Accès des femmes aux responsabilités : malgré la parité, les freins subsistent à la CGT

Accès des femmes aux responsabilités : malgré la parité, les freins subsistent à la CGT

27.10.2016

Représentants du personnel

Pour l'Ires, les freins aux carrières des femmes à la CGT, premier syndicat à avoir instauré la parité de sa direction, restent forts. En cause : un fonctionnement trop rigide et pas assez collégial, une absence d'accompagnement à l'exercice de nouveaux mandats, des contraintes peu conciliables avec la vie personnelle, etc. "La CGT va travailler sur ces sujets", nous dit Céline Verzeletti, membre de la direction confédérale.

Quels sont les freins à l'accès des femmes aux plus hautes responsabilités syndicales ? C'est l'objet d'une étude de l'Ires (institut de recherches économiques et sociales) qui porte sur la CGT, le premier syndicat ayant pris la décision, en 1999, d'introduire la parité dans sa direction confédérale et dans son bureau confédéral (*). Cette enquête de juillet 2016 se base, outre une analyse statistique portant sur les élus et élues CGT des instances dirigeantes (voir notre infographie ci-dessous), sur 44 entretiens qualitatifs menées avec des femmes membres de la CEC (ou qui l'ont été), la commission exécutive confédérale (dont les membres sont élus par le congrès), et quelques femmes occupant "des places de secrétaires générales d'organisations importantes". L'anonymat était garanti à ces militantes.

Les chercheurs observent que ces femmes membres de la CEC sont plus jeunes que les hommes, davantage employées et cadres (chez les hommes, les ouvriers restent les plus représentés alors que les cadres constituent la première catégorie chez les femmes en 2016), viennent plus souvent de province (60% d'entre-elles), paraissent moins souvent vivre en couple, ont moins d'enfant à charge (l'engagement paraît plus facile pour les femmes seules sans charges familiales), et subissent un plus fort turn over : 47% des élues à la CEC en 1999 n'ont fait qu'un seul mandat (contre moins de 30% des hommes), beaucoup décidant d'arrêter en raison de difficultés personnelles (contraintes familiales, surcharge de travail, etc.). Il faut dire qu'elles n'ont le plus souvent que des décharges syndicales partielles pour sièger à la CEC.

Les freins aux carrières syndicales féminines à la CGT

De ces entretiens, les auteurs retirent la conclusion que plusieurs freins existent comme :

  • l'absence de critères clairs pour la désignation à la CEC, qui peut nourrir un sentiment d'illégitimité des femmes, celles-ci pensant que leur promotion est due au fait qu'il "fallait" des femmes pour respecter le principe de parité, ce que les chercheurs dénomment "femmes de quota" ;
  • l'absence d'accompagnement pour les nouvelles membres promues, la méconnaissance du fonctionnement de l'appareil syndical étant un obstacle à la prise de parole ou d'initiatives. Cette nouvelle élue remarque : "Je trouve qu'on aurait pu au moins nous expliquer à quoi sert le mandat de la CEC, ce qu'on a à y faire, une présentation complète. En fait, c'était vraiment l'inconnu". Une autre est encore plus directe : "Tu es balancée là-dedans et il faut se démerder";
  • un mode de direction jugé trop rigide, perçu comme "un moule" auquel les femmes devraient se conformer alors que celles-ci disent aspirer à un fonctionnement plus collectif, opposé à l'idée "d'une culture du chef"; 
  • l'existence de réseaux informels permettant une cooptation entre hommes, et qui contournent la parité ("Comme je ne restais pas le soir, à discuter à l'apéro, je n'avais pas accès à plein d'informations (..) Il faut connaître un tel qui sait où trouver l'info"). Les collectifs femmes-mixité présents à la CGT ont dû mal à contrebalancer la force de ces réseaux informels;
  • une organisation du travail "très masculine", avec des temps de travail et des méthodes "pas adaptés aux jeunes parents" comme les réunions à 18h30 ou le mercredi ("c'est pas le temps de présence qui fait l'efficacité, c'est bien le temps de travail réel. C'est valable en entreprise et c'est malheureusement valable dans notre syndicalisme");
  • des contraintes difficilement conciliables avec une vie en province, quand on ne passe qu'une partie de la semaine à Paris et à l'hôtel pour se rendre à la confédération ("Moi, je partais le mardi matin, je prenais le train �� 5h30 et puis je rentrais le jeudi soir à 20h. Ce n'est que trois jours mais c'est quasiment ta semaine de travail. C'est très difficile et puis quand tu es à Montreuil, tu bosses. Quoi faire d'autre ?");
  • le modèle syndical d'un "engagement total", quasiment sacrificiel, qui, bien qu'en déclin, "reste prépondérant";
  • la persistance d'un partage des tâches familiales inégale au sein des couples, témoin cette élue s'efforçant d'être une bonne syndicaliste et une bonne épouse et mère ("Moi, par culpabilité, j'ai très longtemps préparé les barquettes du lundi au vendredi quand je partais") quand d'autres étaient soutenues par leur mari ("Mon mari m'a répété que son engagement, c'était de créer des conditions pour que mon engagement à moi soit possible. C'est franchement féministe").
Les 14 propositions du rapport de l'Ires

Les auteurs font 14 propositions, dont deux ponctuées prudemment d'un point d'interrogation, pour prévenir ces obstacles :

