Analyse de la 2e audience de la Commission des sanctions de l'Agence française anticorruption

23.01.2020

Pour ceux qui ont eu peur de la météo, l'attente dans le froid hivernal afin d'obtenir le laisser-passer valait le déplacement. Une nouvelle communauté compliance se créé ainsi sur le bord du trottoir de l'avenue d'Italie à Paris, siège de l'AFA.

La décision qui sera rendue dans un mois au plus tard va-t-elle permettre aux autres entreprises de comprendre ce que les autorités attendent d’elles dans la mise en œuvre de leur programme de conformité ? C’est d’ailleurs ce qu’attendait le public présent, comme l’a rappelé, à la fin de l’audience, le conseil de la société Imerys contrôlée ce 22 janvier.

Comme pour la première société qui avait fait l'objet de contrôles en 2019 (v. notre article), la société qui a été renvoyée devant la Commission des sanctions par le Directeur de l’AFA a eu plus de 2 ans pour améliorer son programme de conformité. Dès lors, sur les sept manquements relevés au moment du rapport, il n’en restait plus que trois au moment de la lettre de saisine de la Commission en septembre 2019 : non-conformité de la cartographie des risques, du code de conduite et des contrôles comptables.

D'emblée, la société Imerys a avancé l'imprécision de la notification des griefs, mais a néanmoins répondu point par point.

Cartographie des risques

Ainsi, la cartographie mise en œuvre par la société Imerys ne suivrait pas l’analyse fine demandée par les Recommandations de l’AFA :

  • la méthodologie employée par la société contrôlée aurait évolué et son application serait différente d'une région à une autre. Cette non-homogénéité serait préjudiciable à la cartographie ;
  • le nombre de personnes interviewées serait insuffisant dans certaines régions où la société contrôlée opère ;
  • les subdivisions par régions donneraient des territoires trop vastes et disparates et, de ce fait, ne permettraient pas une identification des risques spécifiques ;
  • comment intégrer les risques spécifiques d’un pays ou du business model (qui semble être notamment fondé sur un nombre important d’acquisitions auquel procède le groupe) dans la cartographie générale du groupe sans venir les diluer excessivement ?
  • le plan d’actions est-il suffisamment adapté pour couvrir les risques spécifiques de certaines filiales ?

La question que pose alors la société Imerys consiste à déterminer le niveau de granularité que la Commission des sanctions considère comme raisonnable pour effectuer une cartographie fiable.

Comme l’a soulevé l’un des Commissaires, la notion d’analyse fine des processus n’existe pas dans les textes. Dans ce cas, comment l’AFA peut-elle la justifier ?

C’est ici que l’AFA nous rappelle que l’analyse des processus est une méthode habituelle des risques dans les cartographies, que ces dernières portent sur des risques de corruption ou sur d’autres types de risques.

La société Imerys a conclu en estimant qu’elle était désormais en conformité avec la recommandation de l’AFA, mais qu’elle ne suivait pas les obligations qui surajoutent aux recommandations publiées et sont insérées dans le rapport de l’AFA.

Jusqu’où doit-on aller ? S’agit-il d’un manquement ?

La Commission des sanctions qui a admis qu’il s’agissait d’une question d’experts nous le dira-t-elle ?

Code de conduite

A l'instar d'un certain nombre d'entreprises, la société Imerys dispose depuis de longues années d’un code éthique, faisant état de l’ensemble des engagements de la société, y compris du respect des lois anti-corruption. Elle a mis en place une politique anticorruption depuis 2014.

Il semble ressortir des éléments abordés pendant l’audience, que seul le code éthique aurait été annexé au Règlement intérieur et que la politique anticorruption, qui correspond aux prescriptions de la loi et de l’AFA, établie sur la base de la cartographie et présentant des cas pratiques, est bien diffusée à l’ensemble des salariés, mais n’a pas été annexée au règlement intérieur. Un lien hypertexte va être ajouté dans le code éthique pour renvoyer directement à la politique anticorruption.

Ainsi, suivre le formalisme demandé est-il indispensable ou vaut-il mieux que l’entreprise adopte une structuration de codes, politiques et procédures qui correspondent au mieux à son organisation et à ses habitudes ?

Les contrôles comptables

La société contrôlée a admis qu’à la date du contrôle elle ne bénéficiait d'aucun dispositif de contrôle dédié à la corruption, mais qu’elle disposait bien déjà d’autres contrôles qui permettaient, en partie, de couvrir le risque corruption. Elle a indiqué que depuis elle avait mis au point une liste complète de contrôles de premier, deuxième et troisième niveaux selon un plan de déploiement (mise en œuvre effective) courant jusqu’en avril 2021.

Certains contrôles spécifiques sont désormais déjà mis en place, d’autres le seront plus tard.

Dès lors, faut-il que la Commission des sanctions suive l’AFA et sanctionne, car il n'y a aucune assurance sur le fait que les mesures ont/seront mises en œuvre, ou doit-elle laisser la société contrôlée mettre en application ces nouveaux contrôles comptables ?

Ce choix relatif aux contrôles comptables s’applique en réalité aux 3 manquements :

  • la société contrôlée a engagé la mise à jour de la cartographie des risques qui s’achèvera dans 3 ans et permettra une uniformisation des méthodes. Est-ce suffisant ?
  • un renvoi à la politique anti-corruption va être inséré par lien hypertexte dans le code éthique ? Est-ce suffisant ?
  • les contrôles comptables vont être mis en œuvre progressivement. Est-ce suffisant ?

Que doit faire la Commission des sanctions ? Considérer que les manquements sont désormais couverts ou suivre l’AFA qui réclame la mise en conformité sous injonction dans des délais très courts ?

L’AFA a en outre réclamé, en début d’audience, l’application d’une sanction pécuniaire dans le cas où au terme des délais de réalisation, ces mises en conformité ne seraient pas réalisées. Mais cette demande est-elle conforme aux principes de légalité des peines et de proportionnalité ?

Le conseil de la société Imerys en doute car elle revient à fixer le montant de l’amende avant même de connaître l’étendue du manquement, et cela donc sans débat contradictoire. De ce fait, l'AFA a semblé renoncer à cette demande de sanction en fin d’audience.

Enfin, l’AFA a également proposé un ajournement de façon à lui permettre de conduire des contrôles complémentaires sur la mise en œuvre des mesures en cours de déploiement. Est-ce la solution vers laquelle la Commission des sanctions s’orientera ?

Maria Lancri, Avocat au Barreau de Paris, Associée, Squair

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