein droit l’application des dispositions de l’accord relatives au dispositif de forfait annuel (C. trav., art. L. 2254-2-II).

Remarque : Ces  règles d’articulation entre le régime de l’APC et le dispositif de forfait annuel, issues de la loi de ratification laissent en suspens certaines incertitudes juridiques. En effet, que faire en l’absence de refus écrit ? Faut-il l'analyser comme une acceptation tacite ? Peut-on appliquer l’APC modifiant le forfait annuel aux CDD ? Et si oui, que faire en cas de refus du salarié dans la mesure où il ne s’agit pas d’un cas de rupture anticipé autorisé par la loi ? L’APC modificatif pourrait-il s'appliquer aux contrats à temps partiel ? Comment appliquer l'APC modificatif aux salariés de l’entreprise qui n'avaient pas déjà conclu une convention individuelle de forfait ou pour les nouveaux embauchés ? L'acceptation de ces salariés d'appliquer l'APC peut-elle s'exonérer de la conclusion d'une convention individuelle de forfait ?
Le tableau ci-après compare le régime juridique de la modification d’un dispositif de forfait jours selon qu’elle résulte d’un accord collectif de droit commun ou d’un accord de performance collective.
La rédaction du Dictionnaire Permanent Social a également schématisé la procédure à suivre pour modifier un dispositif de forfait annuel en place dans l'entreprise par un accord de performance collective (v. le schéma p. xx).
 

Dispositif de forfait annuel en heures ou en jours modifié par :

 

accord collectif de droit commun

accord de performance collective (APC)

Niveau de la négociation (1)

 

La modification du dispositif du forfait annuel déjà en place peut être effectuée par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche ( C. trav., art. L. 3121-63).

 

L’accord de performance collective peut être négocié au niveau de d’entreprise (C. trav., art. L. 2254-2).

A priori, il pourrait également être négocié :

 – au niveau de l’établissement, en application de l’article L. 2232-11 du code du travail (« Sauf disposition contraire, les termes “ convention d'entreprise ” désignent toute convention ou accord conclu soit au niveau de l'entreprise, soit au niveau de l'établissement ») ;

- ou au niveau du groupe en application de l’article  L. 2232-33 (« L'ensemble des négociations prévues par le présent code au niveau de l'entreprise peuvent être engagées et conclues au niveau du groupe dans les mêmes conditions… »)

 

Modalités de la négociation :

- application du principe de l’accord majoritaire ;

 

 

 

- articulation avec les règles de révision d’un accord collectif

 

L’accord ne sera soumis aux conditions de validité des accords majoritaires qu’à compter du 1er mai 2018 (Ordce. N°2017-1385, art. 11 et 17 , 22 sept. 2017 : JO, 23 sept ). D’ici là, il suffit qu’il soit signé par un syndicat ayant obtenu au moins 30% des voix aux dernières élections et qu’un syndicat majoritaire ne s’y soit pas opposé.

Comme il s’analyse en un accord de révision, les modalités propres à la révision d’un accord doivent aussi être appliquées (C. trav., art. L. 2222-5)

 

L’accord est soumis aux conditions de validité des accords majoritaires depuis le 24 septembre 2017 (Ordce. n°2017-1385, art. 17, 22 sept. 2017 : JO, 23 sept.) (2).

 

 

 

 

A défaut d’exclusion prévue par l’article L. 2254-2 du code travail,  les règles de révision de droit commun prévues à l’article L. 2222-5 s’appliquent aussi, à notre avis,  à l’APC.

 

Rôle des représentants du personnel .

Le CE ou CSE n’ont pas à être consultés sur le projet d’un accord collectif (C. trav.,art.  L. 2312-14).

Ils seront consultés lors des consultations périodiques portant sur la marche générale de l’entreprise (C. trav., L. 2312-8)

 

Toutefois, le CSE peut  mandater un expert-comptable afin qu'il apporte toute analyse utile aux organisations syndicales pour préparer les négociations de l’accord de performance collective (C. trav.,art.  L. 2315-92).

Contenu de l’accord collectif (ou élément pouvant être modifié) (3)

 

L'accord collectif modifiant le dispositif de forfait annuel en heures ou en jours existant  détermine (C. trav., art. L. 3121-64) :

1° Les catégories de salariés susceptibles de conclure une convention individuelle de forfait;

2° La période de référence du forfait (année civile ou toute autre période de 12 mois consécutifs) ;

3° Le nombre d’heures ou de jours compris dans le forfait (dans la limite de 218 jours pour le forfait jours) ;

A noter que l'accord peut fixer le nombre maximal de jours travaillés dans l'année lorsque le salarié renonce à une partie de ses jours de repos en application de l'article L. 3121-59. A défaut de précision dans l'accord collectif, le nombre maximal de jours travaillés dans l'année est de 235 (C. trav., art. L. 3121-65) ;

4° Les conditions de prise en compte, pour la rémunération des salariés, des absences ainsi que des arrivées et départs en cours de période ;

5° Les caractéristiques principales des conventions individuelles, qui doivent notamment fixer le nombre de jours compris dans le forfait ;

6° Pour le forfait jours : les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié (4);

7° Pour le forfait jours : les modalités selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise (4) ;

8° Les modalités selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion (4).

