Le ralliement du PS à un programme commun de gouvernement négocié avec la France Insoumise a provoqué une sorte de fronde à l'envers chez les socialistes : une partie des anciens dirigeants fustigent cet accord. Il faut dire que le texte revient sur certains des changements opérés en matière de droit du travail lors du quinquennat Hollande, comme le début d'inversion de la hiérarchie des normes et les mesures de flexibilité introduits par la loi Travail de 2016. Rappel historique.
Le 4 mai, le Parti socialiste et l'Union populaire, le mouvement créé par Jean-Luc Mélenchon autour des Insoumis pour la présidentielle 2022 (voir ici son programme), ont formalisé dans un texte leur accord sur un programme de gouvernement et sur une liste commune de candidats pour les législatives des 12 et 19 juin. Cet accord, qui intervient après ceux passés avec les écologistes et les communistes, a été approuvé par un conseil national du PS, jeudi 5 mai et soutenu, malgré des réserves, par des personnalités comme Martine Aubry ou Anne Hidalgo.
Il n'en a pas moins suscité de violentes critiques de la part d'autres anciens dirigeants socialistes comme François Hollande, Bernard Cazeneuve, Stéphane Le Foll, mais aussi de certains parlementaires et élus locaux. Ceux-ci accusent Olivier Faure, l'actuel premier secrétaire du PS, d'avoir ignoré certaines valeurs socialistes, comme l'attachement à l'Europe, le texte prévoyant explicitement de refuser de respecter certaines règles communautaires (1), et d'avoir bradé la culture de gouvernement acquise au fil des années par les gouvernements socialistes en acceptant des mesures jugées irréalistes.
Ce texte revendique surtout une rupture dans l'approche faite ces dernières années par la gauche dite de gouvernement au sujet du droit des salariés, des institutions représentatives du personnel et des principes de la négociation collective. Lors du quinquennat de François Hollande, dominé par la problématique lancinante du chômage, plusieurs textes législatifs ont touché à ces domaines.
En 2014, la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances, portée par le jeune ministre de l'Economie Emmanuel Macron, touche au droit des IRP. Il s'agit de retirer "certains signaux négatifs envoyés aux investisseurs", selon la terminologie de Bercy.
Ainsi, porter atteinte à l'exercice régulier des fonctions des représentants du personnel n'est plus passible de prison, mais seulement d'une amende, celle-ci passant de 3 750€ à 7 500€ (lire notre article).
Avec cette loi, le travail de nuit commence à minuit et le travail dominical est étendu. Le texte sécurise également les procédures des plans de sauvegarde d'emploi (PSE) pour les entreprises et fait passer de 2 à 5 ans la durée des accords de maintien dans l'emploi, tout en allégeant l'information que doit transmettre l'entreprise aux salariés en cas de cession (notre article).
Elaborée à la suite de l'échec en janvier 2015 de la négociation entre partenaires sociaux sur les IRP (lire notre article), la loi Rebsamen de 2015 visant "à simplifier le dialogue social" est votée par les députés socialistes en juillet 2015.
Ce texte étend de 200 à 300 salariés la délégation unique du personnel (DUP) en y incluant le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), mais il prévoit aussi la possibilité pour toutes les entreprises à partir de 300 salariés de regrouper par accord tout ou partie de leurs instances représentatives du personnel, une petite anticipation de ce qu'allait cette fois imposer la présidence d'Emmanuel Macron avec le CSE, après les élections de 2017.
Selon une étude de la Dares publiée en 2018, sur 43 accords regroupant les instances représentatives du personnel (IRP) conclus en 2016 et 2017 en application de la loi Rebsamen, la moitié des textes préservaient l'autonomie du CHSCT, observe la Dares (lire notre article).
Autres nouveautés de la loi Rebsamen : le resserrement des délais de transmission du PV du CE (lire notre article), le principe de représentation proportionnelle des femmes et des hommes aux élections professionnelles, le regroupement en trois grands rendez-vous annuels (stratégie, social, économie) des nombreuses consultations du CE et le regroupement en trois blocs des obligations de négocation.
