Circulaire de politique pénale en matière d'anticorruption : les entreprises, précieuses sources de détection

15.06.2020

La circulaire diffusée par la garde des Sceaux auprès des parquets fixe les lignes directrices de la politique pénale en matière de lutte contre la corruption internationale et met en avant le rôle du PNF, ainsi que la place des entreprises comme canaux de signalement de faits de corruption.

Consécration du PNF en matière de lutte contre la corruption
Un interlocuteur privilégié en matière de lutte anticorruption internationale
La circulaire rappelle le rôle qu’occupe le Parquet national financier (PNF) sur la scène internationale, et les liens qu’il a développé avec les principaux partenaires internationaux en matière de lutte contre la corruption, qui lui permettent aujourd’hui de peser dans la mise en place de l’articulation de l’organisation des enquêtes et poursuites dans le cadre de l’article 4(3) de la convention anticorruption de l’OCDE.
Par la loi de blocage, le PNF peut aussi être informé des procédures pénales étrangères diligentées ou envisagées à l’encontre de sociétés françaises et ouvrir, le cas échéant, une enquête miroir.
Enfin, cette vocation à exercer sa compétence sur l’ensemble des dossiers de corruption internationale justifie qu’il soit systématiquement informé de toute affaire lorsque des suspicions de corruption internationale crédibles sont portées à la connaissance d’un parquet, ou apparaissent dans le cadre d’une procédure, et ce sans distinction selon le stade de la procédure, le niveau de responsabilité des personnes impliquées ou encore la dimension financière du dossier.
Les modes de signalement en matière de corruption internationale
En matière de recueil de l’information, sont notamment susceptibles de signaler des faits de corruption à la justice :
  • l’administration fiscale ;
  • Tracfin ;
  • la Cour des comptes ;
  • les administrateurs judiciaires ;
  • les lanceurs d’alerte ;
  • l’Agence française de développement ;
  • ou encore les associations anticorruption, etc...
Remarque : à ce jour, trois associations bénéficient de l’agrément leur donnant la faculté de se constituer partie civile : Sherpa, Anticor et Transparency International.
L’AFA peut également être amenée à découvrir des faits suspects pouvant justifier un signalement au PNF : un protocole signé en mars 2018 précise d’ailleurs les modalités d’échange entre les deux institutions.
De même, l’Autorité de la concurrence, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique ou encore l’Autorité des marchés financiers peuvent être amenées à signaler à l’autorité judiciaire des suspicions d’infraction.
La divulgation volontaire par les entreprises d’actes de corruption
Le PNF est invité à échanger avec les organisations patronales afin d’encourager les entreprises à divulguer les faits de corruption interne, ce qui pourrait constituer une "précieuse source de détection". L’obligation, pour les entreprises françaises les plus importantes, de mettre en œuvre des dispositifs d’alerte interne destinés à recueillir les signalements émanant d’employés et relatifs à l’existence de comportements susceptibles de caractériser des faits de corruption ou de trafic d’influence, n’oblige pas les dirigeants de ces entreprises à dénoncer de tels faits : mais la circulaire insiste sur l’intérêt des entreprises à le faire, en contrepartie d’une "certaine forme de clémence quant aux modalité de poursuite susceptibles d’être envisagées par le PNF".
Des échanges entre le PNF et les organisations représentatives des entreprises actives à l’international (MEDEF et AFEP) pourront être menés afin de définir et mettre en œuvre un cadre et des modalités pratiques incitatives en matière de divulgation spontanée.
Remarque : la garde des Sceaux souhaite que le PNF fasse connaître la pratique de "self disclosure", encore peu usitée en France.
Les demandes d’entraide pénale impliquant des entreprises françaises
Le PNF procèdera régulièrement à l’exploitation de l’ensemble des sources d’informations à sa disposition concernant l’activité des entreprises actives à l’international : à ce titre, les demandes d’entraide pénale entrantes impliquant des entreprises françaises ou exerçant une activité économique sur le territoire national seront systématiquement exploitées au-delà de leur exécution, en vue d’une éventuelle ouverture par le PNF d’une "enquête miroir" pour des faits de corruption.
Les articles de presse nationaux et étrangers susceptibles de justifier que des vérifications approfondies soient effectuées seront également pris en compte dans la perspective de l’ouverture éventuelle d’une enquête pénale.
Enfin, les informations échangées entre les représentants de 44 pays participant au groupe de travail de l’OCDE sur la corruption dans les transactions internationales seront également exploitées.
Précision : l’attention du PNF se concentrera sur les secteurs économiques identifiés comme les plus particulièrement exposés au risque de corruption par l’OCDE et l’UE, à savoir la construction, les industries extractives, le transport, les télécommunications, l’industrie pharmaceutique, l’énergie et le matériel militaire.
Action judiciaire et choix des modes de poursuite
Les principes devant guider l’action judiciaire au stade de la détection et des investigations
La circulaire précise aussi la stratégie d’enquête destinée à révéler les schémas de corruption utilisés et à identifier l’ensemble des parties prenantes. L’apparition de nouvelles structures, particulièrement sophistiquées et favorables à la corruption telles que les fiducies, sociétés écrans, fondations, nécessite une stratégie d’enquête efficace, qui devra permettre d’identifier le circuit financier de rémunération ainsi que l’ensemble des personnes physiques impliquées dans le schéma corruptif.
Le choix des modes de poursuite adapté aux fins de sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives
Concernant les personnes physiques, la circulaire rappelle l’importance que les poursuites soient envisagées non seulement à l’encontre des employés directement impliqués dans le schéma corruptif, mais aussi à l’encontre des dirigeants et de l’ensemble des personnes physiques extérieures à l’entreprise, qui sont intervenues dans le processus de commission de l’infraction.
Remarque : la jurisprudence considère comme complices de corruption active des intermédiaires ou le conseil juridique qui donne sciemment des renseignements permettant de réaliser un montage financier destiné à permettre le versement d’une commission occulte par le biais d’une société étrangère de manière à dissimuler la consommation de l’infraction.
Quant à la mise en cause effective de la responsabilité pénale des personnes morales, elle doit permettre de faire cesser l’existence de stratégies commerciales fondées sur le recours habituel à ces pratiques illicites.
La Cour de cassation adopte une lecture souple des conditions dans lesquelles la responsabilité pénale d’une personne morale peut être engagée, à savoir :
  • par les agissements d’un délégataire de pouvoirs, tel un dirigeant de filiale à l’étranger ;
  • ou en l’absence même d’identification de la personne physique, auteur des faits de corruption, dès lors qu’il apparaît avec certitude que l’infraction a été commise par un organe ou un représentant quel qu’il soit.
Elise Le Berre

Nos engagements