Comment le CSE peut-il appréhender les risques psychosociaux ?

Comment le CSE peut-il appréhender les risques psychosociaux ?

06.09.2023

Les risques psychosociaux (RPS) sont-ils en augmentation dans les entreprises avec les nouvelles organisations et le travail hybride ? Comment les identifier et les prévenir ? Comment le CSE peut-il aborder cet enjeu pour améliorer les choses ? Les réponses du sociologue du travail Wilson Cordier, expert chez Secafi, qui vient de rédiger pour le cabinet du Groupe Alpha un guide "Agir pour l'amélioration des conditions de travail" sur le sujet.

Quelques mots sur vous ?

Je suis sociologue de formation et je suis arrivé comme consultant chez Secafi en 2011. Depuis une dizaine d'années, j'interviens principalement sur deux champs : les expertises liées à la santé au travail, aux conditions de travail et aux réorganisations d'une part et, d'autre part, surtout depuis ces dernières années, je travaille sur les risques psychosociaux et les risques graves. Je forme également les CSE sur les enjeux de santé au travail. 

Selon certains experts, les CSE ont encore du mal à s'emparer de leurs prérogatives santé, sécurité, conditions de travail. C'est aussi votre constat ?

Il y a en effet "un retard à l'allumage", qui s'explique d'abord par les compétences élargies du CSE, pas simples à appréhender. Se pose également la question de la répartition des rôles entre le CSE et la commission de santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT).

Les prérogatives du CSE sur la santé au travail ne sont pas toujours bien connues 

 

 

La santé au travail reste un sujet compliqué et les prérogatives du CSE en la matière ne sont pas toujours bien connues, certains comités sont en difficulté pour porter ces thèmes de santé au travail. Par exemple, la procédure d'alerte pour danger grave et imminent est une disposition classique du code du travail (article L. 4131-1 du code du travail) mais tous les élus ne savent pas forcément en quoi cela consiste ni comment l'utiliser, et cela leur fait même un peu peur. Elle est d'ailleurs plutôt employée pour des risques physiques que pour des risques psychosociaux. 

Vous avez rédigé le guide Agir de Secafi qui vient de sortir sur les RPS, les risques psychosociaux (1). Comment définiriez-vous ces RPS ? 

Les RPS, cela dit un peu quelque chose à tout le monde mais c'est en même temps une notion assez complexe. Pour simplifier, je dirais que les RPS désignent les difficultés que rencontre un salarié dans l'organisation de son travail et/ou dans ses relatoins au travail, difficultés qui peuvent potentiellement générer des perturbations dans le vécu du travail du salarié mais aussi des troubles de santé.

La notion de RPS est centrée sur l'équilibre entre les contraintes et les ressources 

 

 

Les difficultés organisationnelles qui s'imposent  à un travailleur génèrent un stress, une anxiété voire un burn out pour une personne en surcharge de travail et qui ne trouve plus les ressources pour faire face à ces contraintes. Le concept de RPS est donc très centré sur la notion d'équilibre entre des contraintes qui s'imposent à moi en tant que travailleur et des ressources qui me permettent de faire face à ces contraintes. Quand j'ai plus de contraintes que de ressources, je vais me sentir mal avec des tensions fortes dans la réalisation de mon travail et cela peut provoquer des problèmes de santé.

Diriez-vous que les risques psychosociaux sont plus forts qu'auparavant dans les entreprises ?

Ils ne sont pas forcément plus forts, mais différents car liés à des contraintes nouvelles. Le monde du travail s'est transformé et les risques psychosociaux prennent donc de nouvelles formes. La crise sanitaire a en effet accéléré le processus de transformation des entreprises et du travail à l'œuvre depuis vingt ans, avec le développement important du télétravail et des organisations hybrides, ce mélange de télétravail et de travail sur site dans des espaces de travail modifiés.

Le travail à distance génère aussi du stress 

 

 

Le télétravail permet aux salariés de mieux concilier leur vie professionnelle et leur vie privée, c'est vrai, mais il génère aussi de fortes contraintes et, donc, des risques psychosociaux. Je pense au sentiment d'isolement par rapport au collectif du travail. Lorsque la moitié d'une équipe est en télétravail, les gens ne se côtoient plus physiquement. Il y a des difficultés de communication, des problèmes de liens entre management et salariés. 

Certains métiers et secteurs sont-ils davantage concernés ? 

Les salariés du secteur des services, bien sûr, sont davantage exposés à ces modes de travail hybrides, on peut citer aussi les cadres. Les techniciens et les ouvriers restent sur le terrain mais eux-aussi sont impactés par ces changements d'organisation : un ouvrier peut être "géré" par un responsable à distance, un technicien peut avoir du mal à joindre un service client ou un service administratif car les salariés de ces services sont en télétravail, etc.

Que conseillez-vous à un CSE qui cherche à s'emparer de cette question des RPS ?

Cet automne aura lieu une grande phase de renouvellement des CSE (2). A cette occasion, je ne peux que souligner l'importance de la formation des élus à la santé au travail et aux prérogatives du CSE sur ce thème. Le code du travail offre quelques leviers intéressants permettant aux élus de prendre la température des risques psychosociaux dans l'entreprise. Il s'agit par exemple des inspections.