Il y avait aussi la création de la prime d'activité, un coup de pouce à la représentation des salariés dans les conseils d'administration, etc. (voir notre infographie). Notons que lors de la présentation à la presse de ce projet de loi, le ministre de l'Economie Emmanuel Macron paraissait davantage connaître ses dispositions que le ministre en exercice, qui de fait laisse dès septembre 2015 son fauteuil à Myriam El Khomri.
Si la loi Rebsamen fut donc votée par la majorité des parlementaires socialistes et critiquée par la droite estimant qu'elle n'allait pas assez loin, il n'en fut pas de même pour la loi Travail présentée par Myriam El Khomri, la ministre du Travail en 2016. Devant l'opposition des "frondeurs" (une partie des députés de l'aile gauche du PS qui relayaient certaines craintes syndicales), Manuel Valls, alors Premier ministre, avait obtenu de François Hollande de pouvoir utiliser le 49.3 pour faire adopter ce texte sans vote en juillet 2016.
A moins d'un an de la présidentielle, l'exécutif socialiste se désespérait de ne pas observer de baisse du chômage en dépit des milliards d'allègements consentis aux entreprises avec le CICE, le crédit d'impôt compétitivité emploi, qui sera par la suite transformé en baisse des cotisations sociales des entreprises. D'où l'idée non pas d'octroyer un droit de veto au CE sur les licenciements, comme le réclamaient les frondeurs lors du congrès du PS à l'été 2015 (lire notre article), mais au contraire de tenter de nouvelles mesures inédites et libérales pour "déverrouiller" le marché du travail.
Le texte ne comportait finalement pas le barème obligatoire de dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse : la mesure fut retirée suite à la bronca soulevée par cette proposition mais ce barème sera réintroduit par Emmanuel Macron en 2017. Mais il instaurait d'autres mesures importantes comme :
- la généralisation des accords majoritaires dans la négociation d'entreprise avec une possibilité de validation par référendum des accords signés par des syndicats ne représentant que 30% des voix (lire notre article);
- un nouvel accord sur l'emploi ne nécessitant pas l'existence de difficultés économiques pour imposer de la flexibilité (lire notre article);
- un assouplissement des règles touchant au temps de travail avec par exemple :
- modulation possible par accord du temps de travail jusqu'à 3 ans;
- fixation possible par accord d'une durée de travail quotidienne de plus de 10h, jusqu'à 12h;
- fixation possible par accord d'une durée de travail hebdomadaire de plus de 44h sur 12 semaines, jusqu'à 46h;
- suppression de la possibilité pour la branche de verrouiller le taux de majoration des heures supplémentaires (voir notre article) : un accord d'entreprise peut prévoir un taux différent mais qui ne peut pas être inférieur à 10% (sans accord, la majoration reste de 25% pour les 8 premières heures et 50% pour les heures suivantes);
- des retouches à la loi Rebsamen (par exemple, hausse du crédit d'heures du délégué syndical, nouveau droit à l'expertise du CE pour les nouveaux accords offensifs de l'emploi, mais l'employeur n'a plus à supporter le coût d'une expertise CHSCT annulée par la justice, lire notre article);
- la création du compte personnel d'activité (CPA), un compte devant regrouper tous les droits des salariés mais qui ne sera pas repris lors du premier quinquennat Macron.
Cet héritage, qui va dans le sens d'une simplification des IRP et d'une possibilité pour les entreprises d'instaurer davantage de flexibilité au nom de la compétitivité et de l'emploi, a été repris et amplifié par Emmanuel Macron, avec, comme on le sait, ses ordonnances de 2017 imposant une instance unique de représentation du personnel, la primauté des accords d'entreprise, de nouveaux types d'accords comme la rupture conventionnelle collective ou l'accord de performance collective.
