Evaluation du risque de la fraction nanométrique de l’additif alimentaire E171

13.01.2023

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) fait une application de sa méthodologie d’évaluation du risque à l’une des substances nanométriques les plus documentées utilisées en alimentation, le dioxyde de titane.

Les nanotechnologies et les nano-produits ne relèvent pas de la science-fiction : ils sont déjà présents dans notre quotidien mais nous n’en avons pas conscience. Leurs potentiels effets néfastes peuvent toutefois déjà être anticipés grâce au principe de précaution et aux évolutions réglementaires qu’il justifie. Le dioxyde de titane (TiO2) a ainsi été utilisé sous forme de poudre colorante comme additif alimentaire (sous le code E171), y compris dans des produits dont les enfants sont friands, comme les biscuits ou les confiseries, alors qu’il présente des caractéristiques préoccupantes. Sa mise sur le marché est désormais interdite dans l’Union européenne. La France a joué un rôle moteur dans cette évolution réglementaire. Par un arrêté du 17 avril 2019, pris en application de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 et applicable à compter de janvier 2020, la mise sur le marché des denrées contenant l’additif E171 a été suspendue pour un an. Cette suspension a été reconduite chaque année depuis, encore dernièrement avec un arrêté du 23 décembre 2022. Cette décision a constitué un signal fort qui a conduit le Parlement européen puis la Commission européenne à se positionner, ce qui a abouti à l’adoption du règlement n° 2022/63 de la Commission du 14 janvier 2022 retirant le TiO2 de la liste des additifs alimentaires autorisés dans l’Union depuis le 7 août 2022. Les textes nationaux complètent cette mesure en évitant l’écoulement des stocks déjà constitués.

Reconnaissance du potentiel risque sanitaire du dioxyde de titane en tant qu’additif alimentaire

Ce renversement de situation a été initié par des associations françaises, qui ont alerté les pouvoirs publics sur l’insuffisant respect des obligations réglementaires en matière d’étiquetage des nano-ingrédients dans l’alimentation, mais a surtout été rendu possible par les études scientifiques et les conclusions d’expertise, et d’abord par les études menées par l’INRA et par les conclusions rendues par l’ANSES. Contrairement à l’agence européenne (EFSA) qui considérait encore en 2020 que les données disponibles ne justifiaient pas de revoir ses conclusions en matière de sécurité, l’Agence française (ANSES) a reconnu dès avril 2019 l’étendue des incertitudes et le potentiel risque sanitaire que représentait l’usage de ce nano-additif, ce qu’elle a confirmé dans un rapport de mai 2020. Un an plus tard, en mai 2021, l’EFSA a finalement rendu un avis estimant que l’emploi du dioxyde de titane ne pouvait plus être considéré comme sûr en tant qu’additif alimentaire, notamment parce que des effets génotoxiques ne peuvent être exclus.

Les industriels de l’agro-alimentaire ont dû s’adapter, mais cette interdiction a suscité une intense opposition, principalement du fait des producteur de TiO2, mais aussi des industries pharmaceutiques et des cosmétiques. L’E171 reste, en effet, pour le moment autorisé dans les médicaments, mais aussi dans les produits cosmétiques ou d’hygiène. Pour ces derniers, une obligation d’étiquetage [nano] est applicable, mais cette mesure de protection, très mal respectée, peut paraître insuffisante. Une possible extension de l’interdiction est dès lors âprement débattue. C’est dans ce contexte qu’a été publié un nouvel avis de l’ANSES relatif à l’évaluation du risque de la fraction nanométrique de l’additif alimentaire E171.

Evaluation du risque pour les consommateurs

En 2021, l’ANSES a élaboré un guide méthodologique pour l’évaluation du risque de la fraction nanométrique des nanomatériaux manufacturés utilisés en tant qu’additifs alimentaires. L’avis adopté le 27 octobre 2022 actualise les connaissances pour vérifier la pertinence de ce guide, mais vise aussi à évaluer le risque pour les consommateurs, du fait d’une exposition antérieure à l’été 2022 ou du fait d’un usage persistant malgré le retrait du marché.

Concernant les caractéristiques de l’additif E171, l’avis relève qu’il présente une grande variabilité de distribution en taille des particules, pouvant aller de quelques dizaines à plusieurs centaines de nanomètres sous une forme dispersée, agrégée ou agglomérée, et que les données disponibles convergent vers une faible solubilité tout au long du trajet gastro-intestinal, ce qui implique que les nanoparticules ne sont pas dissoutes et peuvent s’accumuler dans des organes. La nécessité d’appliquer une méthodologie spécifique d’évaluation du risque est donc confirmée.

Concernant l’exposition des consommateurs, l’avis note que l’E171 est encore présent dans des produits dont il devrait être absent. L’avis recense ainsi huit catégories alimentaires pour lesquelles des produits contiennent du TiO2 alors que l’usage du E171 n’est pas autorisé. De manière générale, les plus fortes concentrations en E171 concernent les confiseries, les succédanés de produits laitiers, les produits de boulangerie fine, les sauces et les compléments alimentaires. Les enfants de 1 à 9 ans constituent la catégorie la plus exposée de la population. Les boissons aromatisées sucrées, les produits de boulangerie fine et les desserts font systématiquement partis des 5 premiers « contributeurs » à l’exposition au risque quelle que soit la classe d’âge, mais les boissons aromatisées sucrées sont au premier rang pour les enfants et les adolescents.

Concernant, enfin, le danger que peut représenter le nanoTiO2, l’ANSES souligne la nécessité d’une approche distinguant les différentes tailles de nanoparticules, mais insiste aussi sur le besoin d’études avec des temps d’exposition assez longs, afin d’évaluer les conséquences de l’accumulation des nanoparticules dans les organes. Or, certaines données manquent. Ainsi, aucune étude de toxicocinétique utilisant du E171 pour un temps d’exposition supérieur à 90 jours, ni d’étude de toxicité orale à doses répétées pendant 90 jours, n’a été identifiée. En revanche, des études montrent des niveaux de titane élevés dans le foie, la rate et les poumons de rats exposés ; d’autres études montrent des atteintes histologiques au niveau intestinal.

Juste application du principe de précaution

Malgré la prudence des rédacteurs de l’avis, pour tenir compte notamment des limites méthodologiques des études (ce qui conduit par exemple à ne pas prendre position sur le potentiel génotoxique du TiO2, sans exclure un tel risque), et malgré l’étendue des incertitude persistantes, l’impression générale est que le principe de précaution a ici été appliqué à bon escient. Pour progresser dans la connaissance des risques, un effort est encore nécessaire. Toutefois, la question du rapport bénéfice/risque mérite également d’être posée : pourquoi investir tant d’efforts pour maintenir ou rétablir sur le marché ces nano-ingrédients ? Les services qu’ils peuvent rendre sont-ils à la hauteur ?

Sonia Desmoulin, chargée de recherche CNRS, université de Nantes, Droit et Changement Social, associée à l'UMR Institut des Sciences Juridique et Philosophique de la Sorbonne

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