L'accord de performance collective modifiant le forfait annuel en place  doit  comporter :

- les mentions énumérées à l’article L. 3121-64 (voir ci-contre), hormis la 5ème mention (sur les  caractéristiques principales des conventions individuelles) (C. trav., art. L. 2254-2) :

- un préambule précisant ses objectifs (C. trav., art. L. 2254-2).

Remarque : l’absence de préambule n’est pas sanctionnée par la nullité (C. trav., art. L. 2222-3-3)  mais pourrait remettre en cause la nature juridique de l’accord et donc son régime juridique. Il est donc préconisé de préciser qu’il s’agit d’un accord collectif entrant dans le cadre de l’accord de performance collective et répondant aux nécessités liées au  fonctionnement de l’entreprise ou  destiné à  préserver ou développer l’emploi en le justifiant.

D’autres clauses sont préconisées par l’article L. 2254-2 mais ne sont pas obligatoires  :

-modalités d’information des salariés sur l’application et le suivi de l’accord ;

-l’examen de la situation des salariés au terme de l’accord ;

-les modalités permettant de concilier vie professionnelle/vie personnelle et familiale

- les modalités d’accompagnement des salariés

- l’abondement au CPF en cas de refus de la modification de son contrat. A défaut, il est de 100 heures ;

-les efforts demandés aux dirigeants salariés, aux mandataires sociaux et aux actionnaires.

 

 

L’accord collectif doit également comporter les mentions obligatoires de droit commun :

- un préambule. Toutefois, son absence n’est pas de nature à entraîner la nullité de l’accord  (C. trav., art. L. 2222-3-3) mais son absence, dans le cadre de l’APC remettrait en cause le régime juridique applicable ;

 - forme et délai de son renouvellement ou de sa révision (C. trav., art. L. 2222-5);

-conditions de suivi et clause de rendez-vous (pas de sanction de nullité) (C. trav., art. L. 2222-5-1) ;

-si accord de durée  indéterminée : conditions de dénonciation et délai de préavis(C. trav., art. L. 2222-6).

Durée d’application de l’accord collectif

C’est à l’accord collectif de préciser s’il est à durée déterminée ou indéterminée. A défaut de précision, sa durée d’application est celle de droit commun :  5 ans (C. trav., art. L. 2222-4).

Publicité de l’accord collectif sur la base de données

L’accord collectif de droit commun est publié dans la base de données nationale accessible sur le site Legifrance (C. trav., art. L. 2231-5-1)

L’accord de performance collective n’est pas soumis à l’obligation de publication sur la base de données nationale (C. trav., art. L. 2231-5-1)

Information des salariés

A défaut de précision conventionnelle, un exemplaire de l’accord est disponible sur le lieu du travail et sur l’intranet de l’entreprise(C. trav., art. L. 2262-5 et R. 2262-1)

Un avis sur l’existence de cet accord est communiqué aux salariés (C. trav., art. R. 2262-3).

L’employeur informe les salariés, par tout moyen conférant date certaine et précise, de l’existence et du contenu de l’accord, ainsi que du droit de chacun d’accepter ou de refuser l’application à son contrat de cet accord (c. trav., art. L. 2254-2)

Acceptation du salarié : modalités

Le salarié peut accepter ou refuser l’application de l’accord modifiant le dispositif de forfait annuel en heures ou en jours.

L’application des modifications apportées au dispositif du forfait annuel déjà en place dans l’entreprise nécessite la conclusion d’un avenant à la convention individuelle  de forfait (C. trav., art. L. 3121-55 et L 3121-64)

La conclusion d’une nouvelle convention de forfait (ou d'un avenant)  n’est pas exigée : le dispositif de l’accord de performance collective  exclut expressément  l’application des articles L. 3121-55 et L. 3121-64 du code du travail sur la nécessité de la conclusion d’une convention individuelle (C. trav., art. L. 2254-2).

« L’acceptation de l’application de l’accord par le salarié… entraîne de plein droit l’application des stipulations de l’accord relatives au dispositif de forfait annuel » (C. trav., art. L. 2254-2).

