Devoir de vigilance et commande publique

08.06.2022

Le 2 mai dernier, le décret portant diverses modifications du code de la commande publique est venu préciser l’entrée en vigueur de l’article 35 de la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021. Cet article a inséré de nouvelles dispositions relatives au devoir de vigilance des entreprises dans leurs chaines de valeur mondiales, renforçant ainsi le caractère contraignant de la loi, cinq ans après son adoption.

Le 2 mai 2022, le décret n° 2022-767 « portant diverses modifications du code de la commande publique » est venu préciser l’entrée en vigueur de l’article 35 de la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021 . Cet article a inséré de nouvelles dispositions relatives au devoir de vigilance des entreprises dans leurs chaines de valeur mondiales, renforçant ainsi le caractère contraignant de la loi, cinq ans après son adoption.

Les nouveautés issues de la loi Climat du 22 août 2021 en matière de vigilance

Les nouveautés en matière de commande publique

L’article 35 de la loi « Climat et résilience » a créé les articles L. 2141-7-1 et L. 3123-7-1 au sein du code de la commande publique afin d’introduire une nouvelle sanction au non-respect du devoir de vigilance dans les procédures de passation d’un marché public et d’un contrat de concession.

Ainsi, selon l’article L. 2141-7-1, « l'acheteur peut exclure de la procédure de passation d'un marché les personnes soumises à l'article L. 225-102-4 du code de commerce qui ne satisfont pas à l'obligation d'établir un plan de vigilance comportant les mesures prévues au même article L. 225-102-4, pour l'année qui précède l'année de publication de l'avis d'appel à la concurrence ou d'engagement de la consultation. Une telle prise en compte ne peut être de nature à restreindre la concurrence ou à rendre techniquement ou économiquement difficile l'exécution de la prestation. ».

De même en matière de concessions, l’article L. 3123-7-1 prévoie la possibilité pour l'autorité concédante d’exclure de la procédure de passation d'un contrat de concession les entreprises assujetties au devoir de vigilance qui « ne sont pas en mesure de présenter un plan de vigilance dûment réalisé pour l'année qui précède l'année de publication de l'avis de concession ou d'engagement de la consultation. Une telle prise en compte ne peut être de nature à restreindre la concurrence ou à rendre techniquement ou économiquement difficile l'exécution de la prestation ».

L’article 35 IV. et V. précise que ces dispositions s’appliquent aux marchés publics et aux concessions pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d’appel à la concurrence est envoyé à la publication à compter de leur entrée en vigueur.

Quelques rappels sur la procédure de passation

La commande publique régit l'ensemble des contrats conclus à titre onéreux par les acheteurs publics ou une autorité concédante ayant une mission de service public pour satisfaire ses besoins en matière de travaux, de fournitures ou de services, avec un ou plusieurs opérateurs économiques. Il peut s’agir de contrats de marchés publics (C. commande publ., art. L. 1111-1) si la prestation est financée par le pouvoir public, ou de contrats de concession (C. commande publ., art. L. 1121-1) en cas de délégation d’une activité de service public où le gestionnaire se rémunère en partie par l’activité du service.

Dans le cadre des procédures de passation des marchés publics et des concessions, les principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures s’appliquent.

Un motif d’exclusion facultatif

Les nouveaux articles L. 2141-7-1 et L. 3123-7-1 issus de la loi « Climat et résilience » prévoient un nouveau motif d’exclusion facultatif de la procédure de passation.

Outre les motifs d’exclusion obligatoires, le code de la commande publique prévoit des motifs d’exclusion facultatifs, laissés à l’appréciation de l’acheteur (pour les marchés publics, articles L. 2141-7 à L. 2141-11 du code de la commande publique. Pour les contrats de concessions, articles L. 3123-7 à L. 3123-11).

Remarque : pour les marchés publics, articles L. 2141-1 à L. 2141-6 du code de la commande publique (exclusion obligatoire en cas de condamnation définitive pour certaines infractions, candidat non à jour de ses obligations fiscales et sociales, candidat en liquidation judiciaire, faillite personnelle, interdiction de gérer, etc…). Pour les contrats de concession, articles L. 3123-1 à L. 3123-6.

Le caractère « facultatif » de l’exclusion signifie qu’un opérateur économique qui serait dans un cas d’exclusion n’est pas automatiquement exclu de la procédure. Il ne le sera que si les éléments apportés par l’opérateur économique établissent que sa participation à la procédure de passation n’est pas susceptible de porter atteinte à l’égalité de traitement et justifient bien d’écarter l’opérateur économique (pour les marchés publics, article L. 2141-11. Pour les contrats de concessions, article L. 3123-11). Si la situation de l’exclusion est avérée au regard des documents produits, l’acheteur public devra exclure l’opérateur économique.

L’appréciation par l’acheteur du manquement au devoir de vigilance

En premier lieu, le manquement est caractérisé si les entreprises « ne satisfont pas à l’obligation d’établir un plan de vigilance comportant les mesures prévues au même article L. 225-102-4 » du code de commerce. Cet article exige que le plan comporte « les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement » résultant de certaines activités de sa chaine de valeur. Le plan doit comporter les mesures suivantes : une cartographie de tous les risques aux fins de hiérarchisation, des procédures d'évaluation régulière de certaines activités de sa chaine de valeur, des actions adaptées d’atténuation des risques et de prévention des atteintes graves, un mécanisme d'alerte et de recueil des signalements établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans la société, ainsi qu’un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d'évaluation de leur efficacité. Un plan inexistant, incomplet ou ineffectif ne satisfait pas à l’obligation de l’article L. 225-102-4.

