Décryptage des nouvelles recommandations de l'AFA publiées le 12 janvier 2021

02.04.2021

Compte-rendu de la conférence ACE-AFJE du 10 mars dernier.

L'AFJE et l'ACE ont participé à la consultation ouverte par l’Agence française anticorruption (AFA) en vue de réviser les recommandations publiées en décembre 2017. Les Éditions législatives avaient dans ce cadre publié les commentaires des deux associations.

La publication des recommandations définitives étant intervenue le 12 janvier dernier, l’AFJE et l’ACE ont reçu l’AFA le 10 mars afin de permettre aux représentants de l’AFA d’expliquer les choix qu’ils avaient faits.

sont intervenus pour l’AFA : Laurence Goutard-Chamoux, Sous-directrice du conseil, de l’analyse stratégique et des affaires internationales et Salvator Erba, Sous-directeur du contrôle.
Sont intervenus pour l’ACE (Avocats Conseils d’Entreprises) et l’AFJE (Association Française des Juristes d’Entreprise) : Dominique Dedieu, William Feugère, Maria Lancri et Jean-Yves Trochon

L'AFA a été créée en 2016 par la loi Sapin II. Sa mission est à la fois d'accompagner les entités privées et publiques dans la mise en place de leur programme de conformité anticorruption et d'auditer la mise en œuvre desdits programmes par les entités soumises par la loi à l'obligation de mettre en place un tel programme. Pour mémoire, l’article 17 fait obligation aux sociétés réalisant plus de 100 Millions de chiffre d’affaires et employant plus de 500 salariés de mettre en œuvre un tel programme, dont l’existence, la qualité et l’efficacité font l’objet de contrôles par la sous-direction du contrôle de l’AFA.

De même, les entités publiques peuvent être contrôlées en vertu de l’article 3. En application de l’article 17, l’AFA peut attraire les entités soumises à l’obligation de mettre en œuvre un tel programme devant la commission des sanctions de l’AFA en cas de manquement à l’une de leurs obligations, lesquelles reposent sur 8 mesures imposées par la loi Sapin II, à savoir :

  • un code de conduite ;

  • un dispositif d'alerte ;

  • une cartographie des risques de corruption et de trafic d’influence ;

  • un dispositif de vérification de l’intégrité des tiers (fournisseurs, clients, intermédiaires) ;

  • des contrôles comptables ;

  • un dispositif de formation ;

  • un régime disciplinaire ;

  • un dispositif de suivi et d’évaluation de l’efficacité du programme.

En décembre 2017, l’AFA a publié ses premières recommandations par application de l’article 3, 2° de la loi Sapin II pour permettre aux entités soumises à l’article 17 de mettre en œuvre leur programme. Elle avait alors ajouté une neuvième mesure concernant l’engagement de l’instance dirigeante.

La loi prévoit que les directives doivent être régulièrement mises à jour. Aussi l’AFA a-t-elle décidé après consultation publique, de mettre à jour les recommandations de décembre 2017 en capitalisant sur l’expérience acquise à l’occasion de ses contrôles et sur les enseignements tirés des décisions de la commission des sanctions de l’AFA dans les deux premières affaires qui lui ont été soumises.

Les nouvelles recommandations

Les nouvelles recommandations sont désormais organisées en 3 sections :

  • une section générale, exposant le cadre général de la loi et des recommandations, à destination de l’ensemble des acteurs économiques, y compris ceux n’étant pas soumis à l’article 17 ;

  • une section relative aux obligations des entités privées ;

  • une section relative aux obligations des entités publiques.

Les nouvelles recommandations réorganisent par ailleurs les 8 mesures du programme de conformité anticorruption autour de 3 piliers pour rendre son appréhension et sa mise en œuvre plus logiques, efficaces et pratique :

  • l'engagement de la direction générale et la nomination d'un responsable de la conformité indépendant ;  

  • l'évaluation et la cartographie des risques ;

  • la gestion des risques, c'est-à-dire la mise en œuvre de toutes les autres mesures de la loi (code de conduite, formation, évaluation des tiers, alerte interne, contrôles, mesures correctives et régime disciplinaire), déclinées selon le triptyque « prévention, détection et remédiation ».

Il ne s'agit pas pour l’AFA de révolution, mais de remettre au centre l’engagement de l’instance dirigeante et la cartographie des risques sans remettre en cause l‘importances des 8 mesures de la loi.

Ces nouvelles recommandations serviront de référence aux contrôles de l’AFA à compter du 12 juillet 2021, soit 6 mois après leur publication. Les entreprises disposent ainsi de ce court délai pour se mettre en conformité avec ces nouvelles recommandations.

