Luc Bérard de Malavas l'a martelé tout au long de son webinaire organisé par le cabinet Secafi, lundi 5 octobre : "Pour faire face à un projet de restructuration présenté par la direction, il faut absolument anticiper ! " Les élus du personnel et les organisations syndicales peuvent ainsi, avant même la présentation du projet, exiger un diagnostic sur la situation de l'entreprise et évaluer la proportionnalité du projet présenté. Les expertises, droits d'alerte et accords de méthode sont autant de leviers efficaces à utiliser.

Cette recherche doit bien sûr précéder l'ouverture des discussions avec la direction : "Une direction est d’autant plus disposée à prendre en compte les propositions alternatives que celles ci sont présentées tôt dans le projet, avant que le projet ne soit totalement finalisé", a indiqué Luc Bérard de Malavas. Pour ce faire, les marges de manoeuvres doivent, selon le juriste et consultant de Secafi, être recherchées partout, notamment dans les cinq thématiques suivantes :
- les moyens financiers, tant au niveau de l'entreprise que du groupe ;
- l'analyse de la stratégie ;
- la politique sociale, emploi et compétences ;
- la vision marché ;
- les choix organisationnels.
Attention, il ne s'agit pas, au travers de ces cinq thèmes, de demander aux dirigeants cinq diagnostics différents. Il faut au contraire évaluer la cohérence de ces critères dans le projet de restructuration présenté. Par ailleurs, le diagnostic peut être demandé avant toute présentation de projet de restructuration, lors de chacune des consultations issues de la loi Rebsamen : sur les orientations stratégiques, sur la situation financière de l'entreprise, et sur la politique sociale, l'emploi et les conditions de travail (les fameuses NAO, négociations annuelles obligatoires).
D'autant que le CSE peut à ces occasions demander le recours à une expertise, celle-ci étant financée à 100 % par l'employeur si elle porte sur la situation économique et financière, la politique sociale, l'emploi et les conditions de travail. Attention, précise Luc Bérard de Malavas, dans le cadre de la consultation sur les orientations stratégiques, à défaut d'accord plus favorable, l'expertise est co-financée à 80 % par l'employeur et 20 % par le CSE sur son budget de fonctionnement. Le CSE peut aussi exercer son droit d'alerte économique qui ouvre droit à une expertise légale en cas de faits de nature préoccupante. Il faut alors prévoir là aussi 20 % de financement sur le budget de fonctionnement du CSE.
"Mais même une fois le projet présenté, il faut challenger ce projet selon les cinq dimensions du diagnostic", exhorte le juriste et consultant de Secafi. Dans le cadre d'un PSE, il est encore une fois possible de diligenter des expertises légales avec financement intégral de l'employeur. Ce n'est en revanche pas le cas en présence d'une rupture conventionnelle collective (RCC). "Néanmoins, les élus peuvent le demander à l'employeur. Et dès lors que l'employeur, sans un accord, ne peut pas mettre en place de RCC, vous avez un véritable levier dans le cadre de cette ouverture de négociation".
"Connaître les restructurations pour mieux les affronter" : le conseil peut sembler simpliste tant il relève de l'évidence, mais qui ne l'est pas car les dispositifs de restructuration sont aujourd'hui nombreux. L'employeur dispose de multiples outils pour agir sur les effectifs de l'entreprise. Et ils répondent tous à la fois à des règles communes et à des règles qui leur sont propres.
Les élus doivent donc en maîtriser les bases, voire même renforcer leurs connaissances et leurs réflexes dans la vague de restructurations qui s'annonce du fait de la crise sanitaire. C'est pourquoi Luc Bérard de Malavas en a proposé une synthèse lors de son webinaire (voir les tableaux en pages 22 et 23 du document de présentation en pièce jointe): "Rappelons tout d'abord que la restructuration est une opération de gestion décidée par un employeur et consistant à réorganiser une entreprise en fonction de la conjoncture ou d’une stratégie". Il peut s'agir de réorganiser la production, de rompre des contrats de travail, de modifier le temps de travail ou les rémunérations, ou encore d'envisager une évolution quantitative des emplois. A partir de cette grille, on peut identifier six formes de restructuration :
- le plan de départs volontaires (PDV) ;
- le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE)
- la rupture conventionnelle collective (RCC) ;
- l'accord de performance économique (APC) ;
- la gestion prévisionnelle des compétences (GPEC) ;
- l'activité partielle de longue durée (APLD).