  1. Réviser les procédures de sélection des membres de la CEC;
  2. Développer un accueil pour les nouveaux membres de la CEC (journée d'intégration, livret d'accueil avec organigramme, etc.);
  3. Renforcer l'accompagnement personnalisé des dirigeantes;
  4. Renforcer les instances de la direction confédérale comme lieu de décision effectif;
  5. Repenser la façon de diriger en favorisant le travail collectif;
  6. Respecter la vie personnelle et familiale des dirigeantes;
  7. Accompagner à la parentalité (aides ménagères, aides aux gardes d'enfant);
  8. Favoriser le travail à distance;
  9. Mener des plans de syndicalisation en direction des femmes;
  10. Inscrire dans les statuts que la CGT est féministe;
  11. Tendre vers la parité dans toutes les directions;
  12. Développer une formation à l'égalité pour tous les dirigeants;
  13. Limiter le cumul des mandats dans le temps ?
  14. Elire une femme secrétaire générale de la CGT ?

L'une de ces propositions consiste à étendre l'objectif de parité (ou de "juste représentation") dans "toutes les directions".

La parité au sommet, mais qui reste à décliner dans l'organisation

Certes, observe l'Ires, l'objectif de parité a indéniablement fait entrer les femmes dans la CEC de la CGT (qui compte 25 femmes sur 50 membres) et dans le BC, le bureau confédéral (5 femmes sur 10 membres). En revanche, les femmes sont encore beaucoup moins nombreuses dans d'autres instances de direction, que ce soit au niveau national (42,8% de femmes dans la commission financière de contrôle, seulement 23% dans le comité confédéral national, le CCN, l'assemblée des secrétaires généraux des fédérations et des unions départementales), comme dans les fédérations (5 femmes sont responsables de fédération) ou dans les unions départementales (24 sont en charge d'une DU).  "Après 15 ans de parité confédérale, l'impulsion en matière d'égalité et de parité doit désormais venir des organisations elles-mêmes, estiment les auteurs. Les organisations doivent soutenir et accompagner les élues à la CEC qu'elles ont proposé, en leur offrant les moyens suffisants pour assumer cette responsabilité : temps disponible, aides financières, répartition des tâches, etc."

La CGT devrait plancher sur ces propositions début 2017

La CGT va-t-elle s'inspirer de ce travail et suivre les recommandations de l'Ires ? Céline Verzeletti, membre depuis 2015 du bureau confédéral CGT où elle est en charge des questions autour de l'égalité femme homme, nous répond que ce rapport et ces suggestions seront d'abord examinés par le collectif Femmes et mixité, collectif rattaché à la direction confédérale, lequel devrait élaborer des propositions qui seront ensuite débattues au sein de la commission exécutive confédérale (CEC). "Sans doute au début 2017, car nous souhaitons aller vite", précise Céline Verzeletti qui nous indique aussi que sa confédération veut de doter d'informations quantitatives, actualisées chaque année, sur la place des femmes dans toutes les organisations de la CGT.

Pour respecter la parité au dernier congrès, nous avons dû abaisser le nombre de membres de la CEC de 56 à 50

Cette dernière se montre en phase avec le constat dressé par l'Ires : "On voit bien que la parité ne suffit pas. Par exemple, lors du dernier congrès, nous avons eu beaucoup de difficultés à avoir des candidatures féminines (ndlr : qui sont proposées par les fédérations et UD) pour la commission exécutive, si bien que nous avons décidé d'abaisser le nombre de ses membres de 56 à 50 afin de respecter la parité inscrite dans nos statuts". Céline Verzeletti juge notamment important de plancher sur  le nécessaire accompagnement des femmes qui accèdent à des responsabilités syndicales mais aussi de s'interroger sur le mode de fonctionnement actuel : "Le militantisme aujourd'hui ne peut pas être celui d'hier. L'outil syndical doit s'adapter, notamment aux jeunes femmes et aux jeunes hommes, qui veulent garder du temps pour leur vie privée. Il faut un militantisme plus efficace, des réunions peut-être plus courtes et mieux organisées".

L'enjeu des élections professionnelles de 2017

Ces questions de mixité sexuelle vont du reste devenir cruciales pour les syndicats en 2017. A compter du 1er janvier, les syndicats devront respecter pour les élections professionnelles un principe sinon de parité du moins un principe de représentation équilibrée (pour chaque collège, les listes des candidats CE et DP doivent être composées d'un nombre de femmes et d'hommes correspondant à la part de femmes et d'hommes inscrits sur la liste électorale, voir notre article). "Les secteurs professionnels mixtes n'auront pas de difficulté à appliquer cette disposition. Mais pour d'autres, où ce sont les hommes (métallurgie, transports, etc.) ou les femmes (action sociale, par ex.) qui dominent largement, ce sera un défi", reconnaît Céline Verzeletti. Et cette dernière d'appeler...les entreprises à donner les moyens aux femmes de s'investir dans la carrière syndicale, afin d'assurer ce renouvellement : "C'est une question de moyens donnés aux élus, de crédit d'heures et de décharge d'activité".

(*) Ce travail de recherches, lancée à l'initiative du collectif "femmes mixité" de la CGT, a été conduit par Tiphaine Rigaud et Rachel Silvera. L'Ires est "un organisme de recherche au service des organisations syndicales représentatives des travailleurs et a pour fonction de répondre aux besoins exprimés par ces organisations syndicales dans le domaine de la recherche économique et sociale".

 

           

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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