CSRD : quel rôle pour le CSE ?

CSRD : quel rôle pour le CSE ?

22.01.2025

Dans un mois et demi, les premières entreprises françaises vont publier leur rapport de durabilité sociale et environnementale, selon les nouvelles normes européennes issues de la directive CSRD. Les élus des CSE devront être informés et consultés à ce sujet. Les précisions et les conseils donnés, lors d'une conférence à Paris le 21 janvier, par le cabinet Sextant.

actuEL-CSE / BD

Le moins qu'on puisse dire est qu'elles ne sont pas simples à saisir, les nouvelles normes européennes touchant à l'environnement, au social et à la gouvernance, liées à la mise en œuvre de la directive européenne CSRD (1). Le sujet paraît très technique, et truffé d’un jargon ("durabilité", "double matérialité", "normes agnostiques") peu encourageant pour le néophyte.

C'est d'ailleurs pain béni pour les lobbyistes qui sont opposés à ce reporting. A l’instar de la CPME, ils ne cessent de fustiger ces nouvelles contraintes pesant sur les employeurs. Au point que Stéphane Séjourné, le commissaire européen en charge du dossier, a annoncé lundi être favorable à une "simplification" de la CSRD qui passerait par "la suppression de certaines obligations de reporting" (2). Pas de très bon augure alors que souffle outre-Atlantique un vent peu favorable aux efforts visant à limiter le réchauffement climatique... 

Pourtant, comme l'a dit devant les représentants du personnel Christian Pellet, le président du cabinet Sextant, lors d'une conférence tenue à la salle Morning à Paris le mardi 21 janvier, cela fait des années que ces normes sont préparées et que les grandes entreprises et leurs organisations sont associées à leur élaboration. Ces normes s'inscrivent dans le prolongement de l'obligation de DPEF (déclaration de performance extra-financière) introduite en 2017 et de la loi climat et résilience de 2021, qui a imposé aux entreprises d'informer et consulter le CSE sur les conséquences environnementales de leurs activités.

Donner des infos aux investisseurs pour qu'ils préfèrent des entreprises "durables"

Ces nouvelles normes ESRD (pour European Sustainability Reporting Standards) obéissent à une volonté politique européenne claire : "L'idée de la directive CSRD, c'est d'apporter aux investisseurs des indicateurs nourris de remontées d'informations pour qu'ils soient à même de préférer investir dans la durée dans les entreprises qui ont de bons indicateurs. Plus de 5 000 entreprises françaises sont concernées", explique Damien Gaudichon, responsable durabilité au sein de Sextant.

L'idée est que de bonnes orientations d'investissement pousseront les entreprises à être vertueuses, en réduisant leurs émissions de gaz à effet de serre, en améliorant leur politique sociale et la prise en compte des enjeux sociaux chez leurs sous-traitants et dans toute leur chaîne de valeur, mais aussi en présentant une gouvernance davantage transparente. Ce faisant, ces entreprises participeraient à l'effort collectif visant à parvenir entre autres à la neutralité carbone.

Les premiers rapports dans un mois et demi

2025 est la première année de l'application visible en France, premier pays à avoir transposé les nouvelles obligations de reporting issues de la directive CSRD.

En effet, certaines entreprises vont devoir présenter dans leur rapport de gestion leurs informations sur la durabilité.  Le CSE devra s’assurer que c’est bien le cas : en effet, une majorité d’entreprises ne respectent déjà pas leur obligation d’établir un bilan d’émission de gaz à effet de serre (BEGES), alors qu’elle s’applique aux entreprises de plus de 500 salariés.

Quelles sont les entreprises visées ? Comme l'indique le tableau de Sextant ci-dessous, il s'agit, pour simplifier, des entreprises cotées employant plus de 500 salariés et ayant un bilan supérieur à 25M€ ou un chiffre d'affaires supérieur à 50M€. Les entreprises de taille inférieure seront concernées en 2026 et 2027 et en 2029 il est prévu que certains groupes non européens soient aussi visés par ces obligations. 

