Concertations sur les retraites : les syndicats perplexes

Concertations sur les retraites : les syndicats perplexes

19.01.2025

Vendredi 17 janvier s'est tenue la réunion de lancement des concertations sur les retraites promises par François Bayrou. Les représentants syndicaux et patronaux restent perplexes sur la méthode : ils sont nombreux à contester le mélange des retraites publiques et privées dans les discussions. Ces dernières se tiendront du 19 février, date du rapport de la Cour des comptes, à fin mai.

"Je sais à quel point les obstacles sont nombreux et paraissent infranchissables", a professé François Bayrou à la sortie de la réunion de concertation sur les retraites. A priori, ces obstacles commencent par la méthode de discussion qu'il propose. Certes, il remet les partenaires sociaux dans le débat mais ces derniers n'ont pas l'intention de s'en laisser conter, ni de servir de fusibles aux yeux de l'opinion puisque la réforme de 2023 continuera de s'appliquer s'ils ne trouvent pas d'accord. Rappelons que le Premier ministre a affirmé dans un courrier adressé aux groupes socialistes du Parlement que si le partenaires sociaux ne parviennent pas à un accord global, les avancées issues de leurs travaux, pourront être intégrées dans un nouveau projet de loi. Sous réserve cependant d'un accord politique et d'un équilibre financier global maintenu... Quoi qu'il en soit, pour l'instant, la plupart des syndicats refuse de mélanger les régimes de retraite du public et ceux du privé.

Une concertation déjà plombée ?

Dès la sortie de la réunion, organisée dans une annexe du ministère du Travail du 7e arrondissement de Paris, François Bayrou a tenté de justifier sa vision des retraites : "La totalité du système scolaire est publique. Les maîtres sont payés par la fonction publique. Tout le monde quand il a un problème de santé va à l’hôpital. L’hôpital, c’est du public. Et donc si l'on dit qu'il y a d’un côté les uns et de l’autre les autres, on ne veut pas avoir la moindre discussion, ça n’est pas juste. Je pense que la question du système de retraite est une question générale de la société française".

Les arguments peinent à convaincre mais le mélange des genres permet également au Premier ministre de forcer les syndicats et l'opinion à adopter une vision dégradée des comptes des régimes de retraites. Verser les deux régimes dans le même pot revient à puiser dans les caisses de l'Agirc Arrco (organisme de gestion des retraites complémentaires des salariés du privé) pour financer les retraites des fonctionnaires que l'État ne veut plus payer. C'est également le sens du recours à un rapport de la Cour des comptes et non du Conseil d'orientation des retraites (COR). Reste à voir si la Cour adoptera elle-même ce prisme dans son rapport, attendu le 19 février.

Finalement, François Bayrou revient à sa polémique de 2022 (il s'appuyait alors sur les travaux du haut fonctionnaire de Bercy Jean-Pascal Beaufret) selon laquelle il existerait un déficit caché de 45 à 55 milliards d'euros, soit dix fois plus que ce qu'observe le COR. Une vision que ce dernier (dirigé par le macroniste Gilbert Cette) a d'ailleurs réprouvée dans une note publiée le 10 janvier, quatre jours avant le discours de politique générale de François Bayrou.

La plupart des syndicats récusent déjà la méthode

Sophie Binet (CGT) a "exigé des clarifications sur les chiffres utilisés par le Premier ministre qui ajoutent artificiellement 40 milliards de déficit à nos régimes et alourdir la facture de ce qu’il faudrait trouver pour pouvoir abroger cette réforme". Elle rappelle également que les déficits des régimes publics sont causés par " des salaires des fonctionnaires sont trop bas du fait des politiques salariales qui ont été décidées ces dernières années". La secrétaire générale de la CGT ne manque pas de revenir sur ce qu'elle a déjà dénoncé comme un "holdup" : " Nous nous souvenons de la tentative d’un précédent gouvernement de prendre dans les poches, de faire les poches du régime de retraite supplémentaire des salariés du privé".

De même, pour Frédéric Souillot (Force Ouvrière), pas question de tomber dans le piège : "Nous avons dit que nous n'étions pas d'accord sur le format, à savoir mélanger public et privé. D'ailleurs les employeurs ont souligné qu'ils ne sont pas légitimes à aborder les retraites des fonctionnaires. Si c'est pour nous conduire vers un système universel, nous ne sommes pas là pour ça. Je suis là pour que la réforme ne soit plus en vigueur à la fin des discussions. Si le format ne change pas, de toute façon ce sera sans moi".

François Hommeril (CFE-CGC) avait dénoncé posture du Premier ministre dès la sortie de son rendez-vous à Matignon le 9 janvier. Il s'y est de nouveau opposé vendredi 17 janvier : "Dès les propos introductifs, le Premier ministre a rappelé qu'il veut une approche globale. Mais les deux systèmes ne sont pas miscibles. Les fonctionnaires relèvent de l'État et de l'impôt. Nous, nous sommes comptables du régime par répartition des salariés du privé. Il ne faut pas mélanger, sinon ça ne sera pas possible de travailler".

