"Nous sommes tous conditionnés par le commerce de la distraction"

"Nous sommes tous conditionnés par le commerce de la distraction"

29.09.2017

Représentants du personnel

Christian Schiaretti dirige depuis 2002 le TNP, le théâtre national populaire de Villeurbanne, près de Lyon. Quel regard porte cet homme de théâtre sur le monde des comités d'entreprise et sur leurs activités culturelles ? Interview.

Vous dirigez un théâtre national populaire (TNP) se concevant quasiment comme un service public devant pouvoir atteindre tous les foyers. Que vous inspirent les mots : "comité d'entreprise" ?
"Ce que m'inspire un comité d'entreprise ? Le CE, c'est d'abord la politique qu'il peut conduire concernant l'accès à la culture, à commencer, prosaïquement, par la billetterie, c'est-à-dire un endroit où il est possible pour les salariés d'acquérir des billets pour des spectacles. Mais pour moi, en tant que patron d'un théâtre, le CE c'est bien sûr aussi un interlocuteur. C'est un dialogue social nécessaire, avec ses hauts et ses bas. Mais particulier chez nous puisque nous n'avons pas de troupe permanente, et il n'existe pas de contrat de travail liant des acteurs à un directeur, donc il n'y a pas d'acteur au sein du CE, mais des représentants du personnel administratif et technique.
Les salariés qui viennent via leur CE représentent-ils une partie importante du public de vos spectacles?

Sur les 80 000 billets que nous vendons chaque année (dont 10 000 abonnés), les CE ne doivent en représenter que 3,4%. C'est très peu, quasiment rien. Et pourtant nous sommes un théâtre subventionné, ou plutôt nos places sont subventionnées : chez nous, le billet est vendu 13€ mais il coûterait 150€ sans ces subventions.

Comment expliquez-vous cette faible part du public emmené par les CE ?

L'explication principale est sociétale. Dans notre société, l'ensemble des produits, y compris "culturels", se vendent sur l'idée d'une temporalité rapide, efficace, sans aucune dimension introspective ou spirituelle. Nous sommes tous conditionnés, et pas seulement les élus des comités d'entreprise, par cette communication qui habille tous les produits d'un vernis de distraction. Or l'activité authentique, a fortiori artistique, est souvent lente, précise, silencieuse.

L'épanouissement culturel relève d'une lutte à mener

Par ailleurs, à côté de la dimension syndicale de la défense des salariés, bien sûr très utile, il y a toute une pensée liée à l'émancipation de l'individu, à son enrichissement, c'est le projet de l'homme qui dépasse sa condition économique grâce aux activités culturelles, mais cette idée s'est perdue. Il y a des élus de CE, j'en connais, qui se battent encore pour cela mais c'est très difficile car les relais politiques de cette idée n'existent plus. Ces questions ne sont plus pensées. Il ne s'agit pas d'une question morale : l'épanouissement culturel relève à mes yeux d'une lutte mais cette lutte n'est plus menée sur le plan syndical et politique, alors qu'autrefois, dans une bourse du travail, il y avait les syndicats bien sûr mais aussi de l'alphabétisation, par exemple, et plein d'autres activités. La seule pensée qui a existé ces dernières années sur le plan culturel, et qui nous vient de la gauche, c'est, pour résumer, l'idée que chacun doit s'exprimer, que tout le monde est artiste. C'est un égalitarisme qui peut paraître généreux mais qui évacue toute idée de discipline et d'effort, alors qu'une véritable éducation populaire à l'art passe par de la discipline et de l'effort. Même si je pense que le TNP fait partie des exceptions, j'observe une trop grande séparation entre un public culturel, qui consomme ce que les institutions culturelles produisent pour lui, et un public populaire. Quand j'ai fait venir au TNP Laurent Terzieff (Ndlr : un acteur et metteur en scène charismatique décédé en 2010), il m'a apporté tout un public que je n'avais jamais vu au théâtre. Il faisait partie de ces artistes qui sont renommés et dont la personnalité et la célébrité suscitent une grande curiosité. Certains pourront trouver cela vulgaire mais lorsque cela va de pair avec une profonde générosité, ce qui était son cas, cela peut renouveler le public.

