Mort des SDF : cruelles réalités et idées reçues

Mort des SDF : cruelles réalités et idées reçues

16.12.2016

Action sociale

Le collectif Les morts de la rue a rendu public son rapport sur la mortalité en 2015 des personnes sans-domicile. Celui-ci a recensé près de 500 décès, mais le nombre réel serait cinq fois plus nombreux. Le collectif démonte des idées reçues sur cette mortalité qui serait corrélée à la période hivernale, à la consommation d'alcool et à l'isolement relationnel.

A l'approche de Noël, les initiatives vont se multiplier pour offrir un répit festif aux sans domicile fixe. Entre des images sur les préparatifs des fêtes et les cadeaux à la mode, les médias poseront leur caméra sur ces élans de solidarité. Mais ils oublieront sans doute de raconter la démarche au long cours du collectif Les morts dans la rue qui oeuvre depuis 2002 pour offrir une sépulture digne à ces morts souvent anonymes (avec des cérémonies collectives d'hommage). Ce que l'on sait moins, c'est que ce collectif réalise un vrai travail de recensement de ces décès et de leurs caractéristiques sociales.

Une petite partie de l'iceberg

En 2015, 497 décès de personnes sans domicile ont été recensés par le collectif* (auxquels il conviendrait d'ajouter 88 personnes connues pour avoir vécu auparavant dans la rue). Mais ce n'est qu'une partie de l'iceberg : selon une étude réalisée par un centre de recherche de l'Inserm entre 2008 et 2010, le nombre de morts annuelles tournerait autour de 2 800. L'analyse de ces 500 décès par le collectif dans ce rapport "Dénombrer et décrire" permet de mieux comprendre le profil de ces personnes.

Action sociale

L'action sociale permet le maintien d'une cohésion sociale grâce à des dispositifs législatifs et règlementaires.

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Un homme de 49 ans, à la rue depuis dix ans

S'appuyant sur la collaboration de divers partenaires (associations, travailleurs sociaux, simples citoyens), le collectif a réussi à renseigner 88 % des décès enregistrés en 2015 (un taux en amélioration d'année en année). Le profil-type est celui d'un homme (92 %), âgé de 49 ans, qui a connu dix ans de vie dans la rue. On notera que près de la moitié de ces personnes disposaient de ressources (RSA, AAH, travail informel). Cette question, même si elle n'est pas négligeable, ne suffit pas à expliquer la mise à la rue des gens : la perte de logement est souvent liée à un événement personnel (séparation, perte de travail, maladie).

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La maladie ou la violence en cause

Les causes de décès ne sont connues qu'une fois sur deux et les deux facteurs les plus cités sont la maladie (plus présente chez les plus âgés) et la violence d'une bagarre ou d'une agression (davantage chez les jeunes). Les personnes sont décédées une fois sur trois dans un lieu de soin et dans la même proportion sur la voie publique. Parmi ces 500 décès, le collectif a relevé ceux de 11 Roms (dont 5 enfants) et de 29 migrants qui tentaient de rejoindre l'Angleterre.     

Hiver meurtrier ?

L'autre grande vertu de cette étude est de déconstruire un certain nombre d'idées reçues. Commencez par faire le test autour de vous en demandant : à quelle saison les SDF ont-ils le plus de risque de mourir ? Neuf personnes sur dix vous répondront : en hiver, bien sûr. En fait, les réalités sont beaucoup plus contrastées : les 3 mois où on observe un pic de décès recensés correspondent en 2015 à mars, juillet et octobre. Il est probable que le renforcement du dispositif d'hébergement d'urgence (même s'il est largement insuffisant) en période hivernale (du 1er novembre au 31 mars) permet de protéger des SDF qui se retrouvent fragilisés lors de leur sortie du dispositif hivernal. Parmi les 497 décès en 2015, le collectif en a recensé 5 liés à des hypothermies et 4 �� des incendies hivernaux dans des squats ou des véhicules. 

SDF alcoolos ?

Seconde idée reçue : le décès de ces SDF serait très lié à une consommation abusive d'alcool. "Au moins depuis le film de Renoir, "Boudu sauvé des eaux" (1932) avec Michel Simon et sa trogne, on associe largement la rue et l'alcool", explique le collectif. La réalité est, là aussi, plus compliquée. Les chiffres varient du simple au double. Selon une étude réalisée en 2009, 20 % des personnes sans domicile présenteraient une addiction à l'alcool. L'étude "Dénombrer et décrire" parle d'un taux de 37 % parmi les décès de 2015. Cette différence s'explique essentiellement par des populations différentes : la première étude s'appuie sur l'ensemble des personnes sans domicile alors que les décès enregistrés sont surtout ceux de gens à la rue et/ou vivant dans les centres d'urgence (qui représentent 20 % des sans domicile). Surtout, explique le collectif, il faut se méfier de nos propres représentations : "Une consommation visible sur la voie publique n'est pas nécessairement une addiction au sens médical". Il n'en reste pas moins que les causes de décès liées à l'alcool (s'observant dans la fréquence de certains types de pathologies et de cancers) sont deux fois plus fréquentes chez les SDF que parmi la population générale. Sauf que dans 80 % des décès des personnes à la rue, le facteur alcool n'est pas déterminant.

Isolement total ?

Enfin, l'étude tord le cou à une autre idée reçue : le SDF qui meurt serait totalement isolé. C'est ce que certains chercheurs désignent sous le terme de "mort sociale". Or, explique le collectif, "les personnes SDF sont intégrées à leur manière dans les tissus sociaux de leurs lieux de vie, le lien humain se fait malgré les différences de vie et les difficultés d'échange". La moitié des personnes décédées en 2015 bénéficiait d'un suivi social, assuré le plus souvent par une structure associative. 

Petits fragments d'humanité

Pour appuyer ce constat, le collectif raconte que des volontaires en service civique déposent des affiches à proximité du lieu de décès d'un SDF. "De nombreuses personnes leur répondent, des voisins et passants, touchés par le départ d'une personne, qui faisait partie de leur quotidien, et avec qui les liens s'étaient établis depuis des années." Voilà un autre cliché battu en brèche : celle d'une incommunicabilité entre personnes avec ou sans toit.   

 

* Outre Paris, le collectif compte quinze équipes régionales. Plus d'informations sur le site du collectif.

Noël Bouttier
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