Dassault définitivement condamné à 1,1 million d'euros pour 7 cas de discrimination syndicale

Dassault définitivement condamné à 1,1 million d'euros pour 7 cas de discrimination syndicale

09.12.2016

Représentants du personnel

C'est l'épilogue d'un contentieux vieux de dix ans. La cour d'appel de Paris, qui jugeait en renvoi après cassation, a condamné Dassault Aviation à verser 1,1 million d'euros à 7 salariés militants de la CGT reconnus victimes de discrimination syndicale.

"J'aurais pu partir plus mal !", souffle Pierre Etchegoyen, 60 ans, qui sera en retraite vendredi prochain. Ce salarié du site Dassault Aviation de Biarritz (Pyrénées-Atlantiques), où il est entré comme ouvrier en 1976 après avoir fait une formation d'ajusteur à l'école technique Bréguet-Dassault, vient en effet d'obtenir, comme six autres salariés (dont 2 déjà partis en retraite et 5 toujours en activité), la condamnation de son employeur pour discrimination syndicale. Le délégué syndical central CGT reçoit 100 000€ de dommages et intérêts et se trouve repositionné dans la catégorie cadre de façon rétroactive, à compter de 2007.

 Pour nous, ce sont des sommes énormes, mais pour Dassault...

C'est l'épilogue d'un combat judiciaire de dix ans que Dassault a prolongé jusqu'en cassation, jusqu'à cet arrêt de la cour d'appel de Paris, qui, en renvoi, a aggravé la condamnation de l'entreprise. "En 2006, nous avions fait une proposition à la direction pour négocier la fin de ces discriminations : ils ont refusé car ils n'ont pas cru que nous irions au tribunal", raconte le militant dont les mandats d'élu du personnel ont commencé dans les années 80, et qui a été délégué syndical à partir de 2008. "Pour nous, commente-t-il, ce sont des sommes énormes, nous n'avons pas l'habitude, mais pour Dassault, ce n'est pas si important..."

Le délégué syndical se dit donc satisfait. Et pas simplement à titre personnel : "Des copains sont restés 20 ans sans progression salariale parce qu'ils étaient à la CGT. Aujourd'hui, ça n'existe plus mais il faut veiller à ce que ça ne se reproduise pas". L'enjeu concerne également la représentativité du syndicat dans l'entreprise, ajoute Pierre Etchegoyen, la CGT étant selon lui défavorisée par rapport aux autres OS du fait de cette discrimination  : "Dassault aujourd'hui en France, c'est 60% de cadres. Le fait de n'avoir aucun militant CGT promu cadre nous empêchait de pouvoir présenter des candidats dans le troisième collège". 

La réparation définitive du préjudice est plus élevée que les condamnations précédentes

L'arrêt qui répare le préjudice subi par ce délégué syndical est l'un des sept arrêts rendus le 4 octobre dernier par la cour d'appel de Paris. L'employeur ne s'étant pas pourvu en cassation, ces décisions mettent un terme définitif à un contentieux débuté en 2007 par une enquête de l'inspection du travail (laquelle a permis l'établissement d'un panel de salariés), et qui a connu maints jugements. Cette fois, sept salariés de Dassault adhérents de la CGT vont recevoir entre 100 000€ et 195 000€ en dommages et intérêts pour avoir subi une discrimination syndicale. "La cour d'appel a doublé le montant des indemnisations accordées aux sept salariés et a repositionnés ceux qui ne sont pas retraités comme cadres. La précédente cour d'appel n'avait pas statué sur ce dernier point au motif que les salariés n'apportaient pas les éléments prouvant leur capacité à occuper un poste de cadre. Mais la Cour de cassation a obligé la cour d'appel à statuer sur ce point en vérifiant que le positionnement des salariés était comparable à celui des salariés du panel", se félicite leur avocate, Anne-Marie Mendiboure, de Bayonne (*).

Ces sept salariés ont été recrutés entre 1972 et 1981 comme ouvriers, sur le site Dassault aviation de Biarritz. Tous ont adhéré, dans l'année ou les années suivantes, à la CGT. Certains ont été des membres actifs du syndicat de l'entreprise (comme collecteur des cotisations, membre de la commission exécutive du syndicat ou représentant syndical) quand d'autres ont pris des mandats de représentant du personnel (délégué du personnel, membre de comité d'entreprise, etc.). Tous estiment avoir fait les frais de cet engagement collectif.

