Représentation équilibrée des sexes : le gouvernement a été bien inspiré de modifier la loi Rebsamen !

Représentation équilibrée des sexes : le gouvernement a été bien inspiré de modifier la loi Rebsamen !

22.01.2018

Représentants du personnel

Depuis la loi Rebsamen, les listes aux élections professionnelles doivent comporter un nombre de femmes et d'hommes proportionnel à leur part respective au sein de chaque collège électoral. FO soutenait que cette disposition, avec notamment la règle d'arrondi, était contraire à la Constitution car de nature à exclure l'un des sexes de tout mandat représentatif. Le Conseil constitutionnel ne censure pas l'article mais il émet une réserve, d'ores et déjà intégrée par les ordonnances. Explications.

Le syndicat FO avait soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) afin que le Conseil constitutionnel déclare non conforme à la Constitution l'article L. 2324-22-1 introduit par la loi Rebsamen du 17 août 2015 en faveur d'une représentation équilibrée entre hommes et femmes aux élections professionnelles. Rappelons que cet article impose que les listes de candidats aux élections professionnelles comportent un nombre de femmes et d'hommes proportionnel à leur part respective au sein de chaque collège électoral. Et lorsque l'application de ce principe ne permet pas de déboucher sur un nombre entier de candidats, le code du travail prévoit une règle d'arrondi (*) pour décider du nombre de candidats et de leur sexe (par exemple, 1,6 est arrondi à 2 et 0,4 est arrondi à zéro).

Problème : l'application de cette règle d'arrondi peut avoir pour conséquence d'exclure totalement les salariés d'un des deux sexes, lorsque ce sexe est en forte minorité dans un collège électoral, de toute possibilité de devenir représentant du personnel. FO soutenait que cette disposition était contraire au principe d'égalité devant la loi. Le 19 octobre 2017, la Cour de cassation avait jugé la question suffisamment sérieuse pour la renvoyer devant le Conseil constitutionnel.

Pas de censure mais une réserve

Ce dernier s'est prononcé vendredi 19 janvier. Il considère tout d'abord que le Législateur pouvait "prévoir un mécanisme de représentation proportionnelle des femmes et des hommes au sein du comité d'entreprise et l'assortir d'une règle d'arrondi pour sa mise en oeuvre". Les Sages décident donc que l'article L.2324-22-1 est conforme à la Constitution, mais avec la réserve que cette disposition "ne saurait, sans porter une atteinte manifestement disproportionnée au droit d'éligibilité aux institutions représentatives du personnel résultant du principe de participation, faire obstacle à ce que les listes de candidats puissent comporter un candidat du sexe sous-représenté dans le collège électoral".

Le Conseil constitutionnel, dont le rôle est de se prononcer clairement sur la conformité ou la non conformité d'une loi par rapport à la Constitution, a introduit progressivement dans ses décisions la notion de "réserve" qui lui permet de nuancer sa position, voire de "sauver" une disposition en en donnant une interprétation limitée. Dans la décision rendue ici, cette réserve semble correspondre au cas, décrit dans la doctrine du conseil, de réserve dite "constructive". Dans ce type de réserve, le Conseil ajoute "au texte ce qui lui manque pour être conforme, sous couleur de l'interpréter". Le Conseil recourt à cette technique lorsque "la loi n'a pas prévu de dispositions suffisamment précises et que ces omissions portent atteinte à des garanties fondamentales constitutionnellement protégées".

 

Cette réserve sonne un peu comme un avertissement pour l'Exécutif et pour le législateur. Sauf que ce problème avait été anticipé par le nouveau gouvernement. Les ordonnances Macron de septembre ont introduit un nouvel article (L. 2314-30) précisant ceci : "Lorsque l'application de ces règles (Ndlr : l'arrondi) conduit à exclure totalement la représentation de l'un ou l'autre sexe, les listes de candidats pourront comporter un candidat du sexe qui, à défaut, ne serait pas représenté. Ce candidat ne peut pas être en première position sur la liste". Cette règle s'applique depuis le 1er janvier 2018.

Le gouvernement a anticipé le problème de droit

La décision du Conseil constitutionnel valide donc, en quelque sorte, le changement opéré par les ordonnances. En effet, le Conseil estime que l'objectif d'un égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux est légitime et que le législateur pouvait donc imposer une règle de proportionnalité et même une règle d'arrondi. Mais c'est à la condition que l'application de ces règles ne prive pas les personnes d'un des deux sexes de pouvoir devenir représentant du personnel. C'est bien la voie qu'a choisi le gouvernement : il n'a modifié ni la règle de proportionnalité ni la règle d'arrondi mais simplement introduit une disposition imposant d'écarter l'application de la règle d'arrondi lorsqu'elle aboutit à exclure la représentation totale de l'un des deux sexes.

► En cas de non respect par une liste du principe de représentation équilibrée des sexes (trop d'hommes ou trop de femmes par rapport à la composition du collège électoral) ainsi que du principe de l'alternance femme-homme sur la liste, la loi Rebsamen a prévu que le juge puisse annuler l'élection d'un nombre d'élus du sexe surreprésenté, "en suivant l'ordre inverse de la liste des candidats". Mais cette annulation n'entraînait aucune élection partielle. L'ordonnance du 22 septembre 2017 y remédie. L'article L. 2314-32 impose la tenue d'élections partielles "si un collège électoral n'est plus représenté ou si le nombre des membres titulaires de la délégation du personnel du CSE est réduit de moitié ou plus".

 

(*) Lorsque l'application de cette règle ne permet pas d'aboutir sur un nombre entier, le texte prévoit une mesure de calcul d'un arrondi arithmétique suivant : arrondi à l'entier supérieur en cas de décimale supérieure ou égale à 5 ; arrondi à l'entier inférieur en cas de décimale strictement inférieure à 5.

 

L'essentiel à retenir
  • Le Conseil constitutionnel n'a pas censuré la loi Rebsamen en faveur d'une plus grande parité dans la représentation des salariés
  • Le Conseil estime que si ce but est légitime, il ne doit pas avoir pour conséquence de priver tout accès à un mandat électif pour l'un des deux sexes dans une entreprise
  • Le gouvernement avait par avance tenu compte de cette réserve en modifiant le code du travail : il ne faut pas tenir compte de la règle dite de l'arrondi lorsqu'elle a pour conséquence de priver un des deux sexes de toute candidature aux élections professionnelles
  • Nouveauté des ordonnances : l'annulation par un juge de l'élection d'un ou de plusieurs représentants du personnel  (du fait du non respect de la représentation équilibrée des sexes) peut désormais entraîner une élection partielle

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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