Prévention de la radicalisation : le Sénat veut changer d'approche

Prévention de la radicalisation : le Sénat veut changer d'approche

23.02.2017

Action sociale

Un rapport sénatorial de 2015 pointe les insuffisances, parfois graves, de la France face à la prévention de la radicalisation. En matière sociale, les sénateurs souhaitent un renforcement des politiques de prévention (en faisant évoluer les messages délivrés), un réel accompagnement des personnes sortant de la radicalisation et un enseignement du fait religieux à l'école.

[Note de la rédaction le 27 février : Par erreur, nous avons rendu compte de ce rapport qui remonte à 2015, issu des travaux de la commission d'enquête du Sénat sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe. En fait, nous souhaitions parler du bilan d'étape de la mission d'information de la commission des lois du Sénat présenté le 22 février (mais non encore rendu public) par Esther Benbassa et Catherine Troendlé sur la politique en matière de "désendoctrinement, désembrigadement et de réinsertion des djihadistes" (lire notre information). A part quelques éléments très factuels, nous avons conservé en l'état l'article initial. Nous présentons à nos lecteurs nos excuses pour cette confusion entre les différents rapports sénatoriaux.]

   

La commission des lois du Sénat a publié un rapport important et décapant sur "l'organisation et les moyens de lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe". Le propos est vaste car il englobe les questions de sécurité intérieure, de politique pénale et de coopération européenne notamment sur les plans judiciaire et policier. Il comporte également un important chapitre intitulé "Prévenir la radicalisation".

La France grand "fournisseur" de djihadistes

Le constat est clair, selon les auteurs du rapport : "La France aurait, par rapport à ses voisins européens, un retard certain en matière de prévention de la radicalisation." Ce genre d'information est préoccupant quand on sait que notre pays détient le "record" en Europe en termes de départ de personnes vers les terres moyen-orientales du djihad. Certes, soulignent les parlementaires, le gouvernement a créé en avril dernier le centre national d'assistance et de prévention de la radicalisation (CNAPR). Mais, comme souvent en France, la multiplicité des acteurs qui rend difficile la coordination et les pesanteurs administratives compliquent sérieusement le réveil national.

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Sur la question du repérage - qui ne peut jamais être sans faille, précise le rapport - l'absence de "grille d'analyse partagée" est cruellement soulignée. Si bien que les acteurs de terrain ont du mal à distinguer conversion à l'islam de l'embrigadement par un réseau djihadiste. La "méconnaissance profonde de l'islam" - comme des autres religions - est pointée. Les sénateurs souhaitent que dans chaque administration de proximité, en particulier pour l'aide sociale à l'enfance (ASE) et les caisses d'allocations familiales (CAF), soient développées des compétences spécifiques permettant aux agents d'être mieux outillés pour repérer les évolutions potentiellement dangereuses. Le rapport note des réalisations ou projets intéressants dans diverses administrations : ainsi dans la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), se mettent en place des actions de formation en direction des "9 000 personnels du secteur public et les 2 200 professionnels du secteur associatif", ainsi qu'un réseau de référents laïcité et citoyenneté.

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Le CNAPR doit prendre, par ailleurs, une autre dimension. Les sénateurs s'étonnent - le mot est faible - que le numéro vert ne soit accessible que du lundi au vendredi de 9h à 18h (comme une administration lambda). Le reste du temps, les appels sont renvoyés vers les services de police, ce qui est particulièrement problématique quand on veut toucher l'ensemble des couches de la population. D'ailleurs, cet outil n'est utilisé que par les familles des classes moyennes ou aisées.

Difficile détection de la radicalisation

Tous les observateurs vigilants l'ont noté : le processus de radicalisation se fait souvent dans la discrétion et n'est pas toujours associé à des signes extérieurs (alors que c'était le cas lors des départs vers l'Afghanistan ou l'Algérie dans les années 80 et 90). "Au niveau européen, 53 % des combattants n'auraient pas été détectés", note le rapport. Donc, il faut construire, avec le concours des différents cultes, "une grille d'indicateurs listant les différents comportements susceptibles de signaler l'engagement de processus de radicalisation." Actuellement, tout le monde bricole, plus ou moins, et avec plus ou moins de talent, des critères. Une grille faisant consensus permettrait de réduire, espèrent les parlementaires, "le recours à des critères simplistes ou entraînant des stigmatisations injustifiées".