Faites des visites dans les ateliers et dans les services ! 

 

 

Les élus peuvent procéder à des visites d'ateliers, de services, etc. Il faut être aux côtés des salariés et sur le terrain pour savoir ce qui se passe et ce que les travailleurs vivent au travail. Par ailleurs, il faut être en mesure de parler de ces RPS au CSE, en réunion plénière du CSE, pas simplement au sein de la commission santé, sécurité et conditions de travail. (CSSCT). J'observe en effet que certains employeurs ont tendance à centrer les débats sur la santé au travail et sur les RPS sur la seule CSSCT, pour laquelle des comptes-rendus ne sont pas forcément toujours rédigés. Il faut remonter les problèmes de santé au travail et les risques psychosociaux au niveau du CSE. Le premier rôle des représentants du personnel est d'alerter l'employeur sur les situations à risque que rencontrent des salariés, notamment lorsque ceux-ci sont confrontés à des changements et à des contraintes particulières. Il faut ensuite amener l'employeur à agir.

Amener l'employeur à agir, d'accord, mais comment ?

C'est loin d'être facile, en effet ! Les élus peuvent commencer par rappeler à l'employeur de façon assez formelle, en réunion de CSE, ses responsabilités : "Vous êtes responsable de la préservation de la santé physique et morale de vos salariés, vous devez mettre en place des mesures de prévention, etc." (voir l'article L.4121-1 et suivants du code du travail). D'autres moyens permettront aux élus de pousser l'employeur à agir, par exemple en déclenchant une procédure d'alerte : c'est l'alerte en cas de danger grave et imminent (art. L.4131-1 du code du travail) qui permet de protéger une personne (3), il y a aussi l'alerte en cas d’atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique ou mentale (art.  L. 2312-59). Ce sont des procédures qui obligent l'employeur à réaliser une enquête. Bien sûr, elles n'ont pas à être déclenchées à tout bout de champ, mais être utilisées plutôt avec parcimonie, il faut que la situation le justifie et que cela apporte quelque chose. 

Ces alertes sont du reste peu utilisées dans les entreprises...

De façon générale, assez peu, en effet, sauf dans certains secteurs où l'on rencontre des problématiques d'accidents graves, en lien avec des risques physiques. Ces alertes sont bien plus méconnues dans le cadre des risques psychosociaux. Mais j'ai déjà vu des élus utiliser ces alertes, par exemple dans le cas d'un salarié qu'ils jugent au bord du burn out, dans une situation dangereuse où l'on ne sait pas ce qui peut se passer.

Les alertes peuvent être utiles, mais elles ont pour effet d'individualiser les problèmes  

 

 

S'ils déclenchent la procédure de danger grave et imminent, l'employeur a l'obligation de réagir et de procéder à une enquête pour trouver des solutions. C'est donc une procédure intéressante pour les personnes, mais pas suffisante dans bien des cas. Elle a de plus tendance à individualiser les problématiques, alors qu'une véritable prévention des risques professionnels et psychosociaux passe par de l'action collective. Les élus du personnel peuvent également chercher à s'appuyer sur des acteurs comme la médecine du travail, l'inspection du travail, même s'ils sont parfois débordés. 

Quels sont les signaux que les élus doivent percevoir pour identifier des situations à risque  ?

Des indicateurs vont montrer une situation qui ne tourne pas très rond : un absentéisme élevé ou en progression, du turn over, des démissions, un climat social tendu, une baisse de la qualité du travail, des réclamations clients en hausse, etc. Ce peut être aussi des cas de burn out, des collègues qui pleurent, etc.

C'est l'empilement de difficultés qui doit alerter : tensions, turn over, réclamations clients... 

 

 

On est tous exposés à un moment à de la surcharge de travail, à des difficultés pour obtenir de bons outils de travail, à des relations difficiles avec des clients, donc nous sommes tous exposés à une forme de risque. Mais c'est l'empilement de ces difficultés qui va poser problème. En tant qu'élu du personnel, vous pouvez agir sur une surcharge de travail, mais vous ne pouvez pas agir sur la dépression d'un collègue, cela c'est le médecin qui peut le faire. Un élu doit donc se poser la question de la cause : qu'est-ce qui génère ces effets et ces risques ? 

Comment se protéger, en tant qu'élu, de ces RPS et de ces souffrances ?

Un élu se rend rapidement compte que son mandat va l'exposer à gérer des situations individuelles difficiles. Cela ne va pas l'empêcher de prendre "trop à cœur" la situation d'un collègue. C'est humain. Mais si quinze personnes viennent se plaindre et pleurer dans le local CSE, cela devient difficilement supportable pour l'élu.

Ne pas oublier que c'est l'employeur qui est responsable de la santé des salariés ! 

 

 

Lors des formations, nous sensibilisons les membres des CSE à ces risques. L'élu ne peut pas tout faire à la place des personnes, d'une part, et d'autre part, il ne doit pas oublier que c'est l'employeur qui est responsable de la santé et de la sécurité de ses salariés. 

