Devoir de vigilance : une affaire commerciale ?

06.02.2020

Le tribunal judiciaire de Nanterre s'est déclaré incompétent pour juger le dossier relatif aux activités en Ouganda du géant pétrolier Total. L'affaire a été renvoyée devant le tribunal de commerce.

2019, année des premières mises en demeure dans le cadre du devoir de vigilance

Avec l’entrée en vigueur, en 2017, de la loi sur le devoir de vigilance, l’année 2019 a vu les premières mises en demeure tomber à l’encontre des multinationales considérées par les ONG comme retardataires dans l’application de loi sur le devoir de vigilance.

En octobre dernier, quatre ONG ougandaises et deux françaises ont assigné le groupe pétrolier Total en référé pour non-respect de son devoir de vigilance dans le cadre de ses activités en Ouganda. Elles accusent le projet Tilenga d’avoir des impacts sociétaux et environnementaux importants, qui ne seraient pas pris en compte dans le plan de vigilance de la société.

Lorsqu’une société mise en demeure de mettre en œuvre un plan de vigilance n’y satisfait pas dans un délai de 3 mois à compter de la mise en demeure, la juridiction compétente peut l’enjoindre, le cas échéant sous astreinte, de respecter ses obligations ; le président du tribunal, statuant en référé, peut aussi être saisi (C. com., art. L. 225-102-4, II).

Remarque : dans le cas de Total, les ONG ont saisi le juge en référé, au vu de "l’urgence sociale et environnementale du projet".

Pour cette toute première décision de justice prise sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance, le tribunal de Nanterre n’a pas examiné les demandes des ONG, puisqu’il s’est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce.

Renvoi devant le tribunal de commerce

Cette décision de se déclarer incompétent et de renvoyer l’affaire devant le tribunal de commerce est loin de satisfaire les ONG, qui considèrent que l’objectif de la loi relative au devoir de vigilance ne se borne pas à de la simple "gestion d’entreprise". Estimant que cette décision met de côté les atteintes graves aux droits humains et à l’environnement, elles ont d’ailleurs fait part de leur intention de faire appel de la décision du tribunal de Nanterre.

Autre regret de la part des associations : rester dans l’attente d’une décision durant encore plusieurs mois, alors qu’elles considèrent que les violations aux droits humains se poursuivent en Ouganda.

Pour motiver sa décision, le tribunal de Nanterre a suivi les arguments avancés par le groupe pétrolier lors de l’audience en décembre dernier, qui remettait en cause la compétence du TGI, et a constaté que "l’élaboration et la mise en œuvre du plan de vigilance participent directement du fonctionnement des sociétés commerciales et font partie intégrante de leur gestion".

Le TGI compétent pour les actions en réparation ?

Selon les ONG, le TGI semblerait cependant se reconnaître compétent pour les actions en réparation qui pourraient être intentées sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance, à défaut d’être compétent quant à leur prévention. Il serait donc compétent pour juger de la responsabilité des entreprises dans le cadre de dommages déjà survenus, quand les actions en justice visant à empêcher de futures atteintes graves aux droits humains et à l’environnement relèveraient, elles, de la compétence du tribunal de commerce. Les associations regrettent l’incohérence d’un système de deux juridictions pour des actions fondées sur une même loi.

Elise Le Berre

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