Il est donc frappant de voir que c'est toute une partie de cet héritage que l'accord pour "la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES)" entend remettre en cause, de façon d'ailleurs assez globale, sans distinguer ce qu'il peut contenir également de positif. Observons également que cette remise en cause intervient dans un contexte de baisse du chômage (2).
Outre le relèvement du Smic à 1 400€, le blocage des prix des produits de première nécessité, une allocation d'autonomie jeunesse et la désormais fameuse "planification écologique", le texte de l'accord avec le PS promet par exemple, de façon assez floue, "l’abrogation de la loi El Khomri, des contre-réformes du code du travail et de l’assurance chômage et la lutte contre l’ubérisation du travail avec la présomption de salariat pour les travailleuses et travailleurs des plateformes".
Le texte évoque également :
-
l’organisation d’une conférence sociale sur les salaires, la formation, les conditions de travail et les retraites;
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le droit à la retraite à 60 ans pour toutes et tous avec une attention particulière pour les carrières longues, discontinues et les métiers pénibles;
-
le renforcement et la généralisation de la représentation des salariés dans les conseils d’administration;
-
l'allongement de la durée du congé parental;
-
un nouveau rôle pour les collectivités locales et les mouvements sociaux, syndicaux et associatifs, etc.
On sait par ailleurs que l'Union populaire veut rétablir les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et que l'accord avec le PCF comprend "de nouveaux droits d'intervention et de décision des salariés dans les entreprises" ainsi que "la renationalisation d'EDF, d'ENGIE, des autoroutes et des aéroports".
Il sera intéressant, sur le plan politique, de voir comment ces propositions seront détaillées d'une part et, d'autre part, de voir quelles autres propositions vont leur opposer les socialistes qui refusent l'union électorale avec les Insoumis et qui ne veulent pas pour autant rejoindre le parti d'Emmanuel Macron, déjà rallié par des personnalités comme l'ancien Premier ministre Manuel Valls et l'ancienne ministre des Affaires sociales et de la Santé Marisol Touraine.
Quant au nouvau parti Renaissance (ex-LREM), son programme présidentiel pour les IRP et le code du travail était plutôt sybillin, Emmanuel Macron ayant évoqué "la poursuite de la modernisation du code du travail engagée avec les ordonnances de 2017" ainsi que la déconcentration du dialogue social, l'équipe du candidat ayant cité comme exemple de changement possible le conseil d'entreprise, qu'il s'agirait de rendre plus attractif. Le président sortant a par ailleurs promis de faire dépendre obligatoirement la rémunération des dirigeants des grandes entreprises du respect des objectifs environnementaux et sociaux de l’entreprise...
(1) Voici ce que dit le texte de l'accord avec le PS au sujet de l'Europe : "À l’occasion de la crise sanitaire, certaines règles budgétaires et sur la concurrence ont été suspendues. Une brèche a été ouverte dans laquelle nous devons nous engouffrer pour obtenir des changements de grande ampleur. Du fait de nos histoires, nous parlons de désobéir pour les uns, de déroger de manière transitoire pour les autres, mais nous visons le même objectif : être en capacité d’appliquer pleinement le programme partagé de gouvernement et respecter ainsi le mandat que nous auront donné les Français. La mise en œuvre de notre programme partagé conduira nécessairement à des tensions, à constater des contradictions. Il nous faudra dépasser ces blocages et être prêts à ne pas respecter certaines règles, tout en travaillant à les transformer, en particulier les règles économiques, sociales et budgétaires comme le pacte de stabilité et de croissance, le droit de la concurrence, les orientations productivistes et néolibérales de la Politique agricole commune, etc". Le texte de l'accord avec les Verts est plus explicite s'agissant d'EDF : "Il est impossible de nationaliser EDF dans le cadre des règles de la concurrence, d’investir pour respecter nos engagements climatiques en raison des règles budgétaires, etc".
(2) Mais la guerre en Ukraine, la reprise de l'inflation et le remboursement par les entreprises des prêts dont elles ont bénéficié pour passer le cap de la crise sanitaire hypothèquent les chances d'une croissance économique en 2022.