"Le RH bashing s’est développé au moment où les DRH ont revendiqué un rôle de partenaire stratégique"

"Le RH bashing s’est développé au moment où les DRH ont revendiqué un rôle de partenaire stratégique"

22.03.2018

Gestion du personnel

Avec le livre de Didier Bille "DRH, la machine à broyer", la fonction RH a une nouvelle fois concentré les critiques les plus caricaturales. Michel Barabel, maître de conférences en GRH à l’université Paris-Est, revient sur l'origine du RH bashing tout en proposant des pistes pour réhabiliter la fonction.

Le reportage d’Envoyé Spécial, le 8 mars, et la parution du livre de Didier Bille, "DRH, la machine à broyer", le 15 mars, ont suscité l'indignation de la profession. Comment avez-vous réagi ?

Sincèrement, ce reportage m’a déprimé. Bien sûr, les pratiques de "ranking forcé", les plans sociaux ou le recours à des cost killers ont existé. Il ne s’agit pas de nier la crise économique de 2007, la mondialisation, l’hyper compétition. Il ne s’agit pas non plus d’occulter les fusions ni même les restructurations. Le problème n’est pas la pratique. Mais ce qui m’attriste, c’est cette volonté de montrer la force obscure de la profession, sans contrebalancer avec les principes éthiques des professionnels RH, les initiatives créatrices de valeur, bénéfiques aux collaborateurs. D’autant que Didier Bille est loin de représenter la profession. Il s’agit d’un manager de transition employé par des groupes américains. Soit une image partiale et partielle du métier.

La profession souffre toutefois d’un déficit d’image. Quelle est l’origine du RH bashing ?

Le désamour date depuis de nombreuses années. En 2005, la publication de l’article "Why we hate HR" dans le magazine américain Fast Company était un signe précurseur. Le cinéma est sur cette même ligne : un de mes collègues, François Graveleau, a passé en revue les films de ces 25 dernières années, de 1970 à 1995. Aucun n’y associe une figure positive du DRH. Pire : il est toujours perçu comme inhumain, sans pitié par rapport aux autres, à l’image de Didier Bille d’Envoyé Spécial. Même la chanson s’y met : en 2014, mes étudiants m’ont fait écouter Anaïs qui entonne : "D comme déconnecté, R comme brasser de l’air, H comme hache de guerre, DRH, D comme jeter des dés, R comme jeter à terre, H comme payer moins cher".

Comment en est-on arrivé là ?

Le RH bashing s’est développé au moment où la fonction, longtemps cantonnée à la sphère administrative, obtenait ses lettres de noblesse en revendiquant un rôle de partenaire stratégique de la fonction. En 1996, un chercheur américain, Dave Ulrich, invente le concept de "business partner", en définissant quatre rôles essentiels et indissociables à la fonction : un rôle administratif (payer, répondre aux obligations légales) ; stratégique (au service de la direction générale), de facilitateur (accompagnateur du changement grâce aux politiques de formation, de développement des compétences) et un rôle de proximité (à l’écoute des collaborateurs). Or, de nombreux professionnels RH n’ont pas respecté ces quatre missions. Beaucoup ont tenté de s’extraire de l’expertise administrative pour aller vers la stratégie et rejoindre les Codir ou Comex, beaucoup plus flatteurs. Mais ce positionnement ne leur a pas réussi. Ils ont perdu sur tous les tableaux. Côté direction, ils n’ont pas réussi à convaincre leur direction générale, n’ayant pas voix au chapitre. Côté salariés, ils ont été perçus comme des professionnels au service de la direction pour exécuter les basses œuvres. Du coup, la fonction se retrouve au milieu du gué : elle ne séduit toujours pas les dirigeants et, en plus, elle a perdu les salariés. D’où le RH bashing ou "fonction RH fantomette", selon une étude de SAP/ Boson Project de 2016.

Comment changer l’image de la profession ?