Qu’est-ce qui pourrait redonner une force à l’accès populaire à la culture ?

Je n'en sais rien ! Aujourd'hui, le commerce tient toutes les rênes. Il nous faut réactiver un principe symbolique très fort. Et ce n'est guère le cas lorsque le président de la République lui-même s'exprime après une soupe anglosaxonne ! Cela relève de la militance politique.

La culture nécessite effort et exigence

Il faut tordre le cou à cette idée que la culture ne nécessite pas d'effort et d'exigence, sans restreindre non plus la culture à l'idée gaullienne de je ne sais quelle grandeur passée. Cette question est aussi liée à notre Nation : étant directeur du théâtre national populaire (TNP), je ne peux pas évacuer cette dimension. Pour moi, la Nation passe d'abord par la langue, une langue exigeante qui n'est pas une distinction élégante mais résulte d'un travail rigoureux.

Que pensez-vous des ordonnances réformant le droit du travail ?

Je ne suis pas le plus compétent pour en parler mais je vois une ruse évidente dans la façon dont ce débat a été mené, je sens une évidente mauvaise foi de la part du gouvernement. Sinon, tout ce que je peux dire à propos de mon métier, comme directeur d'un théâtre, c'est que les contrats de projet, je connais, je prends des risques. J'ai d'ailleurs longtemps milité pour un statut spécial qui lierait l'acteur à un metteur en scène, mais cela n'existe pas et c'est dommage. Vous avez soit des CDI, et donc des acteurs que le nouveau metteur en scène doit licencier si son projet ne leur correspond plus, soit le régime intermittent. Mais notre milieu est très particulier.

Vous étiez invité aux 50 ans de l'association des journalistes de l'information sociale (Ajis). Quel regard avez-vous porté sur cet événement ?

Cela m'a changé du journalisme que je connais, celui de la critique théâtrale ! Mon regard est celui d'un homme de théâtre, attentif à la mise en scène et aux coulisses. Mais je dois dire que j'ai été assez enthousiasmé par la militance des journalistes sociaux avec qui j'ai échangé -je ne parle pas des idées politiques mais d'un engagement passionné pour leur travail, sur un terrain pourtant difficile voire ingrat. J'ai vu un attachement très fort des journalistes à leurs sujets, et je n'ai pas observé de compromission, il y avait une certaine tenue". Et puis, réunir l'ensemble des partenaires sociaux, il fallait le faire !"

 

Le TNP propose un partenariat aux comités d'entreprise

Après des études de philosophie, Christian Schiaretti s'est orienté vers le théâtre dont il a exercé tous les métiers, de l'accueil à la mise en scène. Il a dirigé la Comédie de Reims de 1991 à 2002 et, depuis cette date, il dirige le Théâtre national populaire (TNP) de Villeurbanne, près de Lyon. Il y a "monté", comme on dit au théâtre, des pièces d'August Strindberg, de William Shakespeare, mais aussi d'un contemporain comme Michel Vinaver, dont il a créé la dernière pièce, Bettencourt Boulevard ou une histoire de France. Pour son Corolian de Shakesperare, Chistian Schiaretti a reçu le prix du syndicat professionnel de la critique, le prix Molière du metteur en scène et le Molière du théâtre public en 2009.

La saison 2017-2018 du TNP propose une affiche éclectique allant de Pier Paolo Pasolini à Molière (Le Misanthrope) en passant par Michel Vinaver (La demande d'emploi), Tchekhov (Les Trois soeurs), Feydeau ou Jarry.

► Consulter ici le programe

►Sachez aussi que le TNP propose un partenariat à des comités d'entreprise. Cela permet aux CE de faire découvrir aux salariés la programmation du théâtre à des tarifs préférentiels et d'organiser des parcours spécifiques ou des soirées au TNP. Contact : s.moreau@tnp-villeurbanne.com

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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