"Les outils numériques de dialogue social offrent des opportunités mais ne remplacent pas le terrain"

"Les outils numériques de dialogue social offrent des opportunités mais ne remplacent pas le terrain"

31.03.2020

L'association Réalités du Dialogue Social publie une étude sur l'utilisation des outils numériques dans les relations sociales entre direction des entreprises, salariés et représentants du personnel. De juin 2018 à la fin de l'année 2019, elle a réuni une quinzaine de participants qui ont partagé leurs expériences et réflexions autour d'auditions et d’ateliers. Maud Stéphan, déléguée générale de l'association nous explique les conclusions de l'étude et leur intérêt dans la crise actuelle qui oblige élus et dirigeants à dialoguer à distance.

"Comment mettre le numérique au service du dialogue social ?" C'est le titre de la synthèse de votre étude sur le dialogue social à distance. Quelle démarche vous a conduit à réaliser ces travaux ?
Nous avons l'habitude de mettre en place des groupes de réflexion sur des sujets à défricher. C'est l'une de nos marques de fabrique. Nous l'avions fait en 2007 sur le dialogue social dans la fonction publique, ou en 2014/2015 sur les administrateurs salariés. J'ai ensuite eu l'idée de ce thème numérique en 2018 car c'était l'occasion de voir la place des dirigeants d'entreprises, des organisations syndicales et des représentants du personnel dans le dialogue social à distance. J'ai réuni une quinzaine de participants de tous horizons (représentants syndicaux, entrepreneurs, startupper, chercheur...) qui se sont beaucoup investis dès nos réunions de cadrage. En effet, le domaine numérique est souvent étudié à d'autres niveaux, comme la formation, les compétences, l'emploi. On a de plus assisté à la déstructuration des lieux de travail (télétravail, openspaces...), du temps de travail (droit à la déconnexion) et en parallèle au développement du numérique qui a pris de plus en plus de place dans la vie des entreprises. Sur la base de ce constat, nous avons choisi de travailler sur les interactions numériques entre les trois acteurs du dialogue social : les dirigeants, les représentants du personnel et les salariés. Et nous avons vite constaté que la digitalisation fonctionne particulièrement bien lorsqu'elle implique tous les acteurs, notamment avec les sondages et baromètres utilisés par la direction ou les élus du personnel pour récolter l'opinion des salariés. 
Quelles sont les conclusions de votre étude pour les élus du personnel ?
Le numérique leur offre de belles opportunités. C'est un peu comme nos téléphones portables dont nous n'utilisons pas les fonctionnalités à 100 %. Il en va de même avec le numérique. Il existe de nombreux outils qui ne sont pas toujours utilisés, faute de temps ou de formation. Notre étude conclut aussi que l'usage d'outils numériques ne remplace pas le dialogue de terrain. Les opérations de tractage, les rencontres physiques restent primordiales. La question est de placer le curseur entre ces deux modes de dialogue social. Le numérique permet en tout cas de démultiplier les contacts, notamment depuis que le télétravail se démocratise.
Quelles sont les solutions concrètes des élus du personnel pour mener à bien leurs missions pendant ce confinement ?
D'après les retours qu'ils me communiquent, ils utilisent surtout le téléphone, l'audio présentant moins de contraintes techniques que la visioconférence, bien qu'ils soient aussi nombreux à utiliser l'application Zoom. C'est pourquoi en ce moment le dialogue social est moins formel. La formalisation aura lieu dans un second temps, au moment du dépôt des avis et des accords. Pour l'instant, beaucoup de représentants cherchent des solutions notamment pour la signature des documents et le vote à bulletin secret. Aujourd'hui, les innovations se produisent surtout dans les relations entre les élus et les directions. La grande question c'est de quelle façon vont-ils pouvoir s'adresser aux salariés alors qu'ils ne sont plus sur site ? De plus, les organisations syndicales n'ont pas accès à la messagerie des salariés. Il y a peu d'innovations dans ce domaine.
Votre étude constate un décalage entre les outils de communication des directions et ceux des représentants du personnel. La crise actuelle va-t-elle renforcer ce phénomène ?
Certes, les dirigeants ont plus d'outils mais ils ne savent pas nécessairement s'en servir. Du côté des élus, je pense que les pratiques vont peu à peu gagner du terrain. Depuis l'épidémie, quelques CSE se sont tenus à distance. Des élus m'ont dit que c'était éprouvant car depuis la création du CSE, les ordres du jour sont très lourds. En revanche, des élus m'ont dit avoir ressenti une fluidification des échanges.
Le dialogue social classique crée des formalismes, des rituels connus de toutes les parties prenantes. Est-ce que le dialogue social numérique va développer lui aussi ses propres codes ?
Il est possible en effet que de nouveaux rituels s'installent dans la gestion numérique de la prise de parole. Il est certain qu'à distance, l'importance du langage non verbal est moindre: les regards, les attitudes parfois en disent long ! 
Avec la crise du coronavirus, beaucoup d'élus et de salariés sont en télétravail. Quel va être l'impact de cette épidémie sur l'usage d'outils numériques dans le dialogue social ?
C'est un peu tôt pour le dire. Il est clair qu'aujourd'hui on assiste à une utilisation forcée des outils numériques. Mais cette crise lève des barrières psychologiques. Certains participants à l'étude m'ont dit que le dialogue social était devenu quasi quotidien ces deux dernières semaines, qu'ils passaient la moitié de leur journée au téléphone avec des salariés, d'autres élus ou des dirigeants. On voit aussi émerger des innovations comme la création de groupes whatsapp. Dans cette période perturbée, le premier enjeu a été de rassurer les salariés. La question qui se pose maintenant est la suivante : comment ce dialogue social à distance va-t-il se structurer ? Pour les consultations du CSE, il faut trouver des outils numériques pour demander son avis à l'instance et gérer les échanges de documents. La question reste entière en matière de négociations.
Marie-Aude Grimont

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