Il n’existe pas de recette magique. Mais à l’ère du tout-informatique et de l’intelligence artificielle, la fonction a une carte à jouer. Nous avons ainsi identifié plusieurs axes de légitimation. Le premier, c’est la dimension humaine. La technologie peut être une opportunité extraordinaire pour se dégager des tâches chronophages. Le DRH ne verra plus un salarié pour la saisie de ses congés - c’est une application, un chabot ou intranet qui peut la faire -  mais pour des échanges de haute valeur ajoutée. Ensuite, le DRH doit regagner la confiance des collaborateurs. A l’instar d’autres institutions (Etat, policiers, actionnaires), son image est dénigrée. Il doit désormais être reconnu comme un expert capable de conduire des innovations. Non pas en élaborant un discours ou un plan sur une quelconque stratégie digitale, mais en développant des solutions concrètes pour son propre service.

Autre axe : se positionner comme "éclaireur", à l’écoute de son environnement pour comprendre l’évolution de la société et adapter ces tendances aux aspirations des collaborateurs. C’est le DRH "hors les murs" qui nourrit ses réflexions par des colloques, des rencontres.

Un DRH doit également incarner un rôle de justicier. C’est le côté DRH protecteur, prompt à s’approprier des thèmes tels que les discriminations, le harcèlement, les addictions, le burn-out…  Capables de faire face à un dirigeant. Enfin, le DRH doit développer une assistance vis-vis des salariés, à l’instar d’un coach. Avec l’objectif d’être perçu comme une fonction facilitante créant un environnement propice à l’épanouissement des gens, proche de leurs préoccupations.

Pensez-vous qu’il faille scinder la fonction RH ?

L’idée avait été suggérée par la Harvard Business Review. En 2015, dans son numéro d’été, la revue a choisi un titre-choc à la une : "It’s time to blow up HR and build something new. Here’s now"  ("Il est l’heure d’éclater les RH et de construire quelque chose de nouveau. Maintenant"). Mais je ne crois pas à la scission. Avec d’un côté l’administration du personnel, la paie, le droit du travail. Et de l’autre, la stratégie. Car l'administration du personnel, ce sont des données précieuses. Cette data, que l'on peut combiner à des analyses prédictives, est l'or noir du XXIème siècle.

Pour être légitime, les DRH doivent à la fois avoir une posture basse, c’est-à-dire exceller dans la compréhension et la maîtrise des enjeux sociaux et réglementaires, mais aussi une posture haute, pour co-construire des trajectoires avec les salariés et favoriser la montée en compétences. Pour être crédible, il doit incarner ces deux dimensions d’une même pièce.

Quelles sont les autres solutions ? Que pensez-vous d’une charte éthique ou de l’instauration d’une clause de conscience ?

Une charte n’est pas coercitive. Mais elle aurait le mérite de rappeler les règles professionnelles qui garantissent les comportements et les professionnalismes. Elle aurait ainsi vocation à servir de guide aux professionnels pour contrer d’éventuels ordres des états-majors. Quant à une clause de conscience, elle pourrait également être une solution pour protéger l’intégrité des DRH. Et donner une image rénovée de la profession et donc un regain de confiance. L'idée est de se doter d'une "soft law" pour mettre en lumière les bonnes pratiques qui pourraient inspirer au quotidien les DRH.

 

Michel Barabel
Michel Barabel co-dirige, par ailleurs, le Master 2 "GRH dans les multinationales "de l’IAE Gustave-Eiffel. Il est responsable du module “transformation digitale et RH” du master RH de Sciences-Po Paris. Il préside le groupe d’études et de recherche Dever. Il a publié "Innovations RH. Passer en mode digitale et agile" (Dunod), co-écrit avec Olivier Meier "Manageor. Tout le management à l’heure digitale" (Dunod) et il a coordonné avec Olivier Meier et André Perret "A quoi ressemblera la fonction RH demain ?" (Dunod).

 

Gestion du personnel

La gestion des ressources humaines (ou gestion du personnel) recouvre plusieurs domaines intéressant les RH :

- Le recrutement et la gestion de carrière (dont la formation professionnelle est un pan important) ;
- La gestion administrative du personnel ;
- La paie et la politique de rémunération et des avantages sociaux ;
- Les relations sociales.

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