Le cabinet Secafi publie un guide ciblé sur l'amélioration des conditions de travail des employés des Ehpad. Dans ces établissements, que peuvent faire les élus des CSE pour les personnels, sachant que les contraintes extérieures (réglementation, financement par la Sécurité sociale) sont fortes ? Les réponses de Sophie Rousseau, l'une des auteurs de ce guide.
Au sein de Secafi, je m'occupe du secteur "santé et économie sociale", pour lequel nous réalisons des analyses économiques, stratégiques, sociales, sur les conditions de travail également. Je suis notamment en charge de la méthodologie interne, de la coordination des consultants et de la capitalisation de leurs expériences, et du travail de recherche, mais j'ai gardé une responsabilité de mission. J'ai co-rédigé, avec François Cochet et Richard Jeantet, le guide Agir de Secafi sur les Ehpad (1).
Nous avions déjà publié en 2015 ce guide pour la qualité de vie au travail et l'amélioration des conditions de travail des Ehpad, et ce guide a été l'un des plus téléchargé sur notre site. En 2022, c'était le bon moment pour le réactualiser, non du fait de l'affaire Orpea, mais parce que la dégradation des conditions de travail des personnels et, de façon plus générale, la problématique générale de la prise en charge des personnes âgées ne faisaient que monter en puissance ces dernières années et ces derniers mois.

Le travail du journaliste Victor Castanet (Ndlr : l'auteur des Fossoyeurs, le livre sur Orpea) a été le point d'orgue d'un long processus de rapports parlementaires, de propositions émanant de politiques et de syndicalistes sur ces sujets, alors que la situation empirait. Nous étions engagés dans une phase d'actualisation des éléments chiffrés de notre guide et nous lui avons ajouté une dimension pratique à destination des représentants du personnel. L'actualité s'est focalisée sur les taux d'encadrement et les moyens dans ces établissements. C'est bien sûr essentiel, mais ce ne sont pas les seuls déterminants du travail.
C'est en effet une question centrale. Les Ehpad, comme d'autres structures sanitaires et médico-sociales, sont en effet encadrés par des budgets confiés par l'Assurance maladie et les départements, sachant que le secteur privé peut avoir une tarification libre sur la partie hébergement.

La marge de manoeuvre de ces établissements paraît donc limitée, il n'y a qu'à voir l'insuffisance du "subventionnement" du taux d'encadrement (Nldr : pour 100 places, ce taux d'encadrement est de 63,4 équivalents temps plein, contre 61 en 2016, mais il est jugé toujours insuffisant). Cela étant, avec le même budget, il peut toujours y avoir des façons différentes d'organiser le travail, de mener une politique sociale en vue d’un meilleur climat social, de tenter d'être attractif, etc. Nous donnons quelques clés et quelques pistes pour les représentants du personnel.
La Cnam (Caisse nationale de l'assurance maladie) ne déombre pas moins de 20 000 accidents de travail en Ehpad en 2019, des accidents dont la première cause est la manutention, suivie par les chutes. Le matériel pouvant aider les personnels de ces établissements, pour lever les personnes par exemple, est particulièrement crucial pour limiter ces accidents du travail, pour prévenir la pénibilité, éviter les blessures au dos. Les pouvoirs publics ont aidé les établissements à se doter de ces matériels, ce qui montre une prise de conscience sur ce sujet, même si les enveloppes ne sont pas à la hauteur des besoins. Mais ce sujet doit être appréhendé de façon globale.

Nous avons vu des cas où la matériel était présent dans l’Ehpad mais laissé au fond d’un couloir, et finalement pas utilisé. Pourquoi ? Parce que les salariés soumis à des tâches multiples n’avaient rigoureusement pas le temps d’aller dans le couloir chercher un fauteuil ergonomique, par exemple, mais aussi parce qu’il n’y avait pas eu de formation sur ce matériel. Dès lors, on utilise l’ancien que l’on connaît. Une enveloppe financière ne suffit donc pas ! Le matériel doit correspondre aux besoins précis de l’établissement et les personnels doivent être formés et accompagnés à la prise en main de ces nouveaux outils. La prévention des accidents et l’amélioration des conditions de travail passent aussi par les locaux : salles de bains exigües, douches qui ne sont pas de plein pied, très longs couloirs avec étages, etc., tout cela contribue à la fatigue et à l’usure du personnel.
Parfois le dialogue social dans ces établissements est difficile, notamment au sujet des négociations salariales. Mais ce sujet des risques professionnels et de leur prévention peut faire consensus entre les employeurs et les élus. Il me semble que cette obligation réglementaire sur la réalisation et l’actualisation du DUERP, renforcée par la loi santé au travail de 2021, donne l’occasion aux représentants du personnel de participer à un travail concerté sur le diagnostic des risques (les identifier, les coter, etc.) pour aboutir à un plan d’action.
Ce peut être l’organisation de formations, un aménagement de l’organisation du travail, mais aussi des temps d’échanges.

