Le gouvernement prépare une nouvelle forme d'activité partielle de longue durée, subordonnée à un accord collectif et à des engagements sur l'emploi de la part de l'employeur. Que penser de cette initiative ? Luc Bérard de Malavas, juriste chez Secafi, répond à nos questions.
Une bonne partie du dispositif n'est pas encore connu, car de nombreux éléments seront fixés dans un décret d'application. Quelles garanties seront apportées dans ce décret ? Nous ne le savons pas. Néanmoins, on ne peut que se féliciter de ce type de dispositif, une nouvelle forme d'activité partielle de longue durée qui s'appellerait "activité réduite pour le maintien en emploi" (Arme). En aidant l'employeur à traverser une période de crise tout en maintenant autant que possible l'emploi et les compétences internes, ce dispositif peut s'avérer gagnant tant pour les entreprises que pour les salariés.

Par ailleurs, le garde-fou prévu qui est l'obligation d'avoir un accord collectif (soit d'établissement, soit d'entreprise, soit de groupe soit un accord de branche étendu) pour que le dispositif puisse se mettre en place est aussi intéressant, d'autant que la loi ne prévoit pas pour ce dispositif une mesure d'individualisation de l'activité partielle, contrairement au dispositif général.

Il faut encore souligner que l'administration contrôlera l'accord un peu comme elle le fait pour les plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) : si c'est un accord d'entreprise, l'administration le validera, ou non, dans un délai de 15 jours; si l'entreprise applique un accord de branche, l'administration homologuera dans les 21 jours le document de l'employeur, en s'assurant notamment que le CSE a été régulièrement informé et consulté. Reste à savoir sur quelles modalités précises, et je pense notamment aux engagements sur l'emploi, l'administration effectuera ce contrôle. La question du maintien du pouvoir d'achat des salariés est également importante.
Il peut contribuer au renforcement du dialogue social, ce dont nous avons grand besoin dans cette période. Ce dispositif semble d'ailleurs répondre au manifeste d'une partie des partenaires sociaux de la métallurgie qui réclamait un dispositif alternatif à l'activité partielle (lire notre article). Alors qu'on constatait jusqu'à présent une volonté des pouvoirs publics d'affaiblir le dialogue social, comme on l'a vu avec la réforme de l'assurance chômage, là il semble que l'exécutif veuille redonner un peu plus la main aux partenaires sociaux.
En effet, il y a eu différentes versions lors de l'examen du projet de loi sur diverses mesures liées à la crise sanitaire. Dans un premier temps, le gouvernement avait voulu introduire cette mesure à travers une habilitation à prendre une ordonnance, de façon à ce que le Parlement lui délègue les pleins pouvoirs pour définir assez librement le dispositif dans une ordonnance. Mais il y a eu une forme de rébellion des sénateurs qui se sont opposés non pas au fond de la mesure mais sur sa forme : ils ont estimé que les ordonnances à tout-va et systématiques, cela commençait à bien faire, et je pense qu'ils avaient raison au regard du nombre d'ordonnances que nous avons connus.

Les parlementaires, en tant que législateur, ont voulu jouer pleinement leur rôle en amendant le texte et en contrôlant son contenu. Après le rejet par la commission des lois du Sénat de l'article habilitant le gouvernement à prendre une ordonnance, le gouvernement est revenu en séance plénière du Sénat avec un amendement précisant le dispositif et l'inscrivant dans la loi, sans recours à une ordonnance mais renvoyant à un décret pour les modalités techniques. Et la commission mixte paritaire (CMP) a validé le 2 juin le dispositif, et le texte issu de la CMP a été adopté définitivement à l'Assemblée et le sera le 10 juin au Sénat. La loi devrait entrer rapidement en vigueur ensuite. Il peut y avoir un recours devant le Conseil constitutionnel, mais cette disposition ne me semble pas susceptible d'être mise en cause.
Grande question ! Nous sommes de nombreux juristes à nous interroger sur l'articulation entre ce type d'accord et les accords de performance collective déjà existants (art. L.2254-2 du code du travail). En l'état actuel, je ne sais pas vous répondre de façon certaine, peut-être le décret apportera-t-il une clarification sur ce point.

