Des associations de défense des droits fondamentaux appellent l'UE à mettre fin aux poursuites-bâillons

11.06.2020

Au sein d'une lettre ouverte adressée à la Commission Européenne, Sherpa, la Maison des Lanceurs d'alerte et 117 autres associations de défense des droits fondamentaux appellent l'Union européenne à faire avancer le droit protégeant les lanceurs d'alerte contre les poursuites-bâillons.

Des menaces à l’ordre juridique de l’UE
Les Strategic Lawsuits Against Public Participation (SLAPP ou " poursuite stratégique contre la mobilisation publique" ou encore "procédure bâillon") sont des actions en justice intentées en vue de faire taire un lanceur d’alerte, un détracteur ou un opposant. Ce type de procédure vise moins à aboutir qu’à épuiser financièrement ou moralement le lanceur d’alerte afin qu’il s’autocensure.
Ces procédures bâillons représentent une menace envers :
  • la démocratie et les droits fondamentaux, en portant atteinte à la liberté d’expression, à la participation et à la liberté d’association de ceux et celles s’exprimant dans l’intérêt public ;
  • l’accès à la justice et la coopération judiciaire, en ce qu’elles érodent la confiance mutuelle entre les systèmes juridiques de l’UE ;
  • l’application du droit communautaire, et en particulier aux règles budgétaires et fiscales, puisque l’absence d’un système qui garantisse le contrôle public envers les comportements frauduleux mis en lumière par les lanceurs d’alerte (médias, acteurs de la société civile, etc.), nuit à la bonne application du droit de l’UE.
Un ensemble de mesures contre les poursuites-bâillons à l’échelle de l’UE
Les organisations demandent à l’UE d’adopter une directive visant à protéger les personnes visées par ces procédures bâillons.Elles recommandent une directive contre ces poursuites, qui établirait une norme minimale de protection à l’échelle de l’UE. Elle pourrait ainsi prévoir :
  • un mécanisme de sanction exemplaire à l’encontre des auteurs qui engagent des poursuites abusives ;
  • des garanties procédurales pour les victimes de ces procédures, avec notamment des voies de recours spécialisées pour contester la recevabilité de certaines demandes, ou encore des règles faisant peser sur le demandeur la charge de démontrer une probabilité raisonnable que sa demande aboutisse.
La directive sur les lanceurs d’alerte permet déjà de protéger les personnes dénonçant une violation au droit de l’UE dans un contexte professionnel, mais les associations réclament une protection contre ces procédures abusives élargie et applicable à tous ceux s’exprimant dans l’intérêt public.
Quelle base juridique ?
Pour adopter une telle directive, les associations se fondent sur plusieurs bases juridiques :
  • l’article 114 du TFUE sur le bon fonctionnement du marché intérieur ;
  • l’article 81 du TFUE concernant la coopération judiciaire et l’accès effectif à la justice ;
  • l’article 325 du même traité sur la lutte contre la fraude liées aux programmes et budgets de l’UE.
Enfin, les associations réclament un soutien moral et financier aux victimes de ces procédures abusives, et suggèrent que les fonds du Programme Justice puissent être utilisés pour former les juges et praticiens.
Réformer les règlements Bruxelles I et Rome II
Il serait également souhaitable de modifier le règlement Bruxelles I, qui permet au demandeur de choisir l’État dans lequel il souhaite introduire sa demande : cela permet de choisir la juridiction la plus susceptible de donner raison aux intérêts de la personne engageant la procédure abusive. De plus, la personne faisant l’objet de la poursuite ne dispose pas forcément des moyens lui permettant d’engager les frais de justice nécessaires à sa défense, ce qui porte atteinte aux principes du procès équitable et d’égalité des armes.
Enfin, le règlement Rome II ne détermine pas la loi nationale qui s’appliquera dans une affaire de diffamation : là encore, cela offre au demandeur la possibilité de choisir le droit le plus favorable à ses intérêts, et donc d’opter pour intenter la poursuite dans un État doté d’un standard minimaliste en matière de protection de la liberté d’expression.
Elise Le Berre

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