Environnement et climat : "L'expert-comptable sait aller chercher les bonnes données"

Environnement et climat : "L'expert-comptable sait aller chercher les bonnes données"

02.01.2022

Pour Philippe Gervais, qui co-anime la commission CSE du conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables, les nouvelles prérogatives environnementales des CSE donnent un cadre légal qui va permettre aux experts de sensibiliser les différents acteurs de l'entreprise à l'enjeu climatique. Interview.

Philippe Gervais, vous êtes co-animateur, avec Julien Sportès, de la commission des CSE du conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables. La loi donne de nouvelles prérogatives environnementales aux CSE. Mais en quoi l'expert-comptable est-il compétent sur ces sujets ?

L'expert-comptable du CSE connaît déjà bien les sujets de dialogue social dans l'entreprise et il connaît bien le modèle économique de l'entreprise. Or ce modèle peut être affecté par le besoin de décarboner l'économie, avec des conséquences qui, selon les secteurs, peuvent être négatives ou positives pour l'activité de l'entreprise et son marché. Je pense par exemple au secteur automobile avec la fin programmée du moteur à explosion, une évolution lourde de conséquences pour les emplois et l'évolution des compétences de nombreuses entreprises. Un expert peut contribuer à mieux anticiper toutes ces questions.

L'expert-comptable connaît bien le modèle économique de l'entreprise 

 

 

Par exemple, il y a trois ans, j'ai travaillé sur le dossier d'une entreprise qui développe des bus à hydrogène et les représentants du personnel s'interrogeaient sur sa capacité financière en regard des montants à investir et sur les ressources nécessaires pour réussir cette transition. L'expert peut aussi étudier les externalités que l'entreprise produit  sur l'environnement, et les actions qu'elle met en oeuvre pour tenter de réduire son impact sur l'environnement, aussi bien sur la production de gaz à effets de serre tout au long du cycle de vie de ses produits, que sur ceux émis directement par sur son fonctionnement. Dans certains cas de figure, l'expert-comptable pourra avoir besoin de s'appuyer sur un expert plus technique sur l'environnement, capable par exemple de travailler sur une alternative pour concevoir un process de production consommant moins d'énergie. Des sujets classiques peuvent avoir des incidences sur le bilan environnemental de l’entreprise, comme, par exemple, un déménagement : l'organisation des surfaces, la consommation du bâtiment, etc. 

Un expert du chiffre ne va-t-il pas tirer les questions environnementales du côté des données, au détriment d'une approche plus globale ? 

Cette question vaut pour tous les domaines étudiés ! A mes yeux, un expert-comptable est très bien placé et dispose de l'expérience lui permettant de savoir comment aller chercher les bons chiffres, il sait aller chercher les données en volume, en valeur, et il sait utiliser ces données pour en tirer une analyse. La vocation de l'expert-comptable est d'avoir une vision globale de l'entreprise, de dégager des enseignements utiles aux élus des CSE et au pilotage de l'entreprise.

Nous mettons à jour le guide de l'ordre des experts-comptables sur les missions réalisées à la demande des CSE 

 

Nous travaillons d'ailleurs en ce moment, au sein de la commission en charge des CSE du conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables, à la mise à jour du guide de travail des experts auprès des CSE, en intégrant ces prérogatives environnementales. C'est d'autant plus utile que beaucoup d'entreprises nous paraissent assez peu équipées pour produire des données chiffrées sur l'environnement, à même de piloter et suivre leurs actions en la matière. Si l'on veut avancer, il va falloir marier des données qualitatives et quantitatives. Certaines sociétés commencent à s'y intéresser activement, soit parce que leurs clients ont des process d'achat intégrant des critères environnementaux, soit parce que leurs produits peuvent être discriminés positivement ou négativement par le client final pour un motif environnemental. Un vrai travail d'information, de formation et d'explication est à faire sur ces sujets. 

Comment les élus de CSE vont-ils pouvoir "contrôler" la qualité des données environnementales de l'entreprise ?

C'est une vraie question : les données sont-elles pertinentes et vérifiables ou s'agit-il avant tout d'opérations de communication ? Le CSE peut utilement faire appel à un expert pour étudier ces données, l'expert pouvant aussi aider le comité à élaborer des pistes d'action possibles que l'entreprise pourrait mettre en œuvre. L'expert peut former les élus à ces questions. Le conseil de l'ordre des experts-omptables comprend une commission des normes extra-financières (ex-développement durable) qui a produit des documents de référence sur le sujet, et a aussi travaillé à la diffusion d'outils pertinents comme, par exemple, le bilan carbone qu'a conçu l'Ademe. 

Pensez-vous que les CSE auront le temps de s'occuper de ces questions ?

Les CSE s'en préoccupent déjà dès lors que ces questions touchent déjà le modèle économique et social de l'entreprise. Les autres CSE qui sont sensibilisés à ces questions commencent à envisager les conséquences pour l'activité de leur entreprise sur le long terme, et il ne s'agit pas seulement, comme on aurait tendance à le penser, des jeunes générations d'élus du personnel.

La nouvelle loi légitime le dialogue social sur le climat, et pousse les acteurs à agir 

 

L'avantage que je vois à ce que la loi ait confié ces prérogatives aux CSE, c'est que cela légitime encore davantage le dialogue social sur le climat, et que cela va pousser les acteurs de l'entreprise, dirigeants, DRH comme élus, à en parler, et à se poser les bonnes questions : comment je m'y prends pour organiser la consultation, autour de quelles données, etc. C'est un élément susceptible de stimuler les réflexions sur ce sujet. Dans le nouveau cadre légal, l'expert-comptable a un rôle à jouer pour sensibiliser les différents acteurs à prendre conscience de ces enjeux, pour les faire passer d'une impression diffuse à un diagnostic précis sur le sujet, puis à un plan d'action.

L'environnement sera-t-il un nouveau marché important pour les experts des CSE ?

A mon sens, ce n'est pas un nouveau marché, mais plutôt l'évolution d'un marché existant. Un peu à la façon dont nous avons eu, pendant toute une période, une évolution de nos missions liées au développement du numérique dans les entreprises : est-ce que l'entreprise anticipe les évolutions du numérique pour le futur de son activité et de ses emplois ? Nous retrouvons ici ce type de questions sur la problématique du climat et de l'impact sur l'environnement. Encore une fois, l'expert a un rôle à jouer pour que ce sujet devienne un sujet d'intérêt commun au coeur du dialogue social.

Bernard Domergue

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