Qu'est-ce que la délégation d'enquête paritaire évoquée dans votre guide  ? 

C'est une enquête, menée conjointement par l'employeur et par les représentants du personnel, pour chercher les causes d'un accident grave. C'est un moyen assez utilisé dans la fonction publique et dans de grandes entreprises privées. En tant qu'expert, nous accompagnons parfois ces enquêtes paritaires pour apporter une méthodologie, pour la conduite des entretiens par exemple, en cas d'un décès par suicide. 

Dans quel cas le recours à l'expertise CSE vous paraît-il nécessaire ?

L'expertise risque grave est très cadrée par le code du travail (art. L. 2315-94). Lorsque des élus nous saisissent d'une demande d'expertise risque grave, nous cherchons d'abord à ce que le dossier ne soit pas contestable en évaluant la gravité du risque. Comment ? En soulignant les éléments objectifs. Pour les risques psychosociaux, l'accumulation de signaux et d'alertes (démissions, turn over, etc.) peut démontrer la présence de RPS, tout comme la présomption de cas de harcèlement ou des tensions très fortes entre personnes, voire des actes suicidaires. Parfois, ces éléments ne sont pas suffisants et nous conseillons aux élus une autre approche ou un report de la mission d'expertise.

Vous évoquez deux apports pour les CSE de la loi santé au travail de 2021. Se traduisent-ils dans les entreprises ?

En effet, la loi officialise, je dirais, la consultation du CSE sur le document unique d'évaluation des risques (DUERP) en cas de mise à jour (voir l'art. L.4121-3 du code du travail). Ce texte a peut-être contribué à ce que davantage d'entreprises actualisent leur DUERP qui était parfois devenu une usine à gaz.

Certaines entreprises consultaient déjà le CSE sur le DUERP, d'autres ne le font toujours pas ! 

 

 

Certaines consultaient déjà leur CSE sur le sujet, mais d'autres continuent d'ignorer les IRP. Il faut pourtant rappeler ici que l'avis du CSE sur les mises à jour du DUERP est un enjeu important. Le deuxième apport est la reconnaissance plus marquée du rôle du CSE dans la prévention des risques professionnels (art. L.2312-9 et art L.4121-3  du code du travail). Cette loi rappelle, de façon plus cadrée et formalisée, le processus d'amélioration continue de la prévention auquel le CSE doit être associé : le programme d'action de prévention et d'amélioration des conditions de travail (Papripact) de l'année à venir ainsi que le bilan des actions de santé, sécurité et conditions de travail de l'année écoulée sont soumis chaque année à la consultation du CSE lors de la grande consultation sur la politique sociale (art. L.2312-27 du code du travail).

Un conseil dans cette période de renouvellement des CSE, s'agissant de la santé au travail ?

J'en donnerai deux. Un, la complémentarité entre CSE et CSSCT (commission santé, sécurité et conditions de travail) doit être un point de vigilance important. Les représentants du personnel au sein de la CSSCT et du CSE doivent se parler et échanger de façon fluide. On le disait déjà avant, avec les anciennes instances CHSCT et CE, mais aujourd'hui la CSSCT n'est qu'une commission. Deux, la représentation de proximité. Il est bien plus difficile aujourd'hui de percevoir les problématiques de terrain concernant la santé au travail dans les entreprises (4). Je sais bien qu'il n'est pas facile d'obtenir de l'employeur des représentants de proximité, mais il faut continuer à le lui demander pour essayer d'être au plus proche du terrain.  

 

(1) Agir sur les risques psychosociaux, Secafi Groupe Alpha, un document de 40 pages à télécharger ici 

(2) Pour une première approche des mandats du CSE et du rôle de l'instance, voir notre livret CSE

(3) Sur le rôle des élus CSE dans cette alerte, voir plusieurs articles du code du travail :

  • l'art. L. 4131-2 : "Le représentant du personnel au comité social et économique, qui constate qu'il existe une cause de danger grave et imminent, notamment par l'intermédiaire d'un travailleur, en alerte immédiatement l'employeur selon la procédure prévue au premier alinéa de l'article L. 4132-2"
  • l'art. L. 4132-2 : " Lorsque le représentant du personnel au comité social et économique alerte l'employeur en application de l'article L. 4131-2, il consigne son avis par écrit dans des conditions déterminées par voie réglementaire. L'employeur procède immédiatement à une enquête avec le représentant du comité social et économique qui lui a signalé le danger et prend les dispositions nécessaires pour y remédier").
  • l'art. L4132-3 qui prévoit, en cas de divergence entre employeur et l'élu, une réunion en urgence de CSE
  • l' art. L4132-4 qui fait obligation à l'employeur de saisir l'inspection du travail en cas de désaccord persistant

(4) Sorte de remplaçants des délégués de personnel qui étaient de droit dans les entreprises, les représentants de proximité ne peuvent être créés que par accord collectif entre l'employeur et les organisations syndicales. 

Bernard Domergue

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