Les rapprochements de structures à l’heure de la négociation d’anticipation

Les rapprochements de structures à l’heure de la négociation d’anticipation

23.09.2016

Action sociale

Le législateur a prévu des compensations à la suppression de la notion d'avantage individuel acquis. La loi Travail crée en effet de nouveaux instruments juridiques pour inciter les partenaires sociaux - dont les entités se rapprochent - à harmoniser, le plus en amont possible de l’opération, le statut collectif applicable aux salariés. Explications de Stéphane Picard, avocat.

La mort de l’avantage individuel acquis (AIA) le 10 août dernier devait s’accompagner d’une ou plusieurs compensations pour les partenaires sociaux : c’est notamment chose faite avec les accords d’anticipation, de transition ou d’adaptation. La disparition de cette notion d'AIA n'aura donc pas forcément pour corollaire la fin des négociations pour adapter le statut conventionnel des salariés transférés à celui applicable au sein de la structure d’accueil.

La loi Travail a en effet créé deux nouveaux instruments juridiques venant compléter les dispositions de l’article L. 2261-14 du Code du travail relatif à la modification de la situation juridique de l’employeur (fusion, scission, transfert partiel, etc.) entraînant la mise en cause des dispositions conventionnelles.

L’intention du législateur est évidente : inciter les partenaires sociaux à harmoniser, le plus en amont possible de l’opération, le statut collectif applicable aux salariés.

Rappel des dispositions antérieures à la loi Travail

Lorsque l’application d’un accord est mise en cause dans une entreprise cet accord continue de produire effet jusqu’à l’entrée en vigueur de l’accord qui lui est substitué.

Une nouvelle négociation doit alors s’engager dans l’entreprise concernée, à la demande d’une des parties intéressées, dans les trois mois suivant la mise en cause, soit pour l’adaptation aux dispositions conventionnelles nouvellement applicables, soit pour l’élaboration de nouvelles stipulations.

La négociation de cet accord avait également pour intérêt d’éviter l’incorporation, dans le contrat de travail des salariés transférés, des avantages individuels qu’ils avaient acquis au titre du statut mis en cause.

Cette incorporation intervenait à l’expiration du délai de survie du texte « mis en cause » généralement à l’expiration d’un délai de 15 mois (3 mois de préavis et 12 mois de survie).

La mort de l’avantage individuel acquis aurait ainsi pu sonner le glas de cette négociation, faute d’intérêt pour l’employeur.

Or, il est évident que la période de cohabitation (15 mois) de deux statuts peut s’avérer particulièrement problématique. Par ailleurs, l’accord de substitution ne pouvait être négocié qu’une fois l’opération de fusion effective. Pire encore, cet accord collectif ne pouvait entrer en vigueur qu’après l’expiration d’un délai de préavis, généralement fixé à 3 mois.

Autrement dit, et malgré l’éventuelle anticipation des partenaires sociaux, il existait une période incompressible de 3 mois où la cohabitation des deux statuts était inévitable avec son lot de contraintes techniques et juridiques.

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Permettre une négociation « à froid »

Pour donner un second souffle à cette négociation et prenant en compte les préconisations du rapport Cesaro [1], la loi Travail bouleverse la situation en permettant une négociation « à froid » lorsque le projet de fusion est simplement envisagé et non plus « à chaud » lorsque la fusion est « consommée ». Les parties pourront désormais anticiper la négociation avec une entrée en vigueur du fruit des négociations dès le jour de l’opération, fini le délai de préavis de 3 mois.

Ce qui avait été timidement appréhendé par la Cour de cassation est désormais inscrit, avec force, dans le Code du travail.

Pour y parvenir, le Code prévoit deux mécanismes distincts :

  • un accord de transition, à durée déterminée, concernant uniquement les salariés dont le transfert est envisagé suite à l’opération de rapprochement ;
  • un accord d’adaptation, concernant cette fois-ci l’ensemble du périmètre c’est-à-dire non seulement les salariés transférés mais aussi les salariés de la structure d’accueil.

L’accord de transition [2], d’une durée maximale de 3 ans, est négocié entre les représentants des deux structures et les organisations syndicales de la seule structure absorbée. Les organisations syndicales de l’entité d’accueil sont, faute d’accord plus favorable, exclues de la négociation.

