Aurélie Dort : "Le gouvernement risque d'avoir besoin du 49.3 s'il veut faire passer sa réforme"
14.03.2023

Une Commission mixte paritaire est réunie, ce matin, afin de trouver un accord sur le projet de loi retraites. Quelle qu'en soit l'issue, le gouvernement risque d'avoir à utiliser l'article 49.3 de la Constitution pour faire passer sa réforme, selon Aurélie Dort, maître de conférences en droit public à l'Université de Lorraine. Interview sur la bataille parlementaire qui s'annonce et rappel des points en discussion.
C'est une commission réunissant sept députés et sept sénateurs qui doivent trouver un compromis sur le texte qui leur est soumis. La procédure parlementaire est conçue pour qu'un texte soit adopté dans des termes identiques dans les deux chambres, Assemblée nationale et Sénat.
Non en effet, l'Assemblée n'ayant pu examiner ni voter l'ensemble du texte, alors que ce fut le cas au Sénat. D'où la réunion d'une commission mixte paritaire : si les Assemblées ne parviennent pas à un texte, on suppose que sept députés et sept sénateurs parviendront à se mettre d'accord.
Au Sénat, c’est à la commission compétente pour l’examen au fond du texte qu’il revient, après consultation des présidents de groupes, de désigner les représentants du Sénat à la CMP. La liste est ensuite adressée au président du Sénat. À l’Assemblée nationale, les présidents de groupes communiquent directement au président de l’Assemblée le nom de leurs candidats. Le président et le rapporteur de la commission saisie au fond du texte en font partie, ainsi que le(s) rapporteur(s) saisi(s) pour avis. On tient également compte des présidents de groupes parlementaires. On a intérêt de toute façon à faire en sorte qu'elle puisse arriver à un compromis. Sur les retraites, la commission comprendra côté députés un Rassemblement national, trois Renaissance, un France insoumise, un Républicain et un Modem. Côté Sénat, on trouvera trois sénateurs républicains, un centriste, deux socialistes et un Renaissance.
En effet mais rien n'est certain.
Si la CMP ne parvient pas à s'accorder sur un texte, il y a échec de la procédure de conciliation. Il faudra alors une nouvelle lecture complète devant l'Assemblée et le Sénat, sur le dernier texte voté avant la CMP, et donc sur le texte issu du Sénat. Si en revanche la CMP trouve un accord, son texte est soumis à l'approbation des deux chambres. Mais si ce texte ne convient pas au gouvernement, il peut aussi décider de ne pas le leur soumettre. Dans ce cas, on repart en lecture complète à l'Assemblée.
Dès qu'il le décide : si la CMP aboutit à un accord, mais que le gouvernement refuse ce texte, le projet repart en Assemblée en lecture classique et il peut utiliser le 49.3 pour le faire passer. Même chose en l’absence de compromis en CMP, le texte repart en nouvelle lecture complète et le 49.3 peut être utilisé.
Il existe deux sortes de motions de censure : la motion spontanée et la motion provoquée. Elles n'ont pas les mêmes fondements : article 49.2 pour la motion spontanée, et 49.3 pour la motion provoquée. Dans le premier cas, l'Assemblée nationale met en cause la responsabilité du gouvernement. Dans le second cas, la Première ministre peut engager la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée sur le vote du texte qui est alors considéré comme adopté sauf en cas de motion de censure déposée par l'opposition dans les 24 heures. La motion spontanée résulte donc de la seule initiative des députés, alors que la motion provoquée fait suite à l'engagement de la responsabilité du gouvernement.
On entend un peu tout et son contraire. Il me semble qu'en raison de la forte opposition à ce projet, le gouvernement n'a pas intérêt à utiliser l'article 49.3. Même à l'Assemblée, il n'a pu obtenir de vote en première lecture. Après, tout dépend jusqu'où il est prêt à aller pour défendre son texte. S'il veut que la réforme passe comme il l'entend, il risque de devoir recourir au 49.3 quand même. Mais s'il l'utilise, un texte serait considéré comme adopté alors qu'il n'a pas été voté par l'Assemblée, dont les élus représentent souverainement le peuple français. Certes, l'article 49.3 est prévu par la Constitution et pensé comme un outil de rationalisation parlementaire, mais cela risque de heurter les Français que l'Assemblée n'ait pas validé le texte.