S'appuyer sur les anciens djihadistes...

Un autre changement est ardemment souhaité par les sénateurs : un nouveau discours sur les réseaux sociaux avec la campagne internet stop-djihadisme.gouv.fr. Le fait que le site se termine par "gouv.fr" est problématique en soi. Le rapport préconise de travailler dans une vraie collaboration entre les pouvoirs publics et la société civile, comme c'est déjà le cas en Grande-Bretagne, pays cité en exemple. Outre-Manche, la fondation Quilliam spécialisée dans l'antiterrorisme s'appuie sur le témoignage d'anciens djihadistes, mais aussi sur la parole des mères, soeurs ou épouses des combattants. Un choix qui fait polémique en France.

... et revoir les messages

Il faut donc s'interroger sur l'ensemble des messages délivrés, en regardant de plus près leur interprétation possible. Par exemple, l'ensemble des campagnes mettent en avant le risque mortel couru par les personnes souhaitant partir en Syrie. "Cette construction manichéenne pourrait manquer sa cible : il est permis de penser que certains des éléments dénoncés - une mort solitaire - feraient précisément partie de l'idéal que les jeunes radicalisés souhaitent aller trouver en Syrie", note le rapport.

Les exemples anglais, danois et néerlandais

Les sénateurs insistent également sur l'importance de mieux coordonner les politiques de réinsertion, pour ceux qui rentrent de Syrie (sans être inquiétés par la justice) ou ceux qui ont été "empêchés" de partir. Là encore, la France a du retard par rapport à ses voisins. En Angleterre toujours, "tout signalement effectué auprès d'une instance de coordination locale donne lieu à une évaluation permettant de définir le mode d'intervention approprié", explique le rapport. Cette démarche - qui existe également aux Pays-Bas et au Danemark - suppose évidemment une relation de confiance entre les services de police et les acteurs de la société civile, ce qui est loin d'être évident en France.

Que faire des réticences des travailleurs sociaux ?

Le chercheur Pierre Conesa interrogé par la mission sénatoriale raconte qu'aux Pays-Bas, pour vaincre les réticences des travailleurs sociaux hostiles à des actions de détection précoces, des programmes de formation ambitieux ont été conduits. Pour clarifier les missions des uns et des autres, la ville d'Amsterdam distingue les personnes radicalisées pour lesquelles elle met en place des actions vigoureuses et les propagandistes qui sont de la responsabilité des services de police et du renseignement.

Le serpent de mer de "l'islam à la française"...

Le rapport remet par ailleurs le couvert sur la question de la construction d'un "islam à la française" avec un niveau de compétences minimal et une maîtrise de la langue. Un chantier qui, depuis une vingtaine d'années, au bas mot, piétine. La laïcité ne permet pas aux pouvoirs politiques de s'immiscer dans l'organisation des religions en France.

... et de l'enseignement laïque du fait religieux

Enfin, les sénateurs proposent d'introduire un programme d'enseignement laïque du fait religieux. Cela aurait l'avantage, expliquent-ils, de "ne pas laisser aux autorités religieuses, voire aux acteurs prosélytes, le monopole du discours sur la religion". Cette proposition avait déjà été faite en 2002 par Régis Debray dans un rapport (à télécharger ici) remis au ministre de l'Education et resté sans suite. Il est peu probable que ce dossier ressorte dans cette période de crispation identitaire et de peur-panique devant la montée des communautarismes...

 

POUR ALLER PLUS LOIN

tsa a produit de nombreux articles sur ces questions, notamment un entretien avec Dounia Bouzar, un dossier sur la prévention de la radicalisation et le compte-rendu d'un colloque sur le rôle de la prévention spécialisée

tsa a également édité en juin 2016 un guide "Le travailleur social et la République" (à commander ici)

Noël Bouttier
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