[A voix haute] " Nous sommes des humains courageux, pas des fous en camisole"

[A voix haute] " Nous sommes des humains courageux, pas des fous en camisole"

22.12.2017

Action sociale

Notre série « A voix haute » veut donner la parole à ceux qui n'ont longtemps pas eu voix au chapitre : "usagers", "bénéficiaires", ou encore "personnes accompagnées"... Bouclette a 34 ans et vit en Belgique. Elle est schizophrène, mais ne le sait que depuis peu. Pour libérer la parole, créer de l'entraide et déconstruire les clichés, elle a créé un blog en BD.

Son pseudo, c’est Bouclette. Au téléphone, on a oublié de lui demander pourquoi, mais il s’agit sans doute d’un indice sur elle, qui tient à rester anonyme : son avatar de bande dessinée, celui qu’elle met en scène dans son blog crûment intitulé « Ta gueule Boris », a bien trois cheveux fous qui rebiquent. Elle, en tout cas, n’est pas folle. Mais atteinte d’une maladie nommée schizophrénie. Le Boris du blog, auquel elle tente courageusement de fermer le clapet, c’est ce mal, qu’elle n’a enfin pu nommer qu’il y a un an et demi.

"Ce voile posé sur le diagnostic m'a vraiment mis des barrières"

Ce n’est en effet qu’à  34 ans, grâce à une psychiatre qui n’avait pas peur d’appeler un chat un chat, que cette Belge, maman d’une enfant de deux ans, a enfin pu mettre un nom sur ce qui la ronge depuis l’adolescence. « Toute ma vie, jusqu’alors, on avait cherché à me convaincre que je n’étais pas malade. Dépressive tout au plus. Angoissée, victimes de troubles de l’humeur liés au stress », détaille Bouclette, dont les symptômes sont apparus à l’âge de 18 ans. « En fait ça a commencé vers mes 16 ans, mais ce n’était rien de méchant : j’étais un peu marginale, excentrique, et puis assez seule et dépressive. On a mis ça sur le compte de la crise d’adolescence. Mais à 18 ans ça n’allait plus du tout ».

 

Puisque je n’étais pas malade, pourquoi prendre un traitement régulièrement ?

Ses parents l’emm��nent alors chez le généraliste - « aller voir un psychiatre, ça n’était pas dans leur culture » -  qui finit par l’orienter vers un psychiatre : un traitement est mis en place, mais sans que soit posé le véritable diagnostic. Peur de stigmatiser le patient, du côté du médecin, tentation du déni, pour les parents de la jeune femme qui n’ont pas cherché plus loin : chacun a ses raisons, mais à l’arrivée ce sont autant d’années durant lesquelles la jeune femme n’a pas eu les moyens de travailler à son rétablissement. « Ce voile posé sur le diagnostic, cela m’a vraiment mis des barrières. Puisque je n’étais pas malade, pourquoi prendre un traitement régulièrement ? Du coup j’ai fait énormément de rechutes, inévitablement… », raconte Bouclette.

" Je suis comme dans un rêve"

Pendant des années, malgré le mal être croissant, elle s’astreint donc à faire des études, à tenter de travailler, comme tout le monde. « Cela a été très difficile puisqu’au moindre coup de stress j’étais absente. Je me suis cramée à petit feu, en m’imposant des conditions de vie très difficiles au regard de ma maladie ». Au travail, son comportement pose question. « La schizophrénie provoque comme une sensation de déréalisation chez moi, explique-t-elle. Je suis comme dans un rêve. Du coup mes collègues me faisaient des remarques, me trouvaient maladroite, bizarre, tout le temps dans le gaz, et me soupçonnaient de boire ou de me droguer ! » se souvient la jeune femme.

La schizophrénie est associée aux faits divers, à la violence, aux tueurs psychopathes 

Et puis viennent les idées paranoïaques et les hallucinations auditives. « Même ça ne m’a pas mis sur la voie : je me disais que c’était la fatigue, j’avais lu que c’était possible. Et Le médecin généraliste me disait que j’étais beaucoup trop intelligente pour avoir des problèmes de psychose…». Pour Bouclette, « le silence des médecins était sans doute une volonté de me protéger de l’étiquette de la maladie. Et même dans le milieu médical, celle-ci reste assez méconnue et dérangeante. Elle est associée à tort, dans l’esprit des gens, aux faits divers, à la violence, aux tueurs psychopathes… » La jeune femme ressent aujourd’hui beaucoup de colère d’avoir été laissée si longtemps dans le brouillard : « J’ai perdu tant de temps. Si j’avais su j’aurais pu cesser de travailler, car le travail aggravait mon état. J’aurais pu faire appel à des services d’aide pour les jeunes mamans quand j’ai eu ma fille, au lieu de quoi j’ai décompensé 6 mois après l’accouchement… ».

