Le Prix "Facile à lire" Bretagne, la littérature pour tous

Le Prix "Facile à lire" Bretagne, la littérature pour tous

21.07.2017

Action sociale

C'est sa première édition, le Prix "Facile à lire" Bretagne s'adresse à un public d’ordinaire plutôt éloigné des livres, dans le champ du grand âge ou du handicap. Au-delà du plaisir de lecture, se profile un souci d’ouverture, de lien social. Mais, attention : un livre "facile" peut aussi être un très bon livre. Découverte.

Une sélection de huit ouvrages variés, un jury, un vote et un lauréat. A priori, ce premier Prix facile à lire Bretagne ne se distingue en rien des autres prix littéraires. Excepté qu’il est destiné à un public d’ordinaire plutôt éloigné de la lecture, dans les champs de la santé et du social. Treize bibliothèques bretonnes se sont passé le mot pour le rendre ludique et accessible à tous. Une initiative citoyenne et conviviale, ponctuée de rencontres et d’imprévus, qui sème doucement de nouveaux violons d’Ingres chez des personnes qui se pensaient interdites de plaisirs littéraires.

(Re) donner le goût de la lecture

Dès que l’on parle de livres, Mme Pautrel, 94 ans, a la voix d’une adolescente amoureuse. Où pointe une once de nostalgie, au souvenir de sa découverte, enfant, de la Comtesse de Ségur. Au foyer logement Anne Le Rouzic de Carnac, entre deux lectures du Figaro, domptant sa boulimie de romans, cette lectrice invétérée essaye de transmettre sa passion aux autres résidents. Mais à ses petits-enfants comme aux voisins du foyer logement, ce n’est pas chose aisée. « J’achète souvent des livres, je lis tout ce que je trouve. Ensuite, je propose aux gens de leur prêter mes livres. Quelques-uns viennent m’en emprunter. » En plus de ses achats, cette férue de lettres attend avec impatience la visite de la médiathèque de Carnac, qui se déplace chaque mois à l’établissement. La dernière fois, celle-ci avait dans ses cartons les livres du prix Facile à lire. Alors bien sûr, pour Mme Pautrel, ces livres courts ont des airs d’apéritif littéraire. « On lit ces livres en une soirée, certains sont brefs. » Mais la beauté de l’objet réside parfois ailleurs. « Le livre sur Peau d’âne est magnifique. C’est un très beau travail d’illustration ». Touchée par La nappe blanche, « l’histoire de cette famille bretonne qui ne sort cette nappe que pour les grandes occasions », Mme Pautrel a surtout saisi tout l’enjeu du Prix facile à lire, car ils ont tous deux un intérêt commun : la transmission. (Re) donner le goût de la lecture. Alors, même si elle doit s’absenter plusieurs jours, elle sait qu’elle reviendra pour voter, au moment opportun.

Des livres plus courts, écrits plus gros ou remplis d'image

Destiné à un public plutôt éloigné de la lecture, le Prix facile à lire n’en reste pas moins un antre de littérature ouvert à tous. Les livres sont avant tout des livres pour adultes, simplement ils peuvent être courts, avec une police d’écriture plus grosse, être lus par bribes, ou bien encore laisser la part belle aux images. Le livre de François Morel et Martin Jarrie, La vie des gens, est ainsi une série de portraits, on peut donc en lire un, deux ou quinze, au gré de ses envies et possibilités. En Bretagne, cela fait un moment que les espaces « Facile à lire » ont commencé à éclore dans les médiathèques. Et il est à parier que cette nouvelle initiative participera à leur essor. Ce prix littéraire, fédéré par la région Bretagne et pensé par l’établissement public Livre et Lecture en Bretagne et par l’association Les chemins de lecture, a ainsi conquis treize bibliothèques, qui elles-mêmes disséminent les huit ouvrages retenus auprès d’établissements spécialisés, Esat, Ehpad, foyers médicalisés… Des partenaires sociaux qui se montrent ravis de l’engouement de leur public.

"Nous les orientions vers les ouvrages pour adolescents"

Marion Girault, directrice de la médiathèque de Carnac, saisit ainsi l’occasion de lancer un fond « facile à lire ». Le mobilier spécifique est déjà commandé. L’espace aura son identité propre, aisément reconnaissable. La médiathèque possède le label tourisme & handicap, forme son personnel en adéquation avec ses valeurs, et poursuit sa démarche d’accessibilité avec le prix. « Il y a une vraie demande d’adultes pour ce genre de livres. Jusqu’à présent nous étions un peu décontenancés, et nous les orientions vers les ouvrages pour adolescents, voire pour enfants. Mais les problématiques ne sont évidemment pas adaptées à des adultes ! La vérité, c’est que des livres qui sont ‘faciles à lire’ il y en a plein, ils sont seulement noyés au milieu de nos rayonnages. Il faut juste prendre le temps de les trouver et de les extraire. » Marion Girault n’appréciait pas cette infantilisation du lecteur, et trouve dans ces livres inconsciemment adaptés une solution idéale, qui régale ses nouveaux lecteurs. Un livre "facile" peut aussi être un très bon livre.

