A l'issue de la conférence sociale le vendredi 17 juillet à Matignon, le Premier ministre a annoncé le report des réformes des retraites et de l'assurance chômage à 2021. Ministres et syndicats se sont dit mobilisés en priorité pour l'emploi. Ce qu'il faut retenir de ce premier tour de table social.
"Nous avons trouvé un accord sur le calendrier de travail". Tels ont été parmi les premiers mots du discours du Premier ministre Jean Castex, à l'issue de la première réunion de concertation avec les partenaires sociaux, vendredi 17 juillet. Gouvernement et syndicats (voir notre vidéo d'interview ci-dessus et notre encadré en fin d'article) sont convenus que la priorité est la défense de l'emploi, la lutte contre la crise et le chômage. Mais l'agenda social arrêté, qui court dès la semaine prochaine, recouvre de nombreux autres domaines. Outre le report à 2021 des réformes des retraites et de l'assurance chômage, ministres et leaders syndicaux vont aussi aborder la santé, le télétravail, le travail détaché, le partage de la valeur, les branches ou encore la reconnaissance des emplois à forte utilité sociale. Une nouvelle conférence sociale est dores et déjà prévue pour octobre 2020. Trois axes ont été retenus : des mesures rapides contre la crise, la transformation du modèle économique et environnemental, le financement pérenne du système français de protection sociale.
L'ensemble de la réforme des retraites est reporté à 2021. Partenaires sociaux et ministres se sont entendus sur le fait de distinguer les aspects conjoncturels liés à la crise et les difficultés structurelles. Les éléments systémiques (retraite universelle par points ou non) et paramétriques (modalités d'accès à la retraite, âge pivot) seront donc traités séparément l'année prochaine. Sur le financement d'un système pérenne de protection sociale, le conseil d'orientation des retraites commencera par étudier un état des lieux actualisé de la situation macro-économique, dont il aura les résultats en septembre. Une concertation démarrera ensuite à l'automne.
Même report concernant la réforme de l'assurance chômage, dont plusieurs mesures ont suscité des réactions négatives lors de leur mise en place : la dégressivité des allocations (en vigueur depuis 2019), le calcul du salaire journalier de référence (dont les nouvelles modalités devaient entrer en vigueur en septembre prochain), le nombre de mois travaillés pour avoir droit au chômage (passé de 4 à 6 mois depuis novembre 2019) et le bonus malus mis en oeuvre auprès des entreprises en fonction de leur utilisation de contrats courts. L'entrée en vigueur de ces points est intégralement reportée de six mois. Des réunions de concertation reprendront avec les syndicats cet automne.
Le gouvernement prévoit 250 000 jeunes supplémentaires sans emploi au mois de septembre. Ils constitueront donc le grand chantier de la rentrée mais une première réunion avec les partenaires sociaux leur sera déjà consacrée dès la semaine prochaine. Au sujet des primes qui pourraient être allouées aux entreprises embauchant des jeunes de moins de 25 ans (4 000 € pendant un an dans la limite de 1,6 SMIC), le gouvernement souhaite mener encore quelques arbitrages.
Autre moyen de lutte contre la crise : le plan de relance. Les partenaires sociaux ont demandé au gouvernement que les mesures soient prévues par filières, projets et territoires. D'ici deux semaines, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire et la ministre du Travail Élisabeth Borne réuniront les syndicats et engageront des concertations avec les régions. Sur cette base, les discussions sectorielles et territoriales permettront de déboucher sur des mesures concrètes à compter du mois de septembre.
Gouvernement et partenaires sociaux veulent ouvrir un chantier sur "l'interrogation des modes de travail" (selon les mots de l'entourage du Premier ministre) et la reconnaissance des salariés. Les "métiers en tension" mis en avant pendant la crise seront recencés par branches. Les syndicats vont aussi poursuivre leur réflexion sur le télétravail, le bien-être au travail et la santé, sans intervention du gouvernement. Au sujet du télétravail, les syndicats devraient parvenir à un diagnostic partagé en octobre 2020. Autre chantier ouvert : le partage de la valeur. Participation, intéressement, actionnariat salarié, rémunérations mais aussi implication des salariés à la gouvernance de l'entreprise seront abordés eux aussi d'ici la fin de l'année par les syndicats, de même que les travailleurs détachés et les travailleurs des plateformes.
En coordination avec le ministère de la Santé, le Premier ministre souhaite la création d'une branche autonomie/dépendance. Elle donnera lieu dans un premier temps à un état des lieux et une concertation, avant d'être traduite par des dispositions législatives. Le sujet des séniors sera aussi à l'étude, au travers des questions du vieillissement au travail, de la transmission des savoirs et du cumul emploi-retraite. A nouveau, une concertation sera engagée cet automne. Toujours au menu, la restructuration des branches dont le chantier sera poursuivi dans un but de simplification et de cohérence. Enfin, côté écologie, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, étudiera les suites à donner à la convention citoyenne pour le climat. Des réunions thématiques auront lieu en septembre.