Ce point n’est évidemment pas neutre puisque les employeurs pourraient être tentés, notamment en cas de dialogue social tendu au sein de l’entreprise d’accueil de négocier en « catimini » le sort du statut collectif des salariés transférés.

Cependant, cet accord de transition « s’applique à l’exclusion des stipulations portant sur le même objet des conventions et accords applicables dans l’entreprise ou l’établissement dans lequel les contrats de travail sont transférés ».

Ce point mérite une attention particulière. En effet, aucune mention n’est faite du caractère plus ou moins favorable de la clause ou du texte en concours. Autrement dit, un accord au sein de l’entreprise d’accueil moins favorable, portant sur le même objet, trouverait application, nonobstant la négociation d’un accord de transition… ce qui limiterait les velléités de négociation en « catimini » avec l’éventuelle organisation syndicale « maison ».

Enfin, à l’issue de l’accord de transition à durée déterminée, les conventions et accords applicables dans l’entreprise ou dans l’établissement dans lequel les contrats de travail des salariés ont été transférés s’appliqueront immédiatement à ces salariés, fin de la transition…

L’accord d’adaptation anticipé [3] est, quant à lui, négocié avec les représentants des deux structures et les organisations syndicales représentatives au sein de ces dernières (structure absorbée et structure d’accueil). Cette différence fondamentale avec l’accord de transition est parfaitement logique puisque celui-ci doit s’appliquer à l’ensemble des salariés. Il s’agit ici de construire un nouveau statut collectif global.

A ce titre et contrairement à l’accord de transition, l’accord d’adaptation pourra avoir une durée supérieure à trois ans (5 ans maximum) y compris à durée indéterminée.

Autre caractéristique de cet accord, celui-ci se substitue aux conventions et accords mis en cause (c’est-à-dire dans la structure absorbée) et révise les conventions et accords applicables dans l’entreprise ou l’établissement dans lequel les contrats de travail sont transférés.

Cette double vocation limitera drastiquement l’utilisation de cet accord d’adaptation d’anticipation. En effet, rare seront les structures qui décideront de réviser leur statut interne à l’occasion d’une opération de rapprochement. Evidemment, cette révision pourrait être réalisée « a minima » sur un article « mineur » d’un accord collectif…

Loi santé du 26 janvier 2016

Morceaux choisis d'un texte aux multiples facettes

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Date d'entrée en vigueur ?

L’entrée en vigueur de ces nouveaux outils pouvait poser question. L’étude d’impact de la loi Travail ne contient aucun développement sur l’application dans le temps de ces deux dispositifs. Le rapport de la commission des affaires sociales sur le projet de loi du 7 avril 2016 donne la réponse suivante :

A compter du 10 août 2016, les accords de transition et d’adaptation devront être approuvés par des organisations syndicales représentatives à hauteur de 30 % dans l’entreprise ou l’établissement ayant vocation à être restructuré (ou 30 % des organisations syndicales de salariés représentatives sur le périmètre de l’ensemble des entreprises ou établissements concernés par le projet de restructuration, y compris l’entreprise d’accueil).

À compter du 1er septembre 2019, l’accord devra être approuvé dans les mêmes conditions mais à la majorité.

À défaut d’accord majoritaire et dans l’hypothèse où les organisations syndicales de salariés précitées ont obtenu plus de 30 % des suffrages, les employeurs pourront organiser un référendum afin de valider l’accord à la majorité.

Ces deux dispositifs sont donc d’ores et déjà applicables aux projets d’opérations de fusion ou de rapprochement.

Notons qu’un accord de transition ou d’adaptation ne portant que sur le temps de travail, les repos ou encore les congés payés devrait revêtir la forme majoritaire dès le 1er janvier 2017 [4].

En conclusion, ces deux outils sont une chance pour un secteur social et médico-social où les concours de textes conventionnels sont trop souvent la règle plutôt que l’exception.

Reste à savoir si les directions générales et des ressources humaines sauront s’en saisir de façon efficiente.

 

Stéphane Picard, avocat

Cabinet Picard Avocats www.picard-avocats.com

Co-fondateur du réseau ACC3S (réseau d’experts du secteur sanitaire et social) www.acc3s.org

 

[1] Rapport de Jean-François Cesaro sur la dynamisation de la négociation collective du 22 janvier 2016.

[2] Article L. 2261-14-2 du Code du travail.

[3] Article L. 2261-14-3 du Code du travail.

[4] Article L. 2232-12 du Code du travail.

Stéphane Picard
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