Déforestation en Amazonie : les ONG alertent les entreprises sur leur plan de vigilance

05.09.2019

Alors que l'Amazonie continue de brûler, 46 députés et 17 ONG ont cosigné une tribune, dans laquelle ils appellent à l'élaboration d'une loi européenne interdisant l'entrée, au sein de l'UE, de produits ayant contribué à la déforestation du biome amazonien. En France, les entreprises concernées doivent mieux prendre en compte le risque lié à l'importation de tels produits dans leur plan de vigilance.

La loi du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance oblige déjà les sociétés mères et les entreprises donneuses d'ordre à établir un plan destiné à identifier et prévenir les risques sociaux et environnementaux, mais aussi les atteintes aux droits humains résultant de leurs activités et de celles des sociétés qu’elles contrôlent, ainsi que des activités de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs (C.com., art. L. 225-102-4).
 
Cette loi peut être utilisée comme l’un des leviers de la lutte contre la déforestation, mais les risques d’atteinte à l’environnement et aux droits humains, pourtant bien présents au sein des chaînes d’approvisionnement dans les secteurs agroalimentaire et de la grande distribution, ne sembleraient pas avoir été pris en compte par les entreprises, et très peu l’évoqueraient dans leur plan de vigilance.
Le soja, grand oublié des plans de vigilance
Le premier bilan d’application de la loi s’était avéré assez décevant : de nombreuses lacunes dans l’élaboration des plans étaient pointées du doigt par six ONG, dans un rapport publié en février dernier. La cartographie des risques était également mise en cause : bien souvent les entreprises se seraient focalisées sur les risques qu’elles encouraient elles-mêmes, sur un plan juridique ou financier, alors qu’il s’agit de protéger les droits des tiers et de l'environnement.
 
Enfin, l’absence de liste précise des risques spécifiques à l'activité, aux produits, aux services et aux pays où les entreprises opèrent, a aussi pu contribuer à l’oubli d'atteintes susceptibles d'être portées aux tiers et à l'environnement, et ce particulièrement dans certains secteurs. Il en est ainsi des risques liés à l’importation de soja en provenance du Brésil, au sein des chaînes d'approvisionnement du secteur alimentaire et de la grande distribution.
Les liens entre culture de soja et atteintes aux droits humains et environnementaux
Les atteintes aux droits environnementaux dues à la déforestation destinée à la culture de soja (érosion des sols, émission de gaz à effet de serre, disparition d'espèces menacées...) sont assez connues : ce qui l'est parfois un peu moins, ce sont les nombreuses atteintes aux droits humains. Les régions exposées aux cultures de soja seraient particulièrement sujettes aux violations de droits humains à l’encontre des populations autochtones. L’esclavage de la main-d’œuvre, ou l’accaparement des terres sont des risques que les entreprises doivent identifier, et évoquer dans leur plan de vigilance.
Il en est de même pour les atteintes au droit à la santé des populations : l’usage de pesticides et la pollution des eaux qui en résulte sont encore des risques que les entreprises doivent faire figurer dans leur plan.
Des risques absents des plans de vigilance
L'analyse, par des ONG, des plans de vigilance de vingt entreprises du secteur alimentaire et de la grande distribution – soumises ou non à la loi sur le devoir de vigilance  – , révélait que peu de sociétés mentionneraient les risques et atteintes graves à l’environnement et aux droits humains présents dans leurs chaînes d’approvisionnement et liés à l’importation de soja. Et lorsque ces risques étaient évoqués, les impacts et les liens avec l’activité de l’entreprise n’auraient pas été précisés.
Remarque : les effets des pesticides sur la santé, ou la pollution des eaux contaminées, ne figureraient dans aucun plan.
Les entreprises se seraient majoritairement concentrées sur les risques présentés par des produits susceptibles de porter atteinte à leur image. Tel est le cas des matières plus aisément identifiées par les consommateurs comme représentant un risque pour l’environnement : c'est le cas, par exemple, de l’huile de palme, ou du bois.
 
Les lacunes de l’identification des risques liés à la culture du soja auraient donc entrainé un manque d’action de la part des entreprises, qui n'auraient pas mis en place de mesures préventives.
Les recommandations
Plusieurs recommandations ont été émises par les ONG. Si une meilleure identification des risques liés à l’importation de soja en provenance du Brésil est primordiale, elle doit aussi s’accompagner d’une prise en compte des parties prenantes les plus pertinentes, qui sont directement affectées par ces risques.
 
L’adoption de plans d’action concrets, garantissant des chaînes d’approvisionnement exemptes de déforestation et d’exploitation (travail forcé, esclavage) est une bonne pratique à mettre en place.
Remarque : certaines ONG, notamment The Nature Conservancy, tentent de promouvoir des bonnes pratiques en encourageant les producteurs à restaurer les forêts indûment défrichées, en échange d’une certification écologiquement responsable. Mais les systèmes de certification du soja ont leur limite, et s’ils améliorent la traçabilité, cela reste une solution à court terme qui ne résout pas les problèmes de fond.
Certaines entreprises soumises à la loi sur le devoir de vigilance envisagent la rupture des relations commerciales avec les fournisseurs à risque.
 
Enfin, le développement d’une filière de soja français figure également parmi les recommandations.
 
Le soja et l’élevage bovin, deux grands facteurs de déforestation

 

En Amérique latine, la pratique du brûlis est l’une des techniques de déforestation accusée d’être à l’origine des feux qui touchent l’Amazonie depuis cet été. Cette pratique agraire, utilisée comme moyen de défrichement et de fertilisation des sols, sert à faire de la place aux élevages bovins et aux cultures, majoritairement de soja, lequel est souvent OGM.

Au Brésil, un décret visant à interdire cette pratique pour une durée de 60 jours a été publié le 28 août 2019, mais il ne s’applique qu’à l’Amazonie légale (l’ensemble administratif, qui ne prend pas en compte les savanes) et reste permis avec autorisation préalable quand l’utilisation du brûlis est considérée comme essentielle aux pratiques agricoles.

En Amazonie, 65% des terres déboisées seraient occupées par des pâturages ; l’Union européenne (UE) représente d’ailleurs l’un des principaux marchés vers lequel le Brésil exporte sa viande bovine. Quant aux cultures de soja, développées de manière exponentielle avec l’augmentation de la consommation de viandes et de produits laitiers,  l’UE en est également une grande importatrice, pour l’alimentation animale d’élevages industriels.
 
L’élevage bovin et l’augmentation de la surface des pâturages représentent donc un facteur important de la déforestation massive, de même que la monoculture de soja. En mars dernier, des ONG avaient pourtant déjà alerté les entreprises du secteur agroalimentaire et de la grande distribution sur les risques de leur approvisionnement en soja.
Élise Le Berre, Solution Compliance et éthique des affaires

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