"J'essaie de trouver un équilibre"

Aujourd’hui sa fille a une place en crèche et Bouclette prend un traitement. « J’essaie de trouver un équilibre, je ne suis pas en plein délire, je suis capable de m’occuper de mon enfant ». Elle vit en couple, mais n’a pas de vie sociale, et s’avoue très isolée depuis des années, malgré le traitement. « J’essaie, je fais de mon mieux. Mais j’ai une forte anxiété sociale, et lorsque je sors, je me perds souvent ». La jeune maman ne fréquente plus les structures spécialisées, du type centre d’activité thérapeutique à temps partiel (CATTP) : « ça présente l’intérêt de voir des gens, de rejoindre un groupe. Mais même là, on rencontre des personnels soignants qui vous infantilisent. Et on y trouve en prime une forme de hiérarchie des malades, des clans. Les personnes souffrant de dépression nous prennent pour des fous.Toujours un problème de clichés… »

"On n'est pas juste malade, on est d'abord quelqu'un"

Alors sa porte ouverte sur le monde, elle se l’est créée de chez elle, en ouvrant son blog dessiné, Ta gueule Boris (1), il y a un an. « Mes proches ne me comprennent pas et ont tendance à minimiser, du coup j’évite de me plaindre auprès d’eux. Le dessin me permet de me libérer, de sensibiliser les familles d’autres malades pour les aider à mieux comprendre, et bien sûr d’aider d’autres gens dans mon cas. Si on m’avait tendu la main, en me disant ça va aller, tu vas pouvoir vivre avec ça, ça m’aurait beaucoup aidée. Or on ne m’a jamais montré une personne, un modèle de réussite ou d’espoir. »

Si on m’avait tendu la main, en me disant ça va aller, tu vas pouvoir vivre avec ça, ça m’aurait beaucoup aidée

Hyper accessibles et toujours humoristiques, ses billets dessinés sont aussi souvent l’occasion pour Bouclette de déconstruire les préjugés sur la schizophrénie. « Ce que je veux faire entendre, c’est que la maladie n’efface pas la personnalité, ni les goûts. On n’est pas juste malade, on est d’abord quelqu’un. Il y a moyen de rire. Il faut rire, même. C’est pour ça que je distille de l’humour dans mes dessins : parce que c’est moi, aussi. Ce qui me vaut des commentaires du genre : « tu n’as pas l’air schizophrène »… Mais la maladie ne se traduit pas comme on le croit ! J’essaie de l’expliquer, de le montrer via mon blog. Que nous sommes des humains courageux, pas des fous en camisole. »

Fréquenté par des psychiatres, des psychologues, des malades - « parmi lesquels de plus en plus d’autistes, qui se reconnaissent dans mes difficultés » - le blog se fait progressivement une petite notoriété sur les réseaux sociaux. Et Bouclette aussi, qui a récemment été interviewée pour une conférence à Paris. Depuis son appartement et de manière anonyme, certes. Mais derrière ou son écran d’ordinateur ou le combiné du téléphone, l’essentiel est que sa voix porte.

 

(1) Ta gueule Boris. Le blog sur la schizophrénie sous forme de bande dessinée. BD teintées de psychiatrie, d’humour et de café.  http://tagueuleboris.com/ Bouclette est aussi sur twitter : @Tagueuleboris

 

 

Pourquoi cette série "A voix haute" ?

Depuis plusieurs mois, nous nous intéressons, à travers notre série "En quête de sens", aux interrogations, découragements et enthousiasmes de travailleurs sociaux sur leurs métiers aujourd'hui chahutés. Il nous a paru logique de faire entendre, en regard, ceux qui expérimentent directement, du fait d'une situation de vulnérabilité provisoire ou permanente, des dispositifs sociaux ou médico-sociaux pensés pour eux... mais pas toujours avec eux.

Les temps changent toutefois : aujourd'hui, la parole des « usagers » de l'action sociale et médico-sociale est plus et mieux prise en compte, voire encouragée. La loi 2002-2 et ses outils de participation sont passés par là. Les concepts d'empowerment et de pair-aidance infusent peu à peu. Beaucoup reste à faire, mais une idée s'est imposée : premières expertes de leur vécu, les personnes accompagnées ont des choses à dire. Et les professionnels et décideurs, beaucoup à gagner à les écouter.

 

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Marion Leotoing
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