Compte épargne-temps universel : la CFDT juge la négociation ouverte, mais déplore les contraintes budgétaires

Compte épargne-temps universel : la CFDT juge la négociation ouverte, mais déplore les contraintes budgétaires

23.11.2023

Les partenaires sociaux sont invités par le gouvernement à négocier d'ici mi-mars la création d'un compte épargne-temps universel (Cetu). Depuis 2018, la CFDT porte l'idée d'une "banque des temps". Les deux idées se rejoignent-elles ? L'interview d'Isabelle Mercier, secrétaire nationale de la CFDT en charge du sujet.

 

Depuis le congrès de 2018, la CFDT revendique la création d'une "banque des temps" pour les salariés...

Nous avons formalisé cette revendication lors du congrès CFDT de Rennes de 2018, en effet, mais nous y travaillons depuis le congrès de Marseille de 2014. A l'époque, nous mesurions déjà que les parcours professionnels des salariés étaient de plus en plus changeants, que ce soit pour les statuts ou les entreprises, alors que s'affirmait une aspiration à vivre autrement l'équilibre entre vie personnelle et professionnelle. Or le temps professionnel étant rattaché au contrat de travail, le salarié ne peut pas agir librement sur cet équilibre. D'où cette idée d'une "banque des temps" qui serait un droit nouveau pour les salariés, que nous avons détaillée lors du dernier congrès de Lyon de 2022. 

De quoi s'agit-il ?

Pour résumer notre idée, il s'agit de permettre à tous les travailleurs, tout au long de leur parcours professionnel, de pouvoir aménager leurs équilibres entre vie professionnelle et vie personnelle, en leur permettant de travailler un peu plus quand ils le souhaitent, et au contraire de mettre le pied sur le frein quand ils en éprouvent le besoin pour pouvoir faire autre chose : du bénévolat, des voyages, une formation, etc. C'est une reprise du pouvoir d'agir sur son aménagement du temps de travail. Cela doit être un droit universel : qu'on soit salarié en CDI, en CDD, intérimaire, fonctionnaire ou travailleur indépendant, on doit pouvoir bénéficier de ce compte épargne-temps universel. 

Dans votre projet, l'employeur verserait 5 jours par an sur ce compte...

Notre proposition, en effet, est que le salarié pourrait déposer du temps sur ce compte, du temps qu'il épargnerait donc. Et l'employeur pourrait y ajouter un bonus supplémentaire de 5 jours par an de façon générale (avec un plafonnement de l'épargne à une durée d'un an), avec pourquoi pas un bonus variable selon les secteurs, de façon, par exemple, à renforcer l'attractivité de certains métiers dans des branches comme l'hôtellerie, la restauration ou le médico-social, ou d'autres métiers pénibles ou en tension.

Ce compte serait rattaché à la personne, pas à l'entreprise 

 

 

Ce compte épargne-temps universel, contrairement au compte épargne-temps d'une entreprise, serait rattaché à la personne du salarié, et il emmènerait avec lui son compte, qui pour nous doit être confidentiel. Un employeur qui recrute ne doit pas pouvoir aller regarder le compte épargne-temps universel de ses candidats. Cette confidentialité permettrait d'éviter toute discrimination. Une autre de nos idées est qu'un jeune salarié pourrait, par exemple, emprunter du temps en début de carrière.

L'idée que vous portez à la CFDT vous semble-t-elle compatible avec ce que le gouvernement demande aux partenaires sociaux de négocier ?
A priori oui ! Le document d'orientation nous ouvre des espaces de négociation importants. Nous y retrouvons des idées auxquelles nous tenons comme l'universalité d'un tel compte, sa portabilité, son opposabilité afin de permettre à chacun d'utiliser son compte. 
A priori, oui ! Surtout que le document évite l'écueil de la monétisation 

 

Ce qui nous va bien aussi, c'est que ce document évite aussi l'écueil de la monétisation. Si on veut que ce compte permette un aménagement des temps et un équilibre tout au long de la carrière, il ne faut pas le monétiser. Sinon, cet outil serait utilisé pour améliorer le pouvoir d'achat, ce qui serait dangereux du point de vue de l'intensification du travail et de ses effets sur la santé. On ne règlera pas le problème du pouvoir d'achat avec cet outil. Notre idée, c'est de décliner le compte épargne-temps avec un système de valeur de points, un peu à l'image des retraites complémentaires. Les jours épargnés se transformeraient en points, avec un taux de conversion. Par rapport à une valeur monétaire, cela permet en outre de davantage lisser les périodes de travail précaire ou à temps partiel. 
Le gouvernement prévient qu'il n'est pas question de fusionner les comptes épargne-temps (CET) existants avec le futur compte universel (Cetu). Vous êtes d'accord ?