Ces temps d’échanges collectifs, qui ne sont pas pour nous des points de transmission de consignes d’une équipe à l’autre, peuvent, par exemple, consister à faire le point en équipe, 5 à 15 minutes par jour, sur le déroulement prévu de la journée, sur les événements particuliers à connaître et à anticiper, mais aussi l'occasion d'examiner certains sujets liés au travail comme la prévention des esquarres, l’utilisation du lève-malades, ou des événements douloureux. Ce type d’échanges est organisé par la direction ou les cadres de santé mais rien n’empêche les élus d’avoir l’initiative de les demander en insistant sur le besoin de refaire sens et de communiquer.
Dans les organisations du travail, les règles et les contrôles se multiplient, avec des notes de service affichées. Ce sont des procédures écrites mais elles doivent faire l’objet de discussions, entre pairs ou de façon collective avec le cadre de proximité, afin que ces procédures soient confrontées au travail réel. Pour voir ce qui dans ces règles fonctionne et ce qui ne peut pas être respecté et donc doit être corrigé.

Ces échanges collectifs ont d'ailleurs été très nombreux pendant la crise sanitaire, car il fallait élaborer ensemble, dans l’urgence, des solutions concrètes et pragmatiques pour faire face au manque de masques et de blouses. Cela n’est pas étonnant pour nous, d’ailleurs. Bien sûr, que nous soyons psychologue, ergonome ou analyste social, nous avons un regard d’expert, mais quand nous travaillons au côté des salariés, nous voyons tous que ce sont les salariés qui, parce qu’ils connaissent bien sûr leur travail et leur environnement, vont émettre des solutions ou des mesures pour réduire le risque, améliorer l’organisation, etc.
Malgré tout ce qu’on peut dire sur le dialogue social, parfois bien abîmé ici et là, nous avons quand même constaté une volonté générale de prendre à bras-ll-corps le risque lié à la Covid-19. Ces notions de coopération et de collaboration collective se sont concrétisées pendant cette crise et les représentants des salariés ont été acteurs de la prévention. Nous avons vu de nombreuses actualisations du DUERP, mais aussi des adaptations au fil de l’eau des organisations, avec des réunions ou des points planifiés chaque jour ou chaque semaine avec des représentants du personnel.
Vaste question ! Des solutions sont avancées pour maintenir le plus longtemps possible la personne âgée à son domicile ou pour imaginer une autre forme d’habitat collectif, entre générations ou via des résidences autonomes.

Il n’en demeure pas moins que la médicalisation du grand âge est un aspect incontournable, avec la perte d’autonomie physique mais aussi psychique. Il est évident que le modèle des Ehpad doit changer, pour faire évoluer le mode de prise en charge et d’accompagnement des personnes dépendantes. Cela passe d’abord par un changement de regard, dans nos sociétés européennes, sur le grand âge. Le modèle des Ehpad doit aussi changer pour rendre ses métiers davantage attractifs.
Les soignants et les personnels ne travaillent pas en Ehpad par hasard.

Pour eux, le sens de leur travail est primordial, et la façon dont on organise le travail joue donc un grand rôle. De bons plannings peuvent participer de l’attractivité de ces métiers. Cela n’est pas évident car souvent les personnes se retrouvent à commencer tôt le matin et finissent tard le soir, avec une coupure, par exemple, de 13h30 à 15h30. Si vous habitez loin de votre travail, cette amplitude de travail énorme (10 heures pour une rémunération de 7h30), est épuisante, et, à terme, ce n’est pas tenable pour les personnes. Bien sûr, cela va de pair avec l’amélioration des salaires.
On retrouve certains anciens membres mais il y a de nombreux nouveaux élus, effectivement. D’ailleurs, quand on analyse la politique sociale d’un établissement, on regarde s’il y a des mandats vacants au CSE, s’il y a des nouveaux élus. C’est un indicateur très pertinent. Mais le passage du CE et du CHSCT au CSE a beaucoup perturbé le travail des représentants du personnel. Nous ne serions recommander une organisation idéale en matière d’IRP. Mais quand il y a sur un site des élus CSE ou des représentants de proximité, cela facilite grandement le dialogue social et le travail conjoint sur les conditions de travail.
Cela me paraît exceptionnel. Des grands groupes ou des associations non lucratives du secteur n'ont pas choisi de faire cela. Ce qu’on voit plutôt, ce sont des CSE centraux avec des CSE régionaux. Avoir des représentants des salariés au contact du personnel est crucial et même un impératifpour l’amélioration des conditions de travail.
(1) Agir pour l'amélioration des conditions de travail dans les Ehpad, Secafi, à télécharger ici