CSRD : les recommandations «pratiques» des praticiens

17.11.2022

Le Haut comité juridique de la place financière de Paris vient de publier un rapport sur les dispositifs de transparence extra-financière des sociétés. Il comprend un volet pratique de recommandations en vue, notamment, de la transposition en droit français de la future directive CSRD.

La transposition en droit français de la future directive CSRD constitue « une opportunité législative pour rechercher la cohérence des différents dispositifs en matière de transparence extra-financière », voire pour envisager « le rapprochement » de certains mécanismes dont ceux issus du devoir de vigilance ou de la loi Sapin 2. C’est le premier message du rapport sur les dispositifs de transparence extra-financière des sociétés du Haut comité juridique de la place financière de Paris.

Un rapport académique et un rapport pratique

Publiée en septembre, la première partie du rapport du HCJP sur la transparence financière est le fruit des réflexions d’un groupe de travail « académique » composé d’enseignants-chercheurs. La deuxième partie, dite « pratique », a été élaborée par un groupe de travail composé de praticiens – responsables juridiques ou conformité en entreprise, avocats, représentants d’organisations professionnelles –, qui s’est attaché à compléter et illustrer les réflexions du premier groupe.

Ce rapport « pratique » met en lumière « un certain nombre de difficultés que ne manqueront pas de rencontrer les sociétés cotées et, plus encore, les sociétés non cotées », explique le groupe de travail. Des difficultés qui tiennent plus particulièrement « aux organisations, méthodologies et outils qui devront être mis en place » et « à la charge de travail et aux coûts induits », ainsi qu’aux « incertitudes » et « facteurs de risques additionnels » que ces nouvelles obligations sont susceptibles de générer.

Contenu et cohérence des informations : éviter les surtranspositions et autoriser les renvois

En ce qui concerne le contenu et la cohérence des informations en matière de durabilité, le groupe de travail soutient la volonté d’aller vers une harmonisation au niveau européen et souligne « la nécessité d’éviter au maximum les surtranspositions nationales ». Dans la mesure où certaines informations de gouvernance à inclure dans les informations en matière de durabilité « semblent déjà exigés par des textes, notamment au titre du rapport de gouvernement d’entreprise ou du devoir de vigilance », il préconise de permettre aux sociétés « d’effectuer des renvois, selon les marges de manœuvre permises par la CSRD », et notamment que les données relatives au devoir de vigilance puissent renvoyer aux informations en matière de durabilité produites dans le rapport de gestion. Et en ce qui concerne les PME non cotées, il rappelle que l’application de normes en matière de durabilité « doit rester purement volontaire ».

Ne pas rendre obligatoire la corrélation avec des données financières

En ce qui concerne la publication d’informations prospectives, « les sociétés restent libres de publier, ou non, des objectifs financiers qui sont par nature sujets à aléas », relève le rapport, « cette décision relève de leur responsabilité ». Obliger les sociétés à publier systématiquement des objectifs extra-financiers susceptibles d’être corrélés avec des données financières « implique des conséquences importantes en matière de responsabilité pour les sociétés cotées » et « conduirait les sociétés européennes à devoir publier des informations commercialement sensibles ». La publication d’objectifs extra-financiers risquerait alors d’être « détournée de son objet, à savoir l’information pertinente des parties prenantes ».

Le groupe de travail juge qu’il est donc essentiel de laisser aux entreprises le soin de déterminer « les horizons de temps adéquats et pertinents pour les objectifs qu’elles se fixent » et « les indicateurs et objectifs qu’elles souhaitent publier, sans devoir les traduire en termes financiers ». Et pour ce qui est de la publication d’informations sur les actifs incorporels, le rapport souligne que « ces informations seront difficiles à interpréter et à comparer » et qu’il aurait été souhaitable « que seules des informations qualitatives soient concernées par cette obligation ».

La délicate mission du comité d’audit et les risques associés

La directive CSRD prévoit que le comité d’audit sera garant de l’intégrité du processus d’élaboration du reporting extra-financier. Or, le groupe de travail juge que cette évolution pose des difficultés « majeures ». Tout d’abord, « imposer l’instauration généralisée d’un comité d’audit dans toutes les formes de sociétés risque de bousculer le mode de gouvernance d’un très grand nombre d’entreprises françaises ». Ensuite, « responsabiliser spécifiquement un comité d’étude sur le processus d’élaboration du reporting extra-financier heurte le principe de collégialité du conseil d’administration sur lequel repose la gouvernance des SA ».

Au final, le groupe de travail juge « dangereux de faire du comité d’audit un conseil d’administration bis, responsable de l’information non financière », car cela risque « de déstabiliser le droit des sociétés français » et « d’exposer les entreprises françaises à une instabilité de leur gouvernance et à des risques importants ».

L’éventuelle incompatibilité entre audit financier et extra-financières

Le principe d’incompatibilité entre audit des informations financières et audit des informations non financières, introduit dans la directive sur la base d’un rapport voté eu Parlement européen, « est dommageable pour la cohérence et la qualité de l’information financière et non financière » et ne va pas dans le sens « du renforcement des synergies entre reportings financiers et extra-financiers », souligne le rapport. Et en France, « le risque de conflit d’intérêts lié au cumul des missions d’audit légal et de vérification des données non financières semble pouvoir être écarté du fait des obligations spécifiques auxquelles sont soumises les commissaires aux comptes et du rôle confié aux autorités de contrôle ».

Plaidoyer pour un report de l’obligation d’au moins deux ans

Le groupe de travail estime nécessaire « de laisser un temps raisonnable aux sociétés pour mettre en place le tagging de leurs données non financières au regard du calendrier d’établissement des standards sectoriels » et « de prévoir une prise d’effet décalée de la publication sous format digital par rapport à l’entrée en vigueur de la directive CSRD afin de laisser aux sociétés le temps de définir de nouvelles méthodologies de calcul et de remontées des indicateurs ». Le rapport préconise donc « de prévoir un report de l’obligation d’une durée d’au moins deux ans ».

Il est prévu que la proposition de directive serait applicable à compter du 1er janvier 2025 pour l’exercice 2024, avec un échelonnement possible selon les types d’entreprises.

Miren Lartigue

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