Sextant

"Nous aurons dans un mois, un mois et demi, ces premiers rapports de durabilité. Ils ne seront pas parfaits mais ils vont s'améliorer à terme", soutient Damien Gaudichon. Rappelons qu'est prévue une sanction allant jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 75 000€ d'amende vise les commissaires aux comptes en cas de reporting frauduleux. 

Une information consultation des CSE

Les entreprises devront informer et consulter leurs CSE à l'occasion de la parution de ce rapport, plus précisément sur les informations en matière de durabilité (art. L. 232-6-3 et L. 233-28-4 du code de commerce).

Ce n'est pas un avis distinct qui sera demandé au CSE. Mais les textes ne précisent pas à quelle grande consultation le point sur la CSRD doit être rattaché : "Ce peut être la consultation sur les orientations stratégiques car cela engage l'avenir, la consultation sur la politique sociale car il y a un élément de gestion prévisionnelle des emplois et des parcours professionnels, la consultation sur la situation économique et financière, car le rapport sur la durabilité est compris dans le rapport de gestion de l'entreprise", soulignent Christian Pellet et Damien Gaudichon. 

Cette dernière possibilité peut sembler la plus logique. D'ailleurs, l'article L. 2312-25 du code du travail modifié par l'ordonnance du 6 décembre 2023 explique bien que l'employeur, en vue de la consultation sur la situation économique et financière, doit mettre à disposition du CSE les documents transmis à l'assemblée générale des actionnaires, y compris le rapport de certification des informations en matière de durabilité. Annexé au rapport de gestion de l'entreprise, ce rapport de durabilité remplace la DPEF, la déclaration de performance extra-financière (3).

Quoi qu'il en soit, la rédaction de cette nouvelle obligation de consultation est intéressante.

Les élus ont leur mot à dire sur les moyens d'établir les informations et de les vérifier

En effet, dit l'article L. 2312-17 du code du travail modifié par l'ordonnance du 6 décembre 2023, le CSE doit être consulté sur les informations en matière de durabilité (..) et sur les moyens de les obtenir et de les vérifier". 

C'est là un point très important, souligne Christian Pellet. Jusqu'à présent, les organisations syndicales et les représentants du personnel semblent avoir été marginalisés dans l’élaboration de ces normes (4). Pourtant, l’esprit de la directive est d’associer à ce travail toutes les parties prenantes. Autrement dit, les élus CSE ont "toute légitimité à se saisir des enjeux de durabilité de leur entreprise et faire entendre leur voix", insiste le président de Sextant. Selon lui, le législateur a clairement voulu donner un pouvoir accru aux représentants du personnel afin de mettre la pression sur l’entreprise.

 Aux CSE de "challenger" l'entreprise sur les critères de durabilité et les résultats

 

 

Autrement dit, c’est à vous de "challenger" l’employeur sur ce rapport et la façon dont l’information a été construite, au besoin en vous faisant aider par un expert. "Les indicateurs permettent-il d’accréditer l’idée d’une bonne trajectoire de décarbonation de l’entreprise ?  Pourquoi l’absentéisme dont vous connaissez la réalité dans l’entreprise n’est-il pas mentionné dans les enjeux de durabilité ? Sur ces points, vous pouvez demander au commissaire aux comptes qui a certifié le rapport de venir s’expliquer devant le CSE", soutient Damien Gaudichon.

Une autre question délicate concernera le périmètre du rapport durabilité : il sera établi au niveau de groupe, mais contiendra-t-il des informations pertinentes sur le plan local ou pour une filiale ? Là encore, l’appui d’un expert peut être précieux. "C’est un peu comme pour les comptes consolidés : le bilan global doit comprendre la contribution de chaque filiale", avertit Christian Pellet.