Remarque : il sera difficile d’appliquer cette règle aux nouveaux embauchés et aux salariés qui n’avaient pas conclu de conventions individuelles de forfait. Il est donc préconisé, à notre avis, de conclure une telle convention dans cette hypothèse. Ce qui pose le problème des modalités d’acceptation et de refus.

Refus du salarié : modalités

Le salarié peut refuser l’accord ; s’il n’accepte pas en concluant un avenant, il s’agit d’un refus tacite

Le salarié peut refuser l’application de l’accord.

Il dispose d’un délai d’1 mois pour faire connaître son refus par écrit à l’employeur (C. trav., art. L. 2254-2).

Remarque : à l’expiration de ce délai, il semble que l’absence de refus écrit doive s’analyser en une acceptation tacite. En effet, il est précisé que  « lorsque l’accord modifie un dispositif de forfait annuel, l’acceptation de l’accord conformément aux III et IV( c’est-à-dire absence de refus écrit dans le délai d’1mois) entraîne de plein droit l’application des stipulations de l’accord relatives au dispositif de forfait annuel » (C. trav., art. L. 2254-2)

Refus du salarié : un motif de licenciement ?

Face au refus du salarié, l’employeur ne peut pas lui appliquer le forfait annuel prévu par l’accord collectif.

Le refus du salarié d’appliquer l’accord collectif n’est pas en soi un motif légitime de licenciement. A défaut de pouvoir justifier d’un motif notamment économique, le salarié ne peut être licencié. Le motif réel et sérieux du licenciement peut être contesté.

L’employeur dispose d’un délai de 2 mois à compter de la notification du refus du salarié pour engager une procédure de licenciement.

Ce licenciement repose sur un motif spécifique qui constitue en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement (C. trav., art. L. 2254-2).  

C’est la procédure du licenciement pour motif personnel qui s’applique (5).

Le salarié a droit à l’assurance chômage et a droit à un abondement de son CPF qui peut être déterminé par l’accord collectif. A défaut, l’abondement est  de 100 heures (C. trav., art. L. 2254-2 et D. 6323-3-2)

Situation à l’issue de la durée d’application de l’accord collectif

Si l’accord collectif est à durée déterminée, à la date d’expiration, il cesse de produire ses effets. Par conséquent, s’il n’est pas reconduit, les modifications apportées par l’accord collectif tombent à la date d’expiration de l’accord. .  Il est donc important de prévoir dans l’accord une clause sur « l’examen de la situation des salariés au terme de l’accord » (clause facultative prévue par l’article L. 2254-2) (6).

(1) Concernant le dispositif de forfait annuel pouvant être modifié, il peut aussi s’agir d’un dispositif qui avait été mis en place par un accord collectif de branche. Du fait de la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, l'accord d'entreprise peut déroger à l'accord de branche, même dans un sens moins favorable. 

(2) Il doit être signé par des syndicats représentatifs totalisant plus de 50% des suffrages en faveur des syndicats représentatifs aux dernières élections ou, à défaut par des syndicats représentatifs ayant obtenu plus de  30% des suffrages et validé par  referendum.

(3) L’article L. 2254-2 ne précise pas quel type de modification est visé. Il en résulte qu’il peut s’agir de l’une ou de plusieurs clauses de l’accord initial. Il devrait donc être possible, par exemple,  d’étendre le champ d’application de l’accord initial sur le forfait annuel : ce qui pose la question des modalités d’acceptation des salariés qui n’avaient pas conclu de conventions individuelles de forfait.

(4) Si l’accord collectif ne prévoit pas de dispositions sur le contrôle du suivi de la charge de travail (mention n° 6) et /ou sur la communication régulière sur la charge de travail, la rémunération, l’équilibre avec la vie personnelle et l’organisation du travail (mention n°7), ainsi que sur le droit à la déconnexion (mention n°8) l’employeur peut y remédier unilatéralement (C. trav., art. L. 3121-65 et L. 3121-66).

(5) « Ce licenciement repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse. Ce licenciement est soumis aux seules modalités et conditions définies aux articles L. 1232-2 à L. 1232-14 (procédure du licenciement personnel : entretien préalable, notification du licenciement) ainsi qu’aux articles L. 1234-1 à L. 1234-11 , L. 1234-14, L. 1234-18 (préavis et indemnité de licenciement), L. 1234-19 (certificat de travail) et L. 1234-20 (reçu pour solde de tout compte) » (C. trav., art. L. 2254-2-V).

(6) A la différence des anciens accords de maintien de l’emploi, il n’est pas prévu que l’application de l’APC suspende les stipulations du contrat contraires. Il n’y a donc pas reprise de la situation antérieure au terme de l’APC de manière systématique. Il est donc important de préciser dans l'accord collectif, la situation des salariés au terme de l'accord.

 
Nathalie Lebreton, Dictionnaire permanent Social
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