Une enquête épingle les maisons de retraite privées lucratives

Une enquête épingle les maisons de retraite privées lucratives

19.10.2017

Action sociale

"Maisons de retraite : les secrets d'un gros business" : diffusée ce soir sur France 3, l'émission "Pièces à conviction" jette un nouveau pavé dans la mare sur les abus et la recherche effrénée de rentabilité des maisons de retraite privées lucratives. TSA a pu visionner cette enquête avant sa diffusion. Attention, explosif !

Cela commence (et finit) par la grève de plus de trois mois des salariés de l'Ehpad des Opalines à Foucherans (Jura). Cette action syndicale, médiatisée par un long article du journal Le Monde, a constitué le déclencheur de la mission d'enquête flash de l'Assemblée nationale (lire notre article). Partant de ce mouvement, l'enquête de France 3 pose quelques questions essentielles sur la prise en charge par les acteurs économiques des personnes âgées dépendantes.

Logique de rentabilité poussée très loin

L'établissement des Opalines symbolise les abus d'une logique de rentabilité poussée très loin. La rentabilité est justement au rendez-vous avec un bénéfice pour cet établissement jurassien de 300 000 euros qui fait payer chaque résident autour de 2 700 euros chaque mois. Dans cette région où vivent beaucoup de gens modestes, il faut se saigner pour finir ses jours dans cet établissement. Muriel, la fille d'une résidente, explique que ses parents ont dû se résoudre à vendre leur maison pour 100 000 euros afin de pouvoir vivre... 4 ans aux Opalines. Les économies d'une vie de dur labeur partent ainsi vers les caisses de ce groupe propriété de deux anciens gérants d'un établissement Leclerc "recyclés" dans les Ehpad. Ces derniers, à la tête d'une soixantaine d'établissements, disposent chacun d'un patrimoine estimé à 150 millions d'euros...

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Plus de places que celles autorisées...

L'enquête montre que plusieurs établissements des Opalines (dont celui de Foucherans) vont au-delà du nombre de places autorisées par l'ARS. Explication d'un ancien directeur de site : pour pouvoir toucher une "prime de remplissage" de 535 € mensuels, les directeurs doivent obtenir un taux de remplissage de leur établissement d'au moins 99,5 %. Pour arriver à un tel résultat, ils sont contraints, du fait des départs, des décès de résidents, de dépasser le chiffre autorisé. Dès lors, certains établissements affichent des taux de remplissage supérieurs à 100 %, ce qui leur permet de dégager des marges supplémentaires.

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... et un accueil de jour illégal

Cerise sur le gâteau : l'Ehpad de Foucherans propose quelques places d'accueil de jour (facturé 35 €) alors qu'il ne dispose pas d'autorisation pour le faire. L'ARS fait les gros yeux en menaçant l'établissement de sanctions, pouvant aller jusqu'à la fin de l'autorisation d'ouverture. Mais nous n'en sommes pas là...

Licenciement de trois aides-soignantes

Autre exemple développé par "Pièces à conviction" : la situation d'un Ehpad marseillais qui a licencié trois aides-soignantes en décembre dernier après que celles-ci ont dénoncé la situation indigne des résidents et des conditions de travail difficiles. Précisons que cet établissement appartient au premier groupe français dans le secteur, Korian, qui a refusé d'ouvrir ses portes aux journalistes (l'émission étant jugée trop "polémique"), tout en affirmant être "transparent".

Economies sur les protections

Dans cet Ehpad, selon les ex-salariées, c'est la question des protections pour les résidents qui a mis le feu aux poudres. L'établissement a adopté un modèle moins protecteur et... moins cher. Ces 10 à 18 centimes économisés par protection et le rationnement imposé au personnel (4 protections par résident toutes les 24 heures) permettent une économie de 7 000 à 10 000 euros par an. Mais compliquent encore le travail d'un personnel qui doit s'occuper de résidents souvent Alzheimer dont les lits sont régulièrement souillés. Les trois salariées s'étonnent que, dans le même temps, on fasse payer chaque résident au moins 3 400 euros par mois...

Des résidents livrés à eux-mêmes

Dans cet Ehpad, le taux d'encadrement des résidents laisse sérieusement à désirer. La nuit, seules deux aides-soignantes ont la charge de 90 personnes répartis sur cinq étages. Et l'on voit, via les caméras de surveillance de l'établissement, des résidents, déboussolés, errer dans des couloirs vides au beau milieu de la nuit.

" A 4,35 €, on ne saurait pas faire"

L'émission dénonce également les restrictions financières pour l'achat de nourriture. Chez Korian, selon un ancien cuisinier du groupe, le coût journalier par résident ne doit pas dépasser les 4,35 €. Comment fait-on pour préparer trois repas et une collation avec un telle somme ? Réponse du professionnel : on triche sur les aliments, en remplaçant, par exemple, la crème fraîche par le lait... Dans un autre Ehpad, public celui-là, où les caméras sont entrés sans se dissimuler, le directeur assure que le budget journalier par résident est de 6 €. "C'est déjà juste, explique-t-il. A 4,35 €, on ne saurait pas faire."

Les Ehpad associatifs oubliés

L'enquête est sérieuse, souvent implacable, avec moult documents à l'appui. On regrettera simplement que l'émission de près d'une heure ne distingue pas dans les Ehpad privés, ceux qui appartiennent à des groupes privés de ceux qui sont gérés par des associations. Ce qui aurait permis de nuancer un peu ce tableau très noir et de montrer la diversit�� des situations au sein des Ehpad privés.

Retour dans le Jura

Mais au fait, que sont devenus les grévistes du Jura ? Après 107 jours de grève, ils ont repris le travail sans obtenir la prime demandée de 27,95 € par dimanche travaillé. Ils ont cependant décroché une prime exceptionnelle de 450 € et l'embauche de deux aides-soignantes. La chef de file de cette action du personnel, Anne-Sophie Pelletier, reviendra, lors du débat qui suit la diffusion de cette enquête, sur les prolongements de ce mouvement assez inédit.

 

 "Maisons de retraite : les secrets d'un gros business", enquête pour "Pièces à conviction", diffusée jeudi 19 octobre à 23h25 sur France 3.

Noël Bouttier
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