Les auteurs sont conviés à des lectures

Au-delà de l’idée du plaisir de lecture se profile un souci d’ouverture, de lien social. D’apprendre à fréquenter un établissement culturel. Et surtout de s’octroyer le droit de le faire. Extraire doublement ces publics empêchés, de leurs lieux habituels certes, mais aussi, pour certains, de leur mésestime d’eux-mêmes. Et le Prix facile à lire ne s’arrête pas là. Les auteurs sont conviés à des lectures, une bibliothèque sera elle aussi récompensée pour ses actions de médiation innovantes. Au programme, débats, quiz, animations, rencontres avec le public. Il fallait penser à tout, doubler des rencontres en LSF (langue des signes française), improviser de l’audio description, trouver la version audio de certains livres. "On teste encore comment présenter les livres, le prix, auprès des publics. Et ensuite, nous souhaitons élargir nos partenariats, avec le CCAS de Carnac notamment" explique Marion Girault. La mise en place de ces médiations, l’accompagnement des publics, se construisent petit à petit. "Pour les rencontres avec les auteurs, il pouvait parfois y avoir un peu d’appréhension." Quant à la légitimité, elle semblait à conquérir pour ces publics hésitants.

"Avant, je ne pouvais pas lire, je ne comprenais pas les mots"

À l’Esat de La Chartreuse, à Auraix, le public est en situation de handicaps sensoriels, visuels et auditifs. Sylvie Gautier, chargée de soutien, ne voit que des avantages à ce nouveau prix. Et ne cache pas son bonheur en se rappelant cette ouvrière de l’établissement qui est venue lui dire, fière, que ça y est, elle avait lu un livre. Pour la première fois. L’éducatrice observe l’impact de l’expérience au quotidien. Et savoure les paroles des premiers jurys du premier Prix facile à lire, comme Florent. « Le prix, ça permet de s’inscrire à la lecture et de faire travailler la mémoire, de se faire connaître en participant, et d’intégrer l’Esat dans le milieu social. De montrer que des ouvriers en situation de handicap sont capables de faire partie d’un jury ». Myriam, elle, est heureuse de rencontrer "des gens intéressants" et surtout "de se savoir capable. Avant, je ne pouvais pas lire, je ne comprenais pas les mots." Le choix de ces premières lectures va influer la suite, baliser le rapport que l’on entretient avec l’objet. Il doit être à la fois judicieux et marquant. Anne-Sophie, de l’Esat, gagne aussi en confiance. "Je ne lisais pas parce que je ne comprenais rien. J’ai découvert des petits livres comme Roméo & Juliette et depuis je lis. Maintenant je sais que je peux lire des petits livres". Comme quoi le flacon est important. Alors quand en plus se profile l’ivresse…

"Cette notion de vote n’est pas anodine"

Mais le véritable challenge se jouait peut-être ailleurs. Car comme pour tout prix, il faut voter. « Cette notion de vote n’est pas anodine, confie Marion Girault. Au début, les ouvriers de l’Esat participant au prix ne se sentaient pas légitimes, se considérant petits ou mauvais lecteurs. Ils ont gagné en confiance en eux, en leur capacité de jugement de lecteur ». Ainsi, Ludovic parle "d’une responsabilité nouvelle". Sylvie Gautier a fait en sorte que tout le monde puisse voter, et a créé un bureau de vote adapté au sein de l’Esat. Armée de sa Machine Perkins, la chargée de soutien a fait elle-même les bulletins de vote en braille, pour ces ouvriers en situation de handicap, qui reconnaissent tous être "ravis d’avoir pu échanger avec les auteurs et d’avoir pu écouter les lectures à voix haute". Cette énergie bretonne, insufflée au départ par François Sarnowski, ancienne bibliothécaire et fondatrice des Chemins de lecture, ne cesse de faire des émules. Et dévoilera son premier lauréat le 22 septembre prochain, à Auraix. Un auteur récompensé par des lecteurs qui n’avaient jamais pensé être un jour lecteurs.

 

Les huit ouvrages du Prix facile à lire
  • L’ABC… Z des Héroïnes, Marilyn Degrenne et Florette Benoit (Ed. La Balade des livres).
  • Un autre choix, Frédérique Dolphijn (Ed. Weyrich – Collection La Traversée).
  • La masure de ma mère, Jeanine Ogor et Jean Rohou (Ed. Dialogues).
  • La nappe blanche, Françoise Legendre (Ed. Thierry Magnier).
  • Un océan d’amour, Grégory Panaccione et Wilfrid Lupano (Ed. Delcourt).
  • Peau d’âne, Hélène Druvert (Ed. Gautier-Languereau).
  • Roméo et Juliette, Valérie de La Rochefoucauld (Ed. Didier Jeunesse).
  • La vie des gens, François Morel et Martin Jarrie (Ed. Les Fourmis Rouges).

 

Action sociale

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Elsa Gambin
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