Le conférencier de Secafi commente ce slide de présentation : "Autant, sur les dispositifs historiques du PSE et du PDV, la restructuration peut être mise en place soit par accord, soit par décision unilatérale de l'employeur sous contrôle de la Direccte, autant les autres dispositifs donnent lieu à un accord majoritaire. C'est donc un véritable levier dont vous disposez pour obtenir des modifications et proposer des alternatives". On remarquera par ailleurs que PSE, PDV, RCC et GPEC sont destinés à encadrer les ruptures de contrats de travail, tandis que l'APC et l'APLD visent à maintenir l'emploi.
Enfin, le contenu des restructurations est fortement dépendant des caractéristiques propres de l’entreprise et de son secteur. Les élus doivent donc s'interroger : à quel horizon est il anticipé un retour au niveau d’avant crise ? Et est-il tout simplement possible ? S'agit-il d'une difficulté passagère ou bien d'une transformation structurelle ? Dispose-t-on de capacités d’ajustements moins brutales, telles que des départs en retraite ou des possibilités d’évolution des compétences ? "Le rôle des instances représentatives du personnel est essentiel sur la détermination des modalités les plus adaptées de restructuration, sur la limitation des conséquences sur les salariés et sur l'obtention de contreparties aux efforts demandés par les salariés. Les dirigeants ont-ils supprimé leurs bonus ? Les actionnaires réduit leurs dividendes ? Tout cela, les élus de CSE et les délégués syndicaux doivent y penser et l'anticiper", insiste Luc Bérard de Malavas.
Des conseils, les élus du personnel et les délégués syndicaux vont en avoir besoin. Outre ce qui a été dit en début de webinaire sur la nécessité d'anticiper et d'exiger un diagnostic de la situation de l'entreprise, le juriste de Secafi recommande de négocier un accord de méthode. Il permet en effet d'obtenir du temps et des moyens pour conduire les discussions, de négocier des expertises, de donner au CSE une place dans les négociations en prévoyant éventuellement une consultation qui n'est pas requise par la loi.
Une fois l'accord de méthode conclu, la négociation devra couvrir les sujets suivants :
- préservation des emplois et compétences ;
- capacité des entreprises à rebondir et investir ;
- santé au travail des salariés ;
- maintien du pouvoir d'achat des salariés ;
- contreparties aux efforts consentis par les salariés ;
- accompagnement des salariés perdant leur emploi.

Un mot également du conférencier sur la pression que peuvent rencontrer les négociateurs et les représentants du personnel : "Quand la direction soumet un projet de restructuration, cela fait des mois qu'elle y travaille, qu'elle reçoit des conseils extérieurs. Elle va tenter de vous contraindre dans un timing très limité. Vous devez alors vous poser pour déterminer les meilleures conditions de négociation possibles. Prenez votre temps, vous ne devez pas subir le timing imposé par la direction".
En conclusion de webinaire, Luc Bérard de Malavas rappelle une fois de plus qu'un accord majoritaire est nécessaire pour faire aboutir une restructuration (à l'exception du PSE et du PDV) et encourage les représentants du personnel à se saisir de ce levier. "Vous avez un rôle dans la préservation de l'emploi, du pouvoir d'achat et des conditions de travail. Donc ne prenez pas le projet de la direction comme un fait acquis ! Projetez-vous dans l'avenir et négociez que le jour où la situation s'améliore, la direction mettra en place le partage de cette valeur ajoutée nouvelle. Dans tous les cas, de toute façon, il faut vous y prendre le plus tôt possible...".