[Vidéo] Ordonnances : la CFDT face aux doutes et critiques de ses élus

[Vidéo] Ordonnances : la CFDT face aux doutes et critiques de ses élus

03.10.2017

Représentants du personnel

Depuis le mois de mars et pour les quatre années à venir, la CFDT a acquis le rang de premier syndicat de France dans le privé. Une réussite à l'origine du rassemblement hier à Paris de 10 000 élus et délégués syndicaux CFDT, néanmoins partiellement éclipsée par les interrogations et critiques à l'égard du refus de la confédération de s'opposer plus fermement aux ordonnances Macron.

 

 

La CFDT a rassemblé hier, porte de La Villette à Paris, 10 000 de ses élus et délégués syndicaux pour célébrer sa place, acquise fin mars (édition du 4 avril 2017), de syndicat le plus représentatif dans le privé. Un ton festif que l’on n’a cependant pas retrouvé lors du débat matinal consacré aux ordonnances Macron. L’exercice s’annonçait périlleux et certain militants n’ont pas manqué l’occasion pour manifester leur mécontentement ou leurs interrogations sur la bonne stratégie à adopter face aux ordonnances (voir nos interview en vidéo ci-dessus). Pendant deux heures à la tribune, l’équipe confédérale a reçu de sa base une véritable volée de bois vert.

« Ce n’est pas le coup d’état social décrié par certains »

En introduction de cet échange libre, la secrétaire nationale Marylise Léon a expliqué la démarche confédérale au cours des derniers mois : « Il s’agissait d’une concertation et non d’une négociation. Le gouvernement nous a présenté les grandes lignes de sa réforme pour que nous exprimions nos accords et désaccords. Pourquoi la CFDT s'est-elle engagée dans cette concertation ? Pour la même raison qui justifie aujourd’hui notre place de premier syndicat du privé : c'est parce que nous pensons que c'est dans les entreprises que l'on construit les meilleurs équilibres pour les salariés », soutient-elle.

Quel regard porte alors la confédération sur le résultat des bilatérales avec le ministère du Travail ? « Le texte définitif révèle une défiance du gouvernement à l’égard du dialogue social et des sections syndicales d’entreprise, regrette Marylise Léon. Nombre de dispositions permettent à l'employeur de décider seul ». « Côté instances représentatives, le compte n’y est pas du tout. Nous demandions que la possibilité de déroger par accord d’entreprise à l’instance unique, complète Philippe Portier, secrétaire général de la CFDT métallurgie. Le pire dans ce volet concerne le dialogue social dans les TPE et entreprises de moins de 20 salariés en l’absence de d’élus, le patron pourra faire un soi-disant accord ratifié, avec la pression que l’on peut imaginer, par les 2/3 des salariés ». « Néanmoins, le bureau national n'a pas appelé à manifester le 12 septembre car pour nous ce n’est pas le coup d'état social décrié par certains, reprend Marylise Léon. Et surtout il y a d'autres réformes à venir : la formation professionnelle, l'assurance chômage puis les retraites. Si nous voulons continuer à exercer notre syndicalisme de propositions, il faut rester autour de la table avec le pouvoir politique », défend la secrétaire nationale.

La CFDT mise sur des décrets d’applications moins défavorables

Un discours qui n’a visiblement pas convaincu l’auditoire : « Vos propos sont trop modérés. Il faut qu’on se positionne, a d’abord déploré, sous les applaudissements, la déléguée syndicale centrale d’une filiale d’Orange. On se débat dans nos entreprises, mais on ne va pas pouvoir continuer avec ce qui va se passer avec les ordonnances ». Un agacement confirmé par un autre délégué syndical central : « Ces ordonnances, c'est une technique pour asphyxier les syndicats : les suppléants ne pourront plus assister aux réunions, ce qui va les empêcher de monter en compétences. Donc on n’aura pas de nouveaux candidats et on ne pourra plus non plus enchaîner les mandats successifs. Laurent Berger nous dit de faire le travail en entreprise, mais avec quels moyens ? », s’interroge-t-il.

« Nous sommes déçus et Laurent (Nldr : Berger) a déjà dit que c'était inacceptable, répond Marylise Léon. Sur la question des moyens tout n'est pas défini, il y a encore des décrets à paraître. Et c’est justement parce que nous ne nous sommes pas encore marginalisés comme d'autres syndicats qui ont défilé dans la rue que l’on va pouvoir peser auprès du gouvernement pour obtenir des moyens supplémentaires, assure la secrétaire nationale confédérale. On a déjà obtenu des choses importantes. Au sein de l'instance unique, l'ensemble des prérogatives sont préservées alors que ce n'était pas l'idée première du gouvernement. La CFDT défend une vision positive du syndicale. On a maintenant un vrai défi pour démontrer ce que l'on apporte aux salariés ». « C'est vrai qu'il y a une réduction de moyens, mais ce n'est pas la catastrophe, se défend Philippe Portier, objet d’huées pour cette intervention. Vous savez tous que le gouvernement avait pour projet initiale la remise en cause du monopole syndical au premier tour des élections professionnelles, ça c’était une véritable catastrophe que nous avons permis d’éviter. Dans la boite, c'est le rapport de force qu'on peut établir qui est déterminant et ça vous savez le faire. Et pour la limitation du nombre de mandats, il faut voir l’aspect positif. Cela va permettre une rotation des équipes. Et si cela ne vous convient pas, il reste la possibilité de déroger à cette nouvelle règle dans l'accord préélectoral ».