La méthode Clerc

Pour apporter la preuve de cette discrimination, Anne-Marie Mendiboure, l'avocate des militants syndicaux, s'est appuyée sur la méthode mise au point par François Clerc, de la CGT. Celle-ci consiste à prouver une moindre progression salariale d'une personne ayant un mandat ou une responsabilité syndicale en comparant l'évolution de son traitement (salaire, avancement) aux évolutions d'un panel de personnes entrées au même moment dans l'entreprise, avec un coefficient de départ comparable. Le préjudice est ensuite chiffré en estimant l'écart de rémunération résultant de cette discrimination et en le rapportant à la durée (mois ou années) de cette discrimination (lire ici l'interview de François Clerc). Les salariés demandent alors aux juges d'ordonner un repositionnement rétroactif dans une classification à laquelle la personne aurait pu prétendre s'il avait bénéficié d'un déroulement de carrière normale.

Dans le cas de Monsieur M., devenu délégué du personnel en 1983, la cour d'appel retient ainsi que le panel de salariés "fait apparaître que sur 27 salariés embauchés à des dates, coefficients et diplômes similaires à l'intéressé, 8 avaient une position 305 et 11 une position cadre en 2007, date d'établissement du panel, tandis que Monsieur M. était alors au coefficient 285, l'écart de rémunération entre le salaire moyen de Monsieur M. et celui du panel étant de 508€". L'employeur "ne justifiant pas que l'intéressé n'aurait pas eu les compétences requises", les juges en concluent que le salarié aurait dû bénéficier "d'un positionnement supérieur" et chiffrent le préjudice subi à 164 000€, compte-tenu de la différence de rémunération, des pertes subies sur la participation, la retraite et retraite complémentaire ainsi que le préjudice moral.

La loi Rebsamen va-t-elle empêcher ces discriminations à l'avenir ?

Quelle leçon tirer de cette affaire ? "Nous avons enfin brisé le plafond de verre qui interdisait aux ouvriers syndiqués à la CGT d'accéder à la position cadre chez Dassault", nous répond Anne-Marie Mendiboure. Nous demandons ensuite à l'avocate si les dispositions de la loi Rebsamen de 2015 sont de nature à éviter ces discriminations salariales. En effet, l'article L.2141-5-1 du code du travail créé par la loi Rebsamen prévoit que le représentant du personnel, lorsque ses heures de délégation représentent au moins 30% de sa durée du travail, bénéficie d'une évolution de sa rémunération au moins égale, sur l'ensemble de la durée de son mandat, à la moyenne des augmentations générales et à la moyenne des augmentations  individuelles perçues pendant  cette période par les salariés relevant de la même catégorie professionnelle et dont l'ancienneté est comparable (lire notre article). Réponse d'Anne-Marie Mendiboure : "Cela va changer les choses si les entreprises se dotent de méthodes de comparaison pertinentes entre l'évolution salariale d'un représentant du personnel et celle des autres salariés, ce qui est loin d'être le cas". François Clerc, lui, se montre encore plus critique. Mais nous reviendrons sur son analyse de la loi Rebsamen dans un prochain article.

(*) Trois autres dossiers de discriminations chez Dassault (concernant les sites de Poitiers et Martignas, près de Bordeaux) font actuellement l'objet de contentieux.

 

Dassault Aviation négocie pour "pluri-annualiser" le temps de travail des salariés

Quel est le climat social sur le site Dassault Aviation de Biarritz, qui emploie 950 salariés ? "C'est assez lourd en ce moment. Nous vivons une profonde transformation de l'entreprise car la direction veut spécialiser les sites de production", nous répond le DSC CGT. Mais c'est sur le temps de travail que les changements pourraient être les plus perceptibles pour les salariés selon Pierre Etchegoyen. En effet, Dassault Aviation a engagé une négociation pour obtenir un accord d'entreprise qui lui permettrait de faire varier sur 3 ans le temps de travail des salariés (on parle de "pluri-annualisation" voire de "tri-annualisation"). Une possibilité ouverte par la loi Travail et par le récent accord de branche de la métallurgie. "Cela signifie que les salariés n'auront peut-être plus d'heures sup, les horaires hebdomadaires pouvant passer 32 heures en moyenne en 2017 à 40 et 42 heures en 2018 et 2019", dit la CGT. Le climat des négociations, dont 4 réunions ont déjà eu lieu, semble tendu, comme en témoigne ce compte-rendu de la CFDT : "S'il n'y a pas d'accord de tri-annualisation, il y aura un plan social avec plusieurs centaines de licenciements, telle est la réponse de notre DRH sur les conséquences d'un échec de cette négociation". La CFDT demande en cas d'accord un gel des licenciements économiques sur 3 ans.

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

Découvrir tous les contenus liés
Bernard Domergue
Vous aimerez aussi