Le gouvernement compte envoyer le détail de cet agenda aux syndicats la semaine prochaine.
Les réactions des partenaires sociaux
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François Asselin (CPME) Le premier antidote à la perte d’emploi est l’activité. Avant que la relance soit effective au début du mois de septembre, les entreprises ont besoin d'être soutenues. La CPME salue l’annonce faite par le ministre de l’Economie de permettre aux entreprises jusqu’à 250 salariés de pouvoir étaler si besoin le report des cotisations sociales jusqu’à 36 mois. Geoffroy Roux de Bézieux (MEDEF) La concertation fut dans son ensemble positive. La priorité est le plan de relance, l’emploi. Le MEDEF met en avant une concertation résumée comme « les 12 travaux d’hercule », c’est-à-dire une rencontre reposant sur l’établissement d’une liste très importante de sujets à traiter avant la fin de l’année (le plan jeune, un projet de loi sur la convention citoyenne sur le climat, le sujet « dépendance », le sujet sur la santé au travail ainsi que sur le télétravail, etc.). Du fait de cet agenda chargé, le Medef se demande si tous les sujets énoncés pendant la réunion pourront être effectivement traités. Yves Veyrier (FO) Il y a eu un changement de ton ; le dialogue social fut franc et direct. FO se félicite que le gouvernement accepte de revenir notamment sur la négociation santé au travail. Il reste des points de désaccords à propos de l’assurance chômage et de la réforme des retraites. FO estime positif que le gouvernement sépare les différents sujets de négociation, au lieu de les réunir en une seule "conférence sociale". Concernant le plan de relance, FO insiste sur le fait de garder un œil un peu plus précis sur son évaluation et ses conditions de mise en œuvre. Yves Veyrier souligne également l’importance de revaloriser notamment tous les emplois qualifiés de "deuxième ligne" (caissiers, métiers de service à la personne, etc.). Laurent Berger (CFDT) La CFDT a constaté une volonté de dialogue "sincère" de la part du Premier ministre. Une affirmation forte ressort : la priorité absolue sur l’emploi, la relance économique et la lutte contre le chômage. La CFDT s’estime satisfaite à propos du report des mesures relatives à la réforme de l’assurance chômage. Elle continue de croire qu’un système de retraite universel serait plus juste. Philippe Martinez (CGT) La CGT constate également un dialogue centré sur l’écoute. Elle a formulé au Premier ministre des propositions notamment en matière de réindustrialisation, elle est d'ailleurs favorable au rétablissement d'un Commissariat au plan. Le syndicat note avec satisfaction que le gouvernement a décidé de reporter les mesures concernant la réforme de l’assurance chômage et la réforme des retraites, même si la reprise des discussions sur ces sujets reste encore floue. A propos de l’emploi des jeunes, Philippe Martinez insiste sur le fait que les aides attribuées aux entreprises doivent se concrétiser par des CDI, et non pas par des aides dites « provisoires » qui généreraient de l’emploi « précaire ». François Hommeril (CFE-CGC) La CFE-CGC salue une réunion productive, ainsi qu’un changement positif dans la méthode du gouvernement. Elle s’estime prête à répondre cet été aux sollicitations de concertation du gouvernement au vu du calendrier dense qui est prévu. Concernant le plan jeune, la confédération réaffirme qu’elle n’est pas favorable à des dispositifs de primes ou d’exonérations, au vu de leur coût important et de leur inefficacité. Elle préconise d’investir au contraire dans des dispositifs plus sophistiqués, tel que le financement d’une formation pour les jeunes embauchés. Pour la CFE-CGC, il faut créer les conditions de la « conditionnalité » des aides publiques aux entreprises, avec davantage de contrôle et davantage de suivi de l’utilisation de l’argent public. Cyril Chabanier (CFTC) La CFTC ressort satisfaite de cette réunion, placée sous l’égide du dialogue social. Le syndicat demande la reconnaissance des métiers à fortes valeurs sociales et sociétales. Sur l’emploi des jeunes, la CFTC salue les premières mesures envisagées par le gouvernement. Elle souhaite par ailleurs que le gouvernement tende vers l’élaboration d’une « compétitivité de la qualité » (avec des investissements sur le numérique et la transition écologique), qui pourra permettre de générer un cercle vertueux en matière d’emploi ainsi que sur le plan économique. Sur la réforme des retraites, la CFTC continue de défendre le régime universel par points. |