C'est en tout cas une interrogation importante car elle pose la question des conséquences d'un refus du salarié de voir son contrat de travail modifié par un accord collectif. Dans le cadre d'un accord de performance collective (APC), ce refus peut entraîner un licenciement sans les garanties contenues dans un licenciement pour motif économique. Les garanties prévues par le cadre légal de l'APC sont très faibles, même si les négociateurs peuvent ajouter, ce qui est souhaitable, des dispositions plus favorables en cas de refus et de licenciement. C'’est clairement un nouveau type d’accord, qui aura sa logique propre, qui sera très dépendante de ses modalités précises, et du niveau de contribution financière qu’il pourra avoir pour préserver l’effectif et les compétences sur une période qui pourra être assez longue. Il est possible de faire l’hypothèse qu’il soit dans certains cas mis en œuvre de façon concomitante, voire de façon combinée, avec un accord de performance collective.

Quoi qu’il en soit, il faut absolument veiller à ce que ces accords se limitent aux seules entreprises vraiment en difficulté temporaire, dans une logique d’éviter un PSE qui deviendrait sans cela inéluctable. D’autres réponses existent pour gérer des crises de trésorerie, ou au contraire des situations structurellement déficitaires. De même, il convient de veiller à un partage des efforts entre salariés, dirigeants et actionnaires. Enfin, des garanties et des contreparties pour les salariés concernés, au-delà même du maintien de l’emploi, doivent être prévues, tout comme un suivi avec une clause de retour à meilleure fortune, par exemple en cas de baisse de rémunération.
Est-ce une forme de financement public de réduction du temps de travail ? Oui, au sens de partage du travail dans une logique d'évitement des licenciements. Mais pour vous répondre, il faudrait disposer de toute une série d'éléments que nous ignorons sur ce dispositif : sa durée, son ampleur, le niveau de financement, etc. La seule indication que nous ayons par exemple sur sa durée, c'est que les accords doivent être signés avant fin juin 2022, ce qui ne signifie pas pour autant que les accords cessent leurs effets à cette date.
De mon point de vue, une approche "simplement" sociale dans la négociation de ce type d'accords qui peuvent impacter fortement les salariés ne suffit pas.

