Dans le secteur de l'aéronautique, le PSE d'Airbus pourrait entraîner une cascade de suppressions d'emploi chez les sous-traitants, les entreprises préférant déclencher tout de suite des PSE plutôt que négocier sur l'activité partielle de longue durée, déplore le cabinet d'expertise Syndex. Comment anticiper et comment réagir, en tant qu'élu du CSE et délégué syndical, face à ces situations ? Les conseils des experts Charlotte Moennard et Arnaud Negri.
C'est assez rare pour être souligné : Syndex, le cabinet d'expertise et de conseil aux IRP, a publié hier un communiqué de presse pour sonner l'alarme au sujet de la situation économique et sociale du secteur de l'aéronautique, qui représente en France 300 000 emplois directs dont les deux-tiers chez des sous-traitants (Honeywell, Safran, Latécoère, Thales, AAA-Aéro, Derichebourg, Colins Aerospace, etc.). Il faut dire qu'à peine un mois après l'annonce par le gouvernement d'un plan de soutien de 14 milliards au secteur aéronautique, dont la moitié d'aides pour Air France, Airbus a annoncé un plan social visant 5 000 suppressions de postes en France.

Ce PSE, qui a provoqué un rassemblement de 8 000 salariés à Blagnac, pourrait entraîner en cascade, comme on commence à le voir par exemple chez certains équipementiers comme Daher, de 20 000 à 25 000 suppressions d'emplois dans la filière en France, estime le cabinet. "C'est simple à comprendre : Airbus "fabrique" seulement 20% d'un avion, le reste est "acheté". Pareil pour Safran, qui ne prend en charge "directement" que 20% d'un moteur. Les intérimaires et les sociétés de services informatiques qui travaillent en amont dans les bureaux d'études sont tout de suite touchés car les donneurs d'ordre ont tendance en cas de crise à réinternaliser ces activités", nous explique Arnaud Negri, expert Syndex spécialisé dans le secteur de l'aéronautique et de la Défense.
L'autre explication que donne l'expert à cette soudaineté des plans sociaux et accords de performance collective, c'est l'exigence des actionnaires de retrouver très rapidement un niveau de rentabilité très important, de l'ordre de 10%. "Il y a douze ans, lors de la crise de 2008, l'automobile a attendu la rentrée pour annoncer des plans sociaux, j'en parlais encore l'autre jour avec des délégués syndicaux de ce secteur. Là, le secteur aéronautique dégaine tout de suite", constate Arnaud Negri. Ainsi s'expliquerait le paradoxe entre la mobilisation très forte d'argent public pour le soutien à l'activité partielle, destinée à sauver emplois et compétences le temps de la crise sanitaire, et l'accélération des restructurations dans le secteur. Car, paradoxalement, les entreprises du secteur ne se seraient pas précipitées sur l'activité partielle de longue durée, nouveau dispositif dont on attend du reste encore le décret.

Pour Charlotte Moennard, qui constate depuis Toulouse le "tsunami" de restructurations dans le secteur en Occitanie, il appartient aux élus du personnel et aux délégués syndicaux frappés par l'annonce de ces restructurations de rappeler l'existence de ces dispositifs d'aides. "Par exemple, le plan de soutien au secteur comprend un volet de 300 millions d'euros, dont 100 millions mobilisables rapidement si un dossier est déposé avant fin juillet, par les PME qui souhaitent se diversifier afin de passer la crise", nous explique Arnaud Negri. Et les deux experts de s'exclamer : "Personne ne sait précisément quand le secteur va redémarrer, et si les flottes aériennes existantes seront suffisantes. Mais l'on voit bien que les équipementiers de Boeing vont retrouver des commandes en 2021. Et tout le monde est d'accord pour qualifier cette crise de conjoncturelle. Alors pourquoi prendre aujourd'hui des mesures structurelles ?"
"Les élus du personnel prennent ces annonces de plein fouet, parfois juste avant les vacances", constate Charlotte Moennard. Il peut s'agir de PSE, mais aussi de plans de départs, de ruptures conventionnelles collectives ou de mesures d'économies via des accords de performance collective qui mettent parfois en pratique des projets dormant parfois depuis plusieurs mois dans les cartons.

Le premier conseil de la consultante est donc de s'entourer pour prendre du recul, car la pression va être très forte, tant du côté des salariés que de la direction : un avocat, un expert, un conseil extérieur, ce n'est pas du luxe. "Le piège de ce type de plan, c'est de s'enfermer dans l'entreprise. Les élus et DS ont intérêt à sortir, à aller voir la Direccte, les acteurs politiques locaux et régionaux, voire le gouvernement", conseille Charlotte Moennard.
Ensuite, les élus peuvent chercher à gagner un peu de temps en refusant par exemple qu'un plan annoncé le 15 juillet soit clos au 15 septembre en exigeant une prolongation du délai de consultation pour tenir compte des congés, en "neutralisant" donc la période du congés pour l'exclure de la période de consultation. Enfin, la représentation du personnel doit tenter d'y voir plus clair dans la situation économique réelle de l'entreprise, quitte à soulever des solutions alternatives comme la diversification d'activités.

L'on sait que les organisations syndicales ont à nouveau réclamé une conditionnalité des aides publiques aux entreprises et une vérification de leur utilisation, comme récemment lors de la manifestation récente des salariés de Nokia (notre podcast) mais aussi lors de leur rencontre avec le Premier ministre (voir par exemple la réaction de François Hommeril de la CFE-CGC). Syndex fait le même constat en regrettant que le plan de soutien à l'aéronautique n'ait pas été élaboré avec les représentants des salariés, notamment pour prévoir des critères de maintien de l'emploi, car "sinon, même des projets soutenus par le plan type "usine du futur" risquent de se traduire par encore moins d'emplois en sortie de crise".
Si les PSE devaient se multiplier, nul doute que cette revendication de contrôle des aides et soutiens aux entreprises mais aussi de participation à l'élaboration des plans de relance va également monter dans l'opinion...