Affaire Lafarge en Syrie : cassation de l’annulation de la mise en examen pour complicité de crime contre l’humanité
09.09.2021

Cassation de l’annulation de la mise en examen de la société Lafarge pour complicité de crime contre l’humanité. Précisions sur l’intérêt à agir des associations de victimes en matière de financement du terrorisme.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu, le 7 septembre 2021, trois arrêts dans l’instruction en cours à l’encontre de la société Lafarge SA concernant les actions d’une de ses sous-filiales en Syrie entre 2012 et 2015.
Ces décisions étaient très attendues et ont tranché plusieurs questions importantes, notamment sur la possibilité pour une personne morale d’être poursuivie pour des faits de complicité de crime contre l’humanité et sur les conditions de constitution de partie civile des associations en matière d’infractions terroristes.
Cassation de l’annulation de la mise en examen pour complicité de crime contre l’humanité
S’agissant des éléments constitutifs de la complicité de crime contre l’humanité, l’arrêt n° 868 (pourvoi n° 19-87.367) est historique à plusieurs titres :
d’abord, il convient de rappeler que la Cour de cassation n’avait plus étudié cette question depuis l’arrêt Papon du 23 janvier 1997 ;
ensuite, c’est la première fois que cette qualification est analysée au regard de la mise en examen d’une personne morale.
Sur le fond, la Cour de cassation casse l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris en ce qu’il a annulé la mise en examen de la société Lafarge pour crime contre l’Humanité et applique ainsi le droit commun de la complicité de l’article 121-7 du code pénal au crime contre l’Humanité.
La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris avait annulé cette mise en examen au motif que la société Lafarge n’avait pas manifesté l’intention de s’associer aux exactions et crimes de l’organisation dite « Etat Islamique » (EI), mais cherchait seulement à permettre la poursuite de l’activité de sa cimenterie en Syrie et sur le territoire occupé notamment par l’EI.
La Cour de cassation casse très clairement ce raisonnement de la chambre de l’instruction :
« 66. […] [L]’article 121-7 du code pénal n’exige ni que le complice de crime contre l’humanité appartienne à l’organisation, le cas échéant, coupable de ce crime, ni qu’il adhère à la conception ou à l’exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique, ni encore qu’il approuve la commission des crimes de droit commun constitutifs du crime contre l’humanité.
67. Il suffit qu’il ait connaissance de ce que les auteurs principaux commettent ou vont commettre un tel crime contre l’humanité et que par son aide ou assistance, il en facilite la préparation ou la consommation. […]
71. Dès lors que l’article 121-7 du code pénal ne distingue ni selon la nature de l’infraction principale, ni selon la qualité du complice, cette analyse a vocation à s’appliquer aux personnes morales comme aux personnes physiques. »
En conséquence, la Cour de Cassation a jugé que la Chambre de l’Instruction avait ajouté une condition supplémentaire à la caractérisation de la complicité en exigeant la démonstration d’une adhésion du complice supposé au « plan concerté » de l’auteur du crime contre l’humanité. Or l’article 121-7 du code Pénal requiert seulement que le complice ait connaissance du crime et ait sciemment apporté son concours à sa réalisation ;
En cassant l’annulation de la mise en examen de la société Lafarge SA pour complicité de crime contre l’humanité, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence antérieure et applique le droit commun de la complicité au crime contre l’Humanité.
L’ouverture du champ de la responsabilité pénale des entreprises multinationales
Ces arrêts, inédits en ce qu’ils analysent pour la première fois l’incrimination de complicité de crime contre l’humanité s’agissant d’une personne morale, doivent être lus à la lumière des récentes décisions de la Cour de cassation tendant à ouvrir le champ de la responsabilité pénale des entreprises multinationales.
A ce titre, on peut, par exemple, rappeler le récent revirement de jurisprudence de la Chambre criminelle qui permet aujourd’hui l’engagement de la responsabilité pénale de la société absorbante pour les comportements illégaux d’une société absorbée commis avant la fusion (Cass. crim., 25 nov. 2020, n° 18-86.955).
Les sociétés internationales sont maintenant amenées directement à répondre des infractions, y compris les plus graves, commises par leurs filiales en France ou à l’étranger.
Dans de telles conditions, il apparaît aujourd’hui primordial pour les entreprises de mettre en place des programmes de prévention du risque pénal et de développer une politique de compliance rigoureuse et déterminée pour lutter contre les atteintes aux droits humains.
Précisions sur l’intérêt à agir des associations en matière d’infractions terroristes
Les arrêts n° 865 (pourvoi n° 19-87.031) et n° 866 (n° 19-87.036) dessinent, par ailleurs, une interprétation stricte des conditions de constitution de partie civile des associations ayant pour objet de lutter contre les crimes internationaux.
Il faut notamment retenir que l’infraction de financement d’une entreprise terroriste prévue à l’article 421-2-2 du code pénal ne peut pas causer un préjudice direct ou personnel permettant la constitution de partie civile, y compris par une association ayant pour objet de représenter les victimes du terrorisme.