Reste à savoir si cette approche, finalement très "capitaliste", fera pencher la balance dans le bon sens, et si cette politique résistera à l'attractivité d'une meilleure performance économique à court terme que semble promettre aux investisseurs la politique économique de Donald Trump. Si de nombreux observateurs et commentateurs redoutent un décrochage économique de l'Europe, d'autres observent que des pays comme le Brésil, l'Inde ou la Chine, au regard des enjeux de la transition climatique qui les impactent directement, n'ont pas forcément intérêt de s'aligner sur les positions américaines.

 

(1) La directive date du 14 décembre 2022. Elle a été transposée en droit français par l'ordonnance du 6 décembre 2023 et le décret du 30 décembre 2023. CSRD : Corporate Sustainability Reporting Directive, ou directive sur les rapports de durabilité des entreprises.

(2) La Commission européenne doit présenter le 26 février son projet de simplification ou d'allègement des normes CSRD, sachant que le Conseil et le Parlement européens vont ensuite l'amender.

(3) Rappel : les informations contenues dans la BDESE, la base de données économiques, sociales et environnementales, qui avaient été complétées en 2022 (notre infographie), devront comprendre certains éléments du rapport de durabilité (article L. 2312-36 du code du travail). Un bilan d'émission de gaz à effet de serre (BEGES) est obligatoire pour les entreprises d'au moins 500 salariés et peut être présenté de façon simplifié par les petites entreprises.

(4) Christian Pellet souligne que les organisations syndicales n’ont guère été interrogéees sur la durabilité par les grands cabinets d’audit. Sextant cite l’exemple du rapport établi par Veritas en 2023, une préfiguration intéressante du rapport durabilité, mais qui n’a pas du tout associé la représentation du personnel de l’entreprise.

 

Rapport CSRD : 500 à 700 indicateurs à suivre
Si certains parlent de 1 200 éléments à fournir dans le rapport durabilité, Sextant évalue entre 500 et 700 le nombre d'indicateurs à renseigner pour une entreprise, ces données étant parfois déjà disponibles et connues en interne, surtout dans les très grandes entreprises.

"La CSRD représente, c’est vrai, une contrainte pour organiser de nouvelles remontées d'informations. Mais c'est aussi l'opportunité de réfléchir à la stratégie de l'entreprise et de son modèle d'affaires, de voir comment elle pourra à terme bénéficier de financements moins onéreux en prouvant sa capacité d’être durable, et cette dimension est un peu occulté dans le débat actuel", souligne Damien Gaudichon. Ce dernier explique aussi que ce travail englobe toute la chaîne de valeur d’une entreprise, y compris ses sous-traitants.

Pour schématiser, disons que le rapport doit renseigner des éléments portant sur trois domaines :

  1. l’environnement : changement climatique, pollution, ressources hydriques et marines, biodiversité et écosystèmes, utilisation des ressources et économie circulaire ;
  2. le social : personnel de l’entreprise, travailleurs de la chaîne de valeur, communautés affectées, consommateurs et utilisateurs finaux ;
  3. la gouvernance : conduite des affaires, éthique et lutte contre la corruption, gestion des relations avec les fournisseurs, influence politique.

Le reporting se fait en renseignant :

  • des normes qui s’appliquent à tous, on parle de normes "transectorielles" ou "agnostiques" ; 
  • des normes sectorielles (non encore publiées à ce jour) ;
  • des informations propres à l’entité.

Cette évaluation se fait selon le concept dit de "double matérialité". Cette notion croise la "matérialité d’impact", c’est-à-dire l’impact direct de l’entreprise sur les personnes ou sur l’environnement, et la "matérialité financière", c’est-à-dire un impact sur la situation financière de l’entreprise, sa performance, son accès au capital. Il s’agit donc d’établir une estimation, chiffrée ou non, de ce double impact, d’où le nom de double matérialité.

Pour compléter votre information, vous trouverez ci-dessous la liste très simplifiée des informations de durabilité que l'employeur doit fournir au CSE, tableau établi par Frédéric Aouate, du Guide CSE de Lefebvre Dalloz.

Guide CSE Lefebvre Dalloz

Bernard Domergue

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