En second lieu se pose la question des compétences de l’acheteur pour apprécier ce manquement. C’est l’acheteur qui devra évaluer la conformité du plan de vigilance de l’opérateur économique afin d’envisager ou non son exclusion du processus de passation. Si pour les autres motifs d’exclusion, obligatoires ou facultatifs, l’appréciation est facilitée par la production d’un simple extrait de casier judiciaire ou de certificats fiscaux et sociaux, en matière de vigilance, l’appréciation d’un motif d’exclusion se déduit difficilement de la seule lecture d’un plan de vigilance si le lecteur n’a pas l’expertise nécessaire pour interpréter l’effectivité des mesures. En effet, un plan de vigilance qui mentionnerait la simple mise en place des cinq mesures ne satisfait pas à l’exigence d’effectivité prévues par la loi. Dès lors, l’appréciation par l’acheteur d’un plan irrégulier comporte un risque d’appréciation « tick the box » des mesures.

Le décret du 2 mai 2022

Le décret n° 2022-767 « portant diverses modifications du code de la commande publique » publié au journal officiel le 3 mai 2022 vient préciser que les articles L. 2141-7-1 et L. 3123-7-1 du code de la commande de la publique sont entrés en vigueur le lendemain de la publication du décret, autrement dit le 4 mai 2022.

L’inclusion de l’éthique dans la commande publique

Les considérations éthiques s’invitent progressivement au sein de la commande publique qui représente près de 15 % du PIB, raison pour laquelle un rapport d’information du Sénat du 25 juin 2020 recommandait de « faire de la commande publique un levier pour diffuser plus largement la RSE ».

Dans ce contexte, l’article 35, I de la « Loi climat et résilience » est venu garantir que « la commande publique participe à l'atteinte des objectifs de développement durable, dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ».

A diverses étapes de la procédure de passation des marchés publics, le code de la commande publique intègre des notions éthiques. Dès la préparation du marché, les spécifications techniques doivent prendre en compte « des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale » (C. commande publ., art. L. 2111-2). Au stade des candidatures, les acheteurs peuvent demander aux candidats de produire certains certificats afin de vérifier leur conforme à certaines normes. Au stade du choix de l’offre, le code autorise les acheteurs à avoir recours à des critères évaluant les aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux des offres des candidats (C. commande publ., art. R. 2152-7). Au stade de l’exécution, « les conditions d’exécution peuvent prendre en compte des considérations relatives à l’économie, à l’innovation, à l’environnement, au domaine social, à l’emploi ou à la lutte contre les discriminations » (art. L. 2112-2) . De même, « l’acheteur prévoit des conditions d'exécution prenant en compte des considérations relatives au domaine social ou à l'emploi, notamment en faveur des personnes défavorisées », si la valeur des marchés publics dépasse un certain seuil (art. L. 2112-2-1).

Par ailleurs, l’article L. 2111-3 du code de la commande publique impose aux acheteurs publics ayant un volume d’achat annuel supérieur à 100 millions d’euros HT d’adopter un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsable, bien que seul un nombre marginal de collectivités n’ait engagé le processus en 2018 .

Toutefois, le Conseil d’Etat a considéré dans un arrêt rendu le 25 mai 2018 que l’intégration de critères sociaux doit être en lieu avec l’objet du marché ou ses conditions d’exécution, si bien que l’usage de critères généraux de responsabilité sociale de l’entreprise est prohibé. L’utilisation de critères RSE n’est ainsi envisageable que si cela concourt à la réalisation des prestations prévues par le marché. Un arrêt du Conseil d’Etat en date du 20 décembre 2019 a d’ailleurs admis dans le cadre d'une délégation de service public qu'un critère relatif à la création d'emplois induits par l'activité objet du contrat présente un lien direct avec les conditions d'exécution de ce dernier.

Les enjeux pour les entreprises

Outre les mécanismes d’injonction et de responsabilité, les sanctions d’un manquement au devoir de vigilance se renforcent progressivement. Par ailleurs, les évolutions européennes viendront probablement consacrer la mise en place d’une autorité de contrôle qui pourront mener des enquêtes au sein des entreprises et sanctionner les manquements à titre préventif .

Il en résulte que les entreprises doivent accroître leur engagement en la matière, en premier lieu au niveau de l’instance dirigeante qui doit se saisir de ce sujet.

A défaut, elles pourraient être exclues de la procédure de passation d’un marché public ou d’un contrat de concession, et ainsi perdre de nombreuses opportunités commerciales.

Emmanuel Daoud, Avocat au barreau de Paris, associé du cabinet VIGO, membre du réseau international d’avocats GESICA

Claire Deniau, Élève-avocate au sein du cabinet Vigo

Emmanuel Daoud, Avocat au barreau de Paris, associé du cabinet VIGO, membre du réseau international d’avocats GESICA

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