Les principales innovations des nouvelles recommandations

Les nouvelles recommandations comportent de très nombreux changements de style et de formulation, visant à clarifier autant que faire se peut les dispositions des recommandations de 2017 qui auraient pu  prêter à confusion ou apparaitre en-deçà des pratiques de place ayant émergé depuis l’entrée en vigueur de la loi.

Les nouvelles recommandations ne doivent pas conduire à remettre en cause les programmes de conformité tels qu’ils existent à ce jour, mais requièrent simplement des adaptations.

Pour ce faire, l’AFA a indiqué qu’elle procédait également à la mise à jour de son questionnaire de contrôle , avec une table de concordance pour permettre aux entreprises d’adapter leurs réponses à ce questionnaire sans que cette mise à jour ne soit trop chronophage.  Le nouveau questionnaire devrait être prochainement publié sur le site de l’AFA.

Dispositions générales : principe de proportionnalité et présomption simple de conformité

Les recommandations renforcent le « principe de proportionnalité » devant conduire les entreprises à adapter les mesures aux risques encourus. Les sociétés doivent ainsi mettre en place un programme préventif en fonction de leur profil de risques.

Ce principe doit permettre notamment aux ETI et aux PME de « doser » leur programme sans devoir mettre en œuvre un dispositif jugé déraisonnable au regard de leurs caractéristiques (taille, implantations, secteur, etc.).

l’AFA a indiqué s’apprêter à publier un certain nombre de guides sectoriels et à destination des PME et ETI afin de les aider à mettre en œuvre leur programme fondé sur ce principe de proportionnalité. 

L’importance de ce classique principe de proportionnalité doit être aménagé selon les exigences de l’AFA notamment, de pertinence et d’efficacité du programme anticorruption recherchées par la sous-direction du contrôle de l’AFA. Il appartient à l’instance dirigeante d’être en mesure de justifier ses choix et adaptations lors des contrôles : si une minimisation des risques encourus (et des dispositifs mis en place) devait être jugée non pertinente, elle pourrait conduire à l’AFA à constater l’existence de manquements.

Les recommandations consacrent le principe posé par la commission des sanctions selon lequel le respect des recommandations, si elle n’est pas obligatoire, confère aux entreprises contrôlées une présomption simple de conformité à la loi.

La charge de la preuve reviendrait ainsi à l’AFA de démontrer une application incorrecte, non effective ou incomplète de ses recommandations..

Pour autant, l’AFA a clairement indiqué que sa méthodologie étant constitutive de son référentiel, l’entreprise qui ne la suivrait pas devrait expliquer et motiver son choix, démontrer qu’elle parvient néanmoins à remplir l’objectif poursuivi par la loi Sapin II et de convaincre l’AFA que les dispositifs mis en œuvre et les méthodes choisies lui permettent de satisfaire aux exigences posées par la loi.  

Définition d’un cadre plus prescriptif concernant les acteurs publics

Fort du constat que les entités publiques n’ont pas atteint le niveau de maturité des programmes anticorruption des entreprises privées, l'AFA a décidé de consacrer une section spécifique pour aider les entités publiques à mettre en place leurs programmes, en l’assortissant de recommandations spécifiques à leur organisation, aux règles de la commande publique et aux principes de comptabilité publique, tout en tenant compte de la grande disparité des acteurs du secteur public.

Même si la loi ne permet pas à l’AFA d’attraire les acteurs publics devant la commission des sanctions de l’AFA en cas de manquement à la loi, il est probable que les acteurs publics de taille significative utiliseront ce nouveau cadre de référence pour développer leurs programmes de conformité, compte tenu des enjeux tant pour les fonctionnaires et élus concernées, que pour l’image et la réputation des entités publiques concernées.   

Engagement de l’instance dirigeante

Les nouvelles recommandations insistent plus encore  sur l’engagement de l’instance dirigeante dans la mise en œuvre du programme anticorruption. En cas de contrôle de l’AFA , il est indispensable  de pouvoir démontrer le « portage du dispositif par l’instance dirigeante » et l’impulsion donnée par la direction générale, ainsi que le contrôle effectif de sa mise en œuvre au travers de mesures concrètes, comme par exemple en matière de politique de ressources humaines, de politique commerciale ou d’achat.

Cet engagement sera aussi déterminé par l’articulation des rôles respectifs du dirigeant et du « Responsable Conformité ». C’est pourquoi l’AFA a considéré indispensable d’intégrer les principes énoncés dans le guide sur la fonction de « Responsable Conformité Anticorruption publié » en janvier 2019 dans ses nouvelles recommandations et, tirant l’enseignement de ses contrôles, d’insister sur l’indépendance de ce Responsable. Dès lors, même si cette intégration ne peut leur conférer plus de valeur contraignante (ni les recommandations ni les guides de l’AFA n’ont de valeur législative), ces principes deviennent clairement le référentiel de cette fonction.