Cette négociation suppose d'avoir une vision stratégique, économique et financi!re de l'entreprise, et d'établir un constat partagé sur la situation réelle de l'entreprise, en distinguant crise de trésorerie, pause temporaire du marché ou redéfinition du modèle économique et du dimensionnement de l'entreprise, des différences qui appellent des réponses sociales et stratégiques totalement différentes. De ce point de vue, l'intervention d'un expert-comptable en appui des représentants du personnel me paraît indispensable pour garantir rééquilibrer l'équilibre dans l'accès à l'information et dans la capacité d'analyse de la situation, entre les deux parties qui négocient. Sinon, le risque est d'aboutir à un accord déséquilibré car les deux parties n'auront pas été au départ sur un pied d'égalité. Un droit à expertise légal pris en charge par l'employeur me paraît souhaitable, comme cela existe pour le PSE et comme cela existait pour les accords de maintien dans l'emploi.
L'article "1er vicies" inclus dans le projet de loi Covid-19
|
---|
I. – Il est institué un dispositif spécifique d’activité partielle dénommé « activité réduite pour le maintien en emploi » destiné à assurer le maintien dans l’emploi dans les entreprises confrontées à une réduction d’activité durable qui n’est pas de nature à compromettre leur pérennité.
L’employeur peut bénéficier de ce dispositif sous réserve de la conclusion d’un accord collectif d’établissement, d’entreprise ou de groupe ou de la conclusion d’un accord collectif de branche étendu, définissant la durée d’application de l’accord, les activités et les salariés concernés par l’activité partielle spécifique, les réductions de l’horaire de travail pouvant donner lieu à indemnisation à ce titre et les engagements spécifiquement souscrits en contrepartie, notamment pour le maintien de l’emploi.
Un décret en Conseil d’État précise le contenu de l’accord.
II. – L’entreprise qui souhaite bénéficier du régime d’activité partielle spécifique en application d’un accord de branche mentionné au I élabore, après consultation du comité social et économique, lorsqu’il existe, un document conforme aux stipulations de l’accord de branche et définissant les engagements spécifiques en matière d’emploi.
Les conditions d’application et de renouvellement du document sont précisées par le décret mentionné au même I.
III. – L’accord collectif d’établissement, d’entreprise ou de groupe mentionné au I ou le document mentionné au II est transmis à l’autorité administrative pour validation de l’accord ou homologation du document.
L’accord de branche est étendu dans les conditions définies à l’article L. 2261-15 du code du travail.
IV. – L’autorité administrative valide l’accord collectif d’établissement, d’entreprise ou de groupe mentionné au I du présent article dès lors qu’elle s’est assurée :
1° Des conditions de validité et de la régularité de la procédure de négociation ;
2° De la présence dans l’accord de l’ensemble des dispositions mentionnées au même I.
La procédure de validation est renouvelée en cas de conclusion d’un avenant de révision.
V. – L’autorité administrative homologue le document élaboré par l’employeur en application d’un accord de branche, après avoir vérifié :
1° La régularité de la procédure d’information et de consultation du comité social et économique, lorsqu’il existe ;
2° La présence de l’ensemble des dispositions mentionnées au I ;
3° La conformité aux stipulations de l’accord de branche ;
4° La présence d’engagements spécifiques en matière d’emploi mentionnés au II.
La procédure d’homologation est renouvelée en cas de reconduction ou d’adaptation du document.
VI. – L’autorité administrative notifie à l’employeur la décision de validation dans un délai de quinze jours à compter de la réception de l’accord collectif mentionné au I et la décision d’homologation dans un délai de vingt-et-un jours à compter de la réception du document élaboré par l’employeur mentionné au II.
Elle la notifie, dans les mêmes délais, au comité social et économique lorsqu’il existe et, si elle porte sur un accord collectif, aux organisations syndicales représentatives signataires lorsqu’elles existent. La décision prise par l’autorité administrative est motivée.
Le silence gardé par l’autorité administrative pendant les délais prévus au premier alinéa du présent VI vaut décision d’acceptation de validation ou d’homologation. Dans ce cas, l’employeur transmet une copie de la demande de validation ou d’homologation, accompagnée de son accusé de réception par l’administration, au comité social et économique lorsqu’il existe et, si elle porte sur un accord collectif, aux organisations syndicales représentatives signataires lorsqu’elles existent.
La décision de validation ou d’homologation ou, à défaut, les documents précités et les voies et délais de recours sont portés à la connaissance des salariés par voie d’affichage sur leurs lieux de travail ou par tout autre moyen permettant de conférer date certaine à cette information.
VII. – Pour l’application du présent article, le pourcentage de l’indemnité et le montant de l’allocation peuvent être majorés dans des conditions et dans les cas déterminés par décret, notamment selon les caractéristiques de l’activité de l’entreprise.
VIII. – Ne sont pas applicables au régime d’activité partielle spécifique prévu au présent article :
– le deuxième alinéa de l’article L. 5122-2 du code du travail ;
– l’article 10 ter de l’ordonnance n° 2020-346 du 27 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière d’activité partielle ;
– les stipulations conventionnelles relatives à l’activité partielle, conclues avant l’entrée en vigueur de la présente loi.
IX. – Le présent article est applicable aux accords collectifs et aux documents transmis à l’autorité administrative pour validation ou homologation, dans les conditions prévues au III, au plus tard le 30 juin 2022.
|