"C'est un recul social sans précédent, a immédiatement réagi un délégué syndical de Canon. Je suis en fin de carrière et pourtant je n'ai jamais vu une telle casse sociale. J'ai l'impression que la confédération essaye par tous les moyens de justifier d'avoir commis l'irréparable. Je suis très déçu".

« Nous sommes la seule organisation à avoir fait bouger les lignes »

D’autres élus s’inquiètent de l’image de la CFDT et d’éventuels effets négatifs sur les résultats aux élections professionnelles : "La CFDT est peut-être première dans le privé, mais au regard de ce qui se passe on n’est pas du tout sûrs d’arriver à la même place dans le public, analyse cette militante en collectivité territoriale. Nos collègues du public ont aussi des conjoints dans le privé et ils risquent de nous faire payer nos positions.  Il y a un manque de cohérence, avec ces ordonnances toutes les lignes rouges sont dépassées, et pourtant il ne se passe rien de notre côté ! ».  

À cette accusation, Marylise Léon répond encore une fois : stratégie à long terme. « C’est une question de stratégie. Il s’agit de se donner demain les meilleures chances de pouvoir continuer à peser sur les réformes du gouvernement. Et je pense vraiment qu'on est la seule organisation syndicale à avoir fait bouger les lignes ».

Manifester contre les ordonnances ? « N’emmenons pas les salariés dans le mur », répond Véronique Descacq

Inévitablement, le débat s’est alors porté sur l’éventualité d’un appel à manifester à l’initiative de la CFDT : « On a déjà pris la loi El Khomri en plein dans la tronche, s’exclame un membre de CHSCT d’Air France. Mais il y avait la création du compte de prévention de la pénibilité qui justifiait de laisser passer mal de choses. Aujourd’hui, Emmanuel Macron revient sur ce C3P, donc à partir de quand allons-nous décider d'aller dans la rue ? ». « On fête aujourd’hui notre première place dans le privé, mais cette position doit servir, s’insurge cette secrétaire de CHSCT. Si notre organisation est si forte, pourquoi ne rien faire ? Je vous assure qu’en entreprise la situation n’est plus tenable. Il faut aller dans la rue pour davantage faire pression sur le gouvernement ».

« Se mettre dans la rue, c'est renoncer à pouvoir peser dans tout ce qu'il reste à négocier derrière », maintient Marylise Léon malgré la grogne non dissimulée des militants (*). « Si on avait senti un malaise à la base, franchement on se serait posé la question, reprend avec autorité Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT. Mais ce que nous disent les sections syndicales, c’est qu’il est hors de question d'aller manifester avec la CGT et que la CFDT c'est un syndicalisme de résultats. Or on en a des exemples de manifestations qui n'ont rien donné. Qui croit vraiment que nous allons obtenir par la manifestation le retrait ne serait-ce que du barème prud'homal ? Personne. Alors n'emmenons pas nos militants et les salariés dans le mur et vers une perte de journées de salaire. Notre première responsabilité c'est maintenant d'aller vers les salariés", conclut la n°2 de la confédération. Une journée de fête dans l'unité, vraiment ?

(*) La CFDT a lancé hier son "appel des 10 000". Cette pétition constitue un appel au gouvernement ("Reconnaissez pleinement le rôle des syndicats dans l'entreprise"), un appel aux chefs d'entreprise ("Partagez le pouvoir économique avec les salariés et ceux qui les représentent") et aux organisations patronales ("Cessez de ne tolérer le syndicalisme que s'il reste hors des murs de l'entreprise"). 

 

Laurent Berger : "La CFDT vit un moment historique"

Pour son discours de clôture du rassemblement, le secrétaire général de la CFDT a d'abord félicité ses équipes : « Vous vous rappelez du 31 mars 2017 ? Oui, bien-sûr ! C’est le jour où la CFDT est devenue la première organisation syndicale dans le secteur privé. Nous vivons ensemble, avec tous les autres militantes et militants, un moment historique. Historique pour la CFDT et historique pour le paysage social français ». Avant de défendre le bilan de la CFDT : «Certains voudraient faire croire que le syndicalisme n’est qu’une longue plainte inutile, je vous le demande : qui a obtenu la création des sections syndicales d’entreprises ? Qui a porté la réduction du temps de travail et les 35 heures ? Qui a arraché « les carrières longues », pour ceux qui ont commencé à travailler très jeunes ? Qui a créé le compte personnel de formation, pour le public comme pour le privé ? Oui, c’est nous», a-t-il déclaré. Et sur les ordonnances, Laurent Berger relativise : « Non, les ordonnances, ce n’est pas la mort du code du Travail. Non, ce n‘est pas un coup d’Etat social. Et non, ce n’est pas la fin des syndicats. Un peu de sérieux ! Un peu de nuances ! Notre travail de syndicalistes, nous l’avons fait tout au long des concertations. Contrairement à d’autres, nous nous sommes battus tout l’été. Nous avons fait reculer le gouvernement sur de nombreux points et nous avons même obtenu quelques avancées. Trop peu, mais elles ne sont pas anodines, je pense à l’augmentation des indemnités légales de licenciement. La cohérence qui est la nôtre, c’est la conviction que notre efficacité est auprès des travailleurs et dans le rapport de forces que nous menons dans les lieux de travail. Face aux ordonnances, le défi à relever est celui-là. C’est plus compliqué qu’une manif’, je vous l’accorde. Mais c’est beaucoup plus efficace ».

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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