Ainsi, la désignation d’un responsable conformité par l’instance dirigeante lui permet de s’assurer d’un déploiement adéquat, sous réserve que ce dernier dispose de la compétence, de l’autorité et des moyens financiers, humains et juridiques nécessaires à sa mission.

De plus, les nouvelles recommandations insistent sur le rôle du conseil d’administration qui, bien que n’étant pas partie intégrante de l’instance dirigeante telle que définie par la loi, doit s’assurer, dans le cadre de sa mission de surveillance, de l’existence, la pertinence et l’efficacité des mesures mises en place.

Cartographie des risques

L’AFA a constaté que sa méthodologie préconisée par ses recommandations de décembre 2017 a été largement adoptée par les entreprises. Elle n’a dès lors guère modifié les dispositions relatives à l’élaboration et au suivi des cartographies des risques de corruption et de trafic d’influence, tout en apportant quelques précisions intéressantes en particulier pour les risques systémiques, et intégrant certaines bonnes pratiques identifiées lors des contrôles. Pour l’AFA, Il appartient aux entreprises d’ « assurer l’auditabilité de leurs propres risques ».

Les nouvelles recommandations apportent d’utiles précisions sur la notion de cartographie groupe, sans être trop prescriptive : l’AFA considère que les entreprises doivent rester libres d’élaborer cette cartographie selon leur choix (par processus, par métier, etc.) en fonction de leur organisation, l’essentiel étant de pouvoir démontrer que l’ensemble des risques des filiales du groupe a fait l’objet d’une analyse objective, structurée et documentée et que des mesures de contrôle des risques bruts les plus critiques ont bien été mis en œuvre afin de réduire les risques nets à un niveau acceptable.  

Enquêtes internes

Les nouvelles recommandations consacrent le principe de la conduite d’enquêtes internes, apportant quelques précisions sur les effets notamment d’un dispositif d’alerte efficace.

Ces enquêtes doivent permettre le cas échéant de prendre des mesures appropriées en cas de soupçons étayés, y compris au travers de sanctions disciplinaires, voire d’actions judiciaires selon les circonstances.

Vérifications d’intégrité des tiers

Sur cette mesure, les nouvelles recommandations insistent sur l’approche par les risques, en admettant que les tiers considérés à faible risque ne doivent pas nécessairement faire l’objet de vérifications.

Elles clarifient aussi l’articulation possible avec d’autres dispositifs (ex. LCB-FT), pour autant que ces derniers permettent de faire ressortir le risque de corruption.

Elles proposent une méthodologie de classification des tiers par catégorie et par profil de risques comparables, chaque tiers devant néanmoins être évalué de manière individuelle au sein de chaque groupe.

Il appartient donc aux entreprises de définir sa méthodologie propre et de concentrer leurs efforts de due diligence sur les seuls tiers à risque (moyen ou élevé).

Mise en œuvre des contrôles prévus par l’article 17

L’AFA précise utilement que les contrôles comptables et les dispositifs de contrôle et d’évaluation interne des mesures et procédures composant le dispositif anticorruption s’inscrivent dans le cadre de plans de contrôles internes plus vastes.

Cette précision était largement attendue par les praticiens dans la mesure où la détection de la corruption s’inscrit nécessairement dans le cadre des programmes de contrôles et d’audits de l’entreprise, sans qu’il y ait lieu de les isoler alors même que de nombreux contrôles déjà en place contribuent à la prévention et la détection d’éventuels faits de corruption.  

A partir des données recueillies lors de leurs « audits » et contrôles, l’AFA propose désormais une liste de contrôles, à titre d’ « illustration », pour chaque mesure. Cette grille d’audit n’est pas prescriptive ni exhaustive, mais permet très utilement aux entreprises de mieux cibler leurs contrôles en fonction de la maturité de chaque dispositif.

Nouveaux risques liés à la crise sanitaire

SI l’AFA n’évoque pas la crise sanitaire dans ses nouvelles recommandations, elle attire l’attention des entreprises sur les nouveaux risques générer par la pandémie et la nécessité de mettre à jour notamment, les cartographies des risques et les mesures d’évaluation des tiers. L’AFA tiendra compte de ces mises à jour dans ses prochains contrôles.

Ces nouvelles recommandations s’inscrivent bien dans la continuité des travaux engagés par l’AFA depuis sa création et démontrent qu’elle a désormais acquis une maturité certaine.

Dominique Dedieu, Maria Lancri, Jean-Yves Trochon, William Feugère

Nos engagements