Le gouvernement utilise tous les moyens à sa disposition. Il y est poussé car il ne dispose pas de majorité absolue. Sa majorité relative le prive du soutien complet de l'Assemblée. Les articles de la Constitution mobilisés sont liés à la rationalisation parlementaire : on ne voulait pas reproduire les erreurs des 3ème et 4ème Républiques avec une Assemblée disposant de beaucoup de pouvoir et ce que l'on a appelé le "légicentrisme".
On n'a pas de précédents car la situation est inédite. Dans tous les cas, sa décision (s'il est saisi) sera intéressante, qu'elle censure des dispositions du projet de loi ou non, car elle va trancher des points nouveaux.
Il n'existe pas de précédents sur ce point, en revanche, on verra si l'index senior est considéré comme un cavalier social.
CMP : les points en discussion
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Parmi les points qui vont donner lieu à débats et tractations, l’Index senior lui-même ou, plus vraisemblablement ses modalités. Si l’Index seniors a en effet été rejeté à l’Assemblée nationale, il devrait passer le cap de la CMP sans encombre au vu des forces politiques. Restera à savoir si le seuil de 300 salariés sera maintenu pour rendre obligatoire l’Index seniors ou si une concession sera faite pour revenir au seuil de 50 salariés adopté à l’Assemblée nationale. Le gouvernement s’en est remis à la sagesse du Sénat, sans se battre pour le maintien du seuil de 50 salariés, annonçant que ces dispositions ne seraient qu’une étape et que d’autres mesures à destination des seniors seraient inscrites dans le projet de loi sur le travail dont la présentation devrait intervenir avant l’été. Enfin, l'Index seniors passera-t-il sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel ? Les sénateurs ont adopté le « CDI seniors » (contrat de fin de carrière) dont le gouvernement ne voulait pas. Toutefois, après avoir fait savoir qu’il désapprouvait l’idée d’un tel contrat, le gouvernement a finalement tempéré sa position en indiquant que la commission mixte paritaire serait l’occasion de trouver un terrain d’entente sur un tel dispositif. S’agissant de carrières longues, l’amélioration de leur départ en retraite devrait faire consensus. Le gouvernement avait déjà amélioré le sort de ceux ayant cotisé 4 ou 5 trimestres avant 16 ans, avant 28 ans et avant 20 ans (départ, respectivement, à 58, 60, 62 ans). Les sénateurs, avec l’avis favorable du gouvernement, ont ajouté ceux qui ont commencé à travailler entre 20 et 21 ans (départ à 63 ans). La question des femmes salariées a aussi été un point de tension lors de l’examen du texte, avec le risque de perte d’avantage pour ces dernières. C’est pourquoi les sénateurs ont voté un amendement, avec l’assentiment du gouvernement, proposant d’accorder le bénéfice d’une surcote de 1,25 % par trimestre supplémentaire aux assurés ayant atteint la durée d’assurance requise un an avant l’âge légal (soit à partir de 63 ans à terme) et ayant obtenu au moins un trimestre au titre des majorations pour enfant. En revanche, les sénateurs ont ajouté, contre l’avis du gouvernement, que seuls les pères salariés conjoints, concubins ou partenaires liés à la mère par un Pacs ayant fait valoir la totalité de leurs droits au congé de paternité ou au congé d’accueil de l’enfant seraient désormais susceptibles de bénéficier de la majoration de durée d’assurance pour enfant. Enfin, bien que le gouvernement s’y soit opposé, les sénateurs ont également décidé qu’en cas de désaccord entre les parents concernant l’attribution de ces majorations pour enfant, celles-ci ne seraient plus partagées entre les deux parents mais bénéficieraient exclusivement à la mère. On le voit, il y a du grain à moudre pour la CMP… Florence Mehrez, Audrey Gauvin-Fournis |