Refus de soins : la mobilisation monte d'un cran

Refus de soins : la mobilisation monte d'un cran

10.02.2017

Action sociale

Le phénomène n'est pas nouveau, mais prend de l'ampleur. De plus en plus de professionnels de médecine refusent de soigner des patients bénéficiant de la CMU ou de l'AME, certains l'affichant ouvertement. Trois associations, dont la Fédération des acteurs de la solidarité, ont dénoncé cette situation et ont saisi le Défenseur des droits qui vient d'ouvrir une enquête.

Depuis des années, les travailleurs sociaux assistent, souvent impuissants, à la montée des difficultés pour des personnes démunies à trouver un professionnel de santé, notamment dans certaines spécialités. Jusque-là, les refus de soins - illégaux, rappelons-le - étaient indirects, utilisant différents biais : on proposait un rendez-vous plusieurs mois plus tard ou alors on les dissuadait par un mauvais accueil. Désormais, certains professionnels n'hésitent pas à afficher leur refus de soigner des personnes bénéficiaires de la couverture maladie universelle (CMU) ou de l'aide médicale d'Etat (AME).

Des sites de prise de rendez-vous... mais pas pour tous

Sur les sites de prise de rendez-vous, Doctolib.fr ou Monrdv.com, une douzaine d'entre eux ont carrément indiqué qu'ils n'acceptaient pas ce type de clients. C'est en tout cas le premier recensement qu'ont effectué trois associations - la Fédération des acteurs de la solidarité, Médecins du monde, le Collectif interassociatif sur la santé. Ces éléments ont été communiqués au Défenseur des droits lequel a décidé d'ouvrir une enquête. Les associations ont également saisi le conseil de l'ordre des médecins qui, après la réaction du Défenseur des droits, a répondu (voir la lettre en pièce jointe).

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Le conseil de l'ordre promet des sanctions...

Sous la plume de sa vice-présidente Danielle Langbeen, le conseil annonce qu'il a "la ferme volonté de saisir lui-même les chambres disciplinaires compétentes de ses plaintes à l'encontre de ces médecins." Par ailleurs, le conseil de l'ordre entend démentir les propos de Jacques Toubon l'accusant de laxisme à l'égard des professionnels qui enfreignent la loi. Interrogé par Le Monde (27 janvier 2017), celui-ci expliquait : "Le Conseil de l'ordre nie la réalité des refus de soins. Lorsque les patients se tournent vers cette instance professionnelle, il ne se passe rien."

Loi santé du 26 janvier 2016

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... et le Défenseur des droits va enquêter

Le fait que le Défenseur des droits se saisisse de ce type de discrimination n'est pas nouveau. Cette instance aurait une quarantaine de dossiers en cours d'examen. Mais il était jusque-là fort difficile d'établir la charge de la preuve car ce refus de soins était exprimé oralement. Là, avec ces indications écrites, les données du problème changent. Reste qu'il faudra attendre quelques mois avant qu'on connaisse l'issue de cette enquête ouverte (qui se fait à charge et à décharge). Jacques Toubon pourrait cependant revenir à la charge lorsqu'il présentera en mars son rapport thématique concernant les discriminations dans le domaine de la santé.

 

"C'est clairement une médecine à deux vitesses"

3 questions à Florent Gueguen, directeur général de la Fédération des acteurs de solidarité.

tsa : Comment a démarré cette mobilisation ?

Florent Gueguen : Lors de la discussion de la loi Santé en 2015, Médecins du monde et la Fnars avaient proposé un amendement prévoyant la création d'un observatoire des refus de soin. Sans doute pour ne pas rajouter un conflit avec les médecins libéraux qui refusaient la généralisation du tiers-payant, le gouvernement n'a pas repris à son compte cet amendement, ce que nous regrettons vivement. En effet, il est très difficile de mesurer l'ampleur du phénomène.

Pourquoi les choses se sont-elles accélérées début 2017 ? 

Par nos adhérents sur le terrain, nous avons constaté que certains professionnels affichaient carrément leur refus d'accueillir des personnes bénéficiant de la CMU ou de l'AME via des sites de prise de rendez-vous. C'est un signal nouveau et très inquiétant. La pratique du refus de soins est maintenant décomplexée chez certains professionnels alors qu'elle était jusque-là cachée, presque honteuse.

Dans certaines grandes villes, il devient difficile de trouver des médecins spécialistes pour les plus pauvres. Les travailleurs sociaux constituent des listes de médecins acceptant tout le monde. C'est clairement une médecine à deux vitesses. Nous avons donc décidé de saisir directement le Défenseur des droits sur cette question. On a d'ailleurs remarqué qu'au lendemain de la réaction vive de Jacques Toubon [lire ci-dessus], le conseil de l'ordre des médecins a pris le soin de nous répondre, alors que notre premier courrier adressé en décembre 2016 était resté sans réponse.

Par-delà les sanctions contre ces médecins hors-la-loi, que demandez-vous ?

Le refus des soins n'est plus un phénomène marginal ; il se banalise. Il faut absolument créer cet observatoire qui permettra de mieux connaître la réalité de cette pratique, notamment en procédant à des opérations de testing pour dévoiler l'ensemble des techniques discriminantes. La généralisation du tiers-payant doit également être effective : l'existence d'un reste-à-charge que certains médecins rappellent aux personnes qui sont juste au-dessus de la CMU-C, permet souvent de les dissuader de prendre rendez-vous. Enfin, il faut engager un travail préventif auprès des futurs médecins en les informant davantage sur la question ds droits sociaux. Nous sommes également favorables à des formations croisées entre professionnels de la médecine et travailleurs sociaux pour que ces deux mondes apprennent à mieux se connaître. 

Noël Bouttier
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