Les négociations dans les TPE et sur le CSE pourraient ne pas passer le contrôle constitutionnel

Les négociations dans les TPE et sur le CSE pourraient ne pas passer le contrôle constitutionnel

15.12.2017

Représentants du personnel

Le recours systématique au référendum dans les TPE et la presque entière liberté laissée aux partenaires sociaux pour définir les prérogatives économiques du futur CSE sont susceptibles d'être censurées par le Conseil constitutionnel. C'est ce que soutiennent Alexandre Fabre et Joseph Morin, professeurs de droit.

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Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Ce mardi 12 décembre, pas moins de douze professeurs de droit social se sont réunis au sein du récent site des Archives nationales à Pierrefite-sur-Seine (Seine-Saint-Denis) afin de raisonner sur des textes pourtant bien d'actualité : les ordonnances Macron du 22 septembre 2017 et le projet de loi de ratification en cours d'examen par le Parlement. Lors de cette journée d'échanges organisée par l'Université Paris 8 Saint-Denis, ces juristes se sont en particulier attelés à examiner le contenu de cette réforme d'ampleur au regard des exigences constitutionnelles et du droit international. Et s'agissant des nouvelles règles relatives à la négociation collective et au futur comité social et économique (CSE), plusieurs failles dans les textes du gouvernement ont été relevées.

TPE : le référendum à l'épreuve de l'article 8 du préambule de 1946

Premier dispositif mis à l'épreuve du droit constitutionnel : l'adoption d'accords dans les entreprises de moins de 11 salariés. Pour rappel, dans ces TPE l'employeur peut soumettre au vote des salariés (adopté aux 2/3 des voix après un délai d'au moins 15 jours de réflexion) un projet d'accord portant sur l'ensemble des thèmes ouverts à la négociation collective d'entreprise.

"Ici, la consultation des salariés, c'est le vote, résume immédiatement Alexandre Fabre, professeur à l'Université d'Artois. L'ordonnance est silencieuse sur ce qui pourrait ressembler à une discussion entre l'employeur et la collectivité des salariés. De manière provocante, on pourrait considérer que le procédé n'a rien d'original car tous les jours, en tant que consommateur, nous concluons des contrats d'adhésion, c'est-à-dire des contrats que nous ne négocions pas.

 Le contrat d'adhésion est contraire à la nature de l'accord collectif

Le plus souvent la conclusion du contrat individuel de travail ressemble aussi à un contrat d'adhésion. Dès lors, pourquoi n'en serait-il pas de même pour les accords collectifs ? Tout simplement parce que le contrat d'adhésion est contraire à la nature de l'accord collectif de travail, dont l'objet est justement de rétablir un équilibre entre l'employeur et les salariés", rappelle le professeur de droit. Se pose alors la question de la compatibilité de ce nouveau dispositif spécifique aux TPE avec la disposition à valeur constitutionnelle prévue par l'alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui dispose que "Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises".

"Toute la discussion juridique porte sur l'incise : "participe, par l'intermédiaire de ses délégués,...", soutient Alexandre Fabre. La participation des travailleurs implique-t-elle nécessairement l'intervention de représentants ? La problématique est inédite car jusqu'ici le procédé du référendum d'entreprise n'a été utilisé que pour valider un accord négocié et signé en amont par des délégués syndicaux, des représentants du personnel ou salariés mandatés. À la lecture de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, on peut penser que si le référendum d'entreprise bénéficiait d'une relative tolérance, c'est justement parce qu'il ne venait qu'en complément de la participation des représentants du personnel à la détermination des règles collectives. Sur ce point, la décision du 7 septembre 2017 relative à la loi d'habilitation à réformer le code du travail par ordonnances pourrait bien avoir cristallisé cette limite quand elle insiste sur le fait le recours au vote des salariés vise "seulement la validation d'un accord déjà conclu" (point 21 de la décision)". 

Faut-il en déduire que le nouveau mécanisme d'adoption d'accords dans les TPE est contraire à la Constitution ? C'est l'avis du professeur de droit : "Le Conseil constitutionnel pourrait toutefois s'approprier des arguments aujourd'hui dans le débat public et considérer qu'au sein d'une TPE la communauté de travail est tellement réduite que le rapport direct des salariés à leur employeur rend inutile l'intermédiation de représentants du personnel.

Pour que le dispositif soit valide, il faut plus qu'un vote

Mais le principe de "détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises" n'exige-t-il pas au moins une discussion avec l'employeur, une négociation, autrement dit la possibilité de faire évoluer le texte ?, interroge Alexandre Fabre. Pour que le dispositif soit valide, je pense qu'il faut davantage qu'un vote précédé d'une information. Pouvoir échanger, formuler des contre-propositions et que l'employeur y réponde est essentiel. Reste à savoir si l'insuffisance manifeste de garanties autour du référendum pourrait être rattrapée par une concertation appropriée organisée par l'employeur, mais en l'état actuel, je ne crois pas un seul instant à la constitutionnalité du référendum dans les entreprises de moins de onze salariés", conclut-il.

Le CSE, laissé à la merci des délégués syndicaux

S'agissant ensuite de la création du comité social et économique (CSE), qui regroupera comité d'entreprise, délégués du personnel et CHSCT, Joseph Morin, maître de conférences à l'Université Paris 1 Sorbonne, n'y voit pas de difficulté juridique au regard du cadre constitutionnel ou des normes internationales : "Il n'y a pas d'innovation majeure, c'est la fin d'un processus engagé avec l'institution de la délégation unique du personnel", rappelle-t-il. La liberté presque totale laissée aux partenaires sociaux pour fixer les modalités d'exercice des prérogatives économiques du CSE interpelle en revanche le juriste.

 L'effectivité des droits du CSE est-elle garantie ?

"Si les trois grandes consultations sont maintenues et restent incontournables, l'accord collectif peut désormais en définir le contenu et le contenu des informations délivrées aux élus, prévoir un délai pour rendre les avis inférieur au plancher de 15 jours, déterminer le niveau de consultation, en revoir les modalités, porter leur périodicité à trois ans et avec une possibilité de rendre un avis unique sur tout ou partie de ces trois consultations, énumère-t-il. Face à tant de liberté contractuelle, le législateur a-t-il prévu suffisamment de gardes-fous pour assurer l'effectivité des prérogatives économiques du CSE ? Rien n'est moins sûr, avance Joseph Morin. Et compte-tenu des délais, très courts, désormais retenus pour contester la validité des accords collectifs, il y a peu de chances qu'un CSE qui se découvre en cours de mandat dans l'incapacité de remplir ses missions puisse agir à temps".

Enfin, le conseil d'entreprise qui fusionnera toutes les prérogatives aujourd'hui accordées aux instances représentatives, risque également de ne pas survivre à l'examen du juge constitutionnel : "Les organisations syndicales seront dans ce cadre totalement évincées de la négociation, de la révision et de la dénonciation des accords collectifs, met en avant le maître de conférences. Cette nouvelle architecture présente un véritable potentiel de contrariété avec les alinéas 6 et 8 du préambule de la Constitution de 1946".

Julien François
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