Ajouter le sujet des retraites publiques impliquerait de plus de réunir les responsables des régimes des hôpitaux publics, de la fonction publique pénitentiaire ou encore des élus locaux. Il faudrait aussi recevoir la FSU et Solidaires, deux organisations présentes dans la fonction publique, alors qu'elles n'ont pas été invitées à cette première réunion.

Le système par points en embuscade

La CFDT se montre cependant plus conciliante, sans doute parce que cette approche public-privé va dans le sens de sa finalité : un régime unique par points pour tout le monde. Si François Bayrou n'entend pas officiellement travailler sur la réforme pour un régime universel déjà tentée en 2020 par Emmanuel Macron, une fusion du public et du privé fait quand même un pas dans cette voie. Pour l'heure, Marylise Léon demande "une clarification sur les périmètres" et veut seulement distinguer "le mélange des discussions et le mélange des financements". Elle s'oppose en revanche au fameux déficit caché : "Ce n'est pas le sujet, en revanche, qu’il y ait des discussions sur la question des retraites des agents publics (…), ça c’est important puisque comme on veut lier retraite et travail. C’est important que les organisations syndicales puissent, dans les fonctions publiques, parler des spécificités du travail de ces fonctions publiques. Cela fait partie des articulations qu’il faut caler". Pour mémoire, François Bayrou est lui même un défenseur du régime par points.

Pour Laurent Escure (Unsa), "personne ne veut tout fusionner (…) mais j'ai plaidé pour prendre un cadre de discussion générale qui parle des paramètres essentiels : âge, durée de cotisation, taux de remplacement, qui peuvent influer sur les équilibres financiers des différents systèmes. Si on fait des discussions séparées du privé, on ne parlera pas de l'âge. Si on le fait dans le public, on ne parlera pas de l'âge non plus, on ne va pas décrocher l'un et l'autre. Je plaide donc pour un cadre d'intérêt général, même si ensuite il peut y avoir des discussions plus précises selon les régimes".

La CFTC, pourtant favorable au régime par points, refuse également la méthode proposée par le Premier ministre : "Il y a un problème de fond dès le début si on mélange public et privé. François Bayrou nous a dit que des ouvertures sont possibles mais que pour lui les deux systèmes ne sont pas étanches. Il nous a redit que selon lui la moitié de la dette viendrait des retraites. Mais moi je lui dis qu'un tiers de la dette relève des exonérations aux entreprises. Donc si on part là-dedans on n'y arrivera jamais", a indiqué son président Cyril Chabanier.

La raison d'être du "conclave"

Si le Premier ministre a utilisé le terme de "conclave" pour dénommer ces concertations, on a pu y voir une référence à l'élection du Pape ou au nouveau film d'Edward Berger fraîchement sorti en salles. L'appellation plaisait bien à la CFTC qui y voyait une proximité avec ses valeurs chrétiennes. En réalité, l'explication semble ailleurs : François Bayrou aimerait des discussions fermées, et a demandé aux organisations syndicales de respecter "la confidentialité des échanges", notamment vis-à-vis des députés.

"Ce sera niet", nous ont répondu certains syndicats qui voient mal comment elles pourraient informer leurs instances internes si le sceau du secret devait sceller les réunions. Tous ont demandé par ailleurs une participation du COR aux débats. Sur ce point, le Premier ministre n'a pas répondu. La Cour des comptes devrait rendra son rapport le 19 février. La concertation s'étendra ensuite jusqu’à fin mai. François Bayrou souhaite mettre un lieu à disposition des organisations syndicales et patronales, incluant une machine à café leur permettant de "se retrouver".

Jean-Jacques Marette animateur des débats

Enfin, les débats seraient animés par Jean-Jacques Marette, ancien directeur de l'Agirc Arrco de 1997 à 2015. Un expert du sujet donc, qui avait déjà présidé la conférence de financement du projet de réforme de 2020 (sur le système par points donc…), à la demande d'Édouard Philippe. Ce diplômé de l'Ecole nationale d'administration a également passé de nombreuses années de carrière dans les caisses de retraite.

Selon Denis Gravouil, personne ne s'est opposé à cette nomination. Le représentant de la CGT se montre cependant prudent : "On verra quand on le rencontrera, s'il est loyal comme chef d'orchestre". Frédéric Souillot se dit quant à lui assez indifférent : "Je ne suis ni pour ni contre, bien au contraire". Selon Christelle Thieffinne (CFE-CGC), "il organisera aussi les réunions, la venue d'intervenants avec des présentations, et fixera les ordres du jour". Pour l'instant, le choix de cette personnalité semble le seul point d'unanimité…

Marie-Aude Grimont

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