Nous partageons l'idée qu'il faut distinguer les CET du Cetu. Le CET, ce sont des avantages qui résultent de négociations, le plus souvent dans de grandes entreprises. C'est un outil qui est rattaché à l'entreprise. Alors que l'idée du Cetu est de construire un nouveau droit pour les personnes qui ne bénéficient pas déjà d'un CET comme les petites et moyennes entreprises, encore une fois en rattachant ce droit à l'individu, pas à son entreprise. Ce sont deux choses complémentaires. Actuellement, un salarié qui va quitter une entreprise où il a un CET plein peut soit prendre un congé avant de partir, soit demander à obtenir le paiement de son compte, mais demain on pourrait aussi imaginer qu'il puisse aussi demander à ce que son solde soit versé sur son compte universel. 

Par quel opérateur ce Cetu pourrait-il être géré ?

Un organisme de type paritaire, à l'image de l'Agir-Arrco (retraites complémentaires), nous semble être une bonne idée. En revanche, le point qui nous interpelle dans le document d'orientation est la question des équilibres financiers. 

En effet, le gouvernement vous dit :  pas touche au régime fiscal et social lié aux droits placés sur le Cetu, pas question d'alourdir les finances publiques ni le coût du travail...

Comment pourrions-nous créer des droits nouveaux pour les salariés à coût constant, sans recourir à une contribution ou à une taxe ? Cela nous semble pour le moins compliqué, cela casse un peu l'ambition de départ !

 Créer des droits nouveaux à coût constant, ça paraît compliqué !

 

 

Nous trouvons que cette position est d'autant plus regrettable que les salariés ont exprimé, au moment du conflit sur les retraites, des revendications très fortes sur le bien-être au travail, sur le sens du travail, sur de meilleurs équilibres de vie, etc. Et c'est bien parce qu'il y a eu ces revendications et ces manifestations que le président de la République s'est engagé dans un pacte de la vie au travail et sur cette idée de compte épargne-temps universel...On ne peut pas avoir d'un côté un allongement de la durée du travail pendant une carrière sans se donner les moyens d'appréhender autrement la vie professionnelle.

Le gouvernement écarte aussi l'idée d'une fusion des comptes professionnels de prévention, du compte personnel de formation et du compte épargne-temps universel. Qu'en dites-vous ?

Nous aimerions avoir un système un peu plus lisible pour le salarié avec un compte personnel global, et nous en parlons depuis longtemps à la CFDT. Mais bon, ce n'est pas un point de crispation majeur. 

L'idée, portée durant le quinquennat de François Hollande, d'un compte personnel d'activité (CPA) rassemblant tous les droits des actifs n'était-elle pas plus ambitieuse ?

En effet, le CPA avait une visée large et transversale sur tous les éléments de la carrière d'un salarié. Le Cetu est lui-aussi rattaché à la personne, mais il se limite à la question de l'articulation des temps.

Comment allez-vous aborder cette négociation ? 

A priori, les différents thèmes fixés par le document d'orientation (emploi des seniors, Cetu, reconversions) feraient partie d'un même accord. A la CFDT, nous serons trois secrétaires nationaux à nous investir sur ces sujets : moi sur le Cetu et l'usure professionnelle, Olivier Guivarch sur l'emploi des seniors et Yvan Ricordeau sur la reconversion professionnelle et la coordination de l'ensemble. Nous n'avons pour l'instant pas encore fixé de dates avec les autres organisations syndicales et patronales. 

Qu'attendez-vous de la part des représentants des employeurs ?

Nous sommes sur un sujet innovant. On ne va pas créer du premier coup l'outil fantastique et idéal. Je crois qu'il nous faut partager, entre partenaires sociaux, idées et réflexions pour réussir à créer, malgré les désaccords inévitables, de la convergence et du compromis. Je suis assez confiante. Regardez les dernières négociations nationales interprofessionnelles : malgré les désaccords, on a trouvé des convergences sur le partage de la valeur, sur l'AT-MP (accidents du travail et maladies professionnelles), sur l'assurance chômage, sur les retraites complémentaires...

Un mot sur votre parcours ?

Je suis éducatrice de jeunes enfants, salariée de la mairie de Saint-Nazaire. J'ai assez rapidement adhéré à la CFDT, parce que ses valeurs me convenaient et parce que j'avais des collègues militantes. Je me suis investie syndicalement sur le bassin de Saint-Nazaire puis sur la Loire-Atlantique et j'ai été -jusqu'à juin dernier où je suis devenue secrétaire confédérale- secrétaire régionale de l'URI, l'union régionale CFDT des Pays-de-la-Loire. 

Bernard Domergue

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