Filière automobile : 50 millions pour reconvertir les salariés des fonderies

Filière automobile : 50 millions pour reconvertir les salariés des fonderies

26.04.2021

L'Etat a annoncé hier de nouvelles aides à la filière automobile. Le gouvernement juge inévitable une restructuration des fonderies sous-traitantes de l'automobile en France et entend financer la reconversion des salariés. "Une prise de conscience par l'Etat de l'urgence à agir", réagit, pour la CFE-CGC, Eric Vidal. "Ils nous préparent une grande casse sociale", dénonce Maël Le Goff, secrétaire du syndicat CGT de la fonderie de Bretagne.

Le constat inquiète de longue date les représentants du personnel des constructeurs automobiles et de leurs équipementiers, pourtant habitués à devoir batailler et négocier des accords pour maintenir emplois et investissements dans l'hexagone en échange de concessions salariales. La France, qui produisait 3,3 millions de véhicules sur son territoire en 2000, n'en a fabriqué que 1,3 million en 2020 (contre 2,2 millions en Espagne, par exemple), une évolution à laquelle s'ajoutent en ce moment des difficultés d'approvisionnement de certains composants qui perturbent les usines (lire notre article sur le site de PSA à Rennes). "La France a massivement délocalisé son industrie automobile ces 20 dernières années. La transition vers l'énergie électrique peut être une opportunité pour relocaliser", a lancé hier le ministre de l'Economie, à l'issue d'un comité stratégique de la filière automobile tenu avec les partenaires sociaux, comité qui a vu la signature d'un avenant au contrat de la filière du comité stratégique de filière (CSF) automobile (1).

Cette vision paraît toutefois très optimiste, tant cette mutation technologique représente, selon de nombreux experts et acteurs du secteur (lire notre article et notre encadré en fin d'article), un nouveau risque de perte d'emplois. Covid-19 ou pas, la filière auto a encore accéléré l'an dernier ses restructurations pour préparer la fin du moteur thermique tout en gagnant en compétitivité en concentrant ses outils de production.

De nouveaux soutiens de la part de l'Etat

Pour tenter d'inverser la tendance, Bruno Le Maire a annoncé un renforcement des aides de l'Etat en vue de cette transition de l'énergie. En sus des baisses d'impôt de production prévues par le plan de relance qui succèdent aux aides déjà consenties dans le passé avec le coûteux crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), le gouvernement promet :

  • d'ajuster les dispositifs de bonus et de prime à la conversion afin de stimuler le passage à l'électrique des véhicules utilitaires légers (VUL) et des véhicules industriels; 
  • de porter de 156 à 192 le nombre d'aires de services autoroutiers équipés de bornes de recharge à la fin 2021, soit une enveloppe de 100 millions d'euros dans le cadre du plan de relance; 
  • de soutenir les "grands projets structurants" à l'horizon 2030 présentés par la filière (150 millions déjà investis dans 25 projets en 2020 dont 120 millions pour les composants des véhicules électriques, et 150 millions envisagés dans 17 nouveaux projets en 2021, sans compter les 680 millions d'euros sur 3 ans "portés au projet de "l’usine de batteries de nouvelle génération de Douvrin portée conjointement par Stellantis (PSA) et Total/Saft".

​Par ailleurs, la filière doit mettre en place un groupe de travail "pour accompagner la conversion et la montée en gamme des services de l’automobile pour prendre en compte la diffusion de l’innovation technique et la digitalisation des services, l’anticipation des impacts économiques et sociaux liés à la transition écologique ainsi que la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences". Cela va de pair avec la révision de "la feuille de route RH de la filière d’ici fin septembre 2021 pour intégrer les conclusions de la dernière étude prospective sur l’emploi et les compétences et ajuster des dispositifs d’accompagnement et de formation des salariés".

Le dossier des fonderies

A propos des 355 entreprises de fonderies en France, qui représentent 15 000 emplois liés à l'automobile, le gouvernement juge leur situation "préoccupante". Bruno Le Maire estime qu'il faut "consolider" ces acteurs. Autrement dit, une restructuration de cette filière est jugée incontournable par le gouvernement qui met de l'argent sur la table "pour renforcer les fonds propres des sous-traitants automobiles dans leurs projets de consolidation", tout en invitant les collectivités territoriales à faire de même afin de soutenir des projets de diversification.

Des formations adaptées aux salariés exposés aux pertes d'emplois 

 

L'Etat promet également d'accompagner la reconversion des salariés par le biais d'un nouveau fonds doté de 50 millions d'euros, 30 millions venant de l'Etat et 20 millions provenant des constructeurs. "L’étude prospective de l’observatoire de la métallurgie sur les emplois et compétences de la filière automobile (Ndlr : lire notre encadré) sera prolongée par une analyse des écarts de compétences à combler entre les métiers en déclin et les nouveaux métiers, afin de proposer des formations adaptées aux salariés exposés à la perte d’emploi.  Une déclinaison territoriale de l’étude menée dans le cadre de l’Edec Auto (engagement de développement des emplois et des compétences) sur les emplois dans la fonderie sera engagée pour identifier les emplois menacés et les emplois à pourvoir dans les bassins d’emplois les plus directement concernés par les acteurs de la fonderie les plus fragilisés", indique Bercy. "Cela aidera les salariés à avoir des formations longues pour réussir leur reconversion (...) Il faut anticiper les changements majeurs de cette filière", a expliqué Elisabeth Borne. La ministre du Travail, qui a rappelé que le congé de reclassement a été porté à 24 mois et qu'un effort de sécurisation des emplois est en cours via le dispositif "transco", a indiqué que les modalités de ce nouveau fonds seront connues "dans les prochaines semaines". 

Réactions des représentants du personnel

En attendant la concrétisation d'annonces gouvernementales qui semblent coller aux souhaits des constructeurs et dénoter un début de prise de conscience des dégâts sociaux que peut engendrer les mutations économiques et technologiques, les élus du personnel des fonderies se montrent sans illusion, à l'image de Maël Le Goff, secrétaire du syndicat CGT Fonderie de Bretagne (à Caudan, près de Lorient).

Ce n'est pas un plan de sauvegarde mais un plan de restructuration 

 

Il faut dire que Renault a déjà dit vouloir vendre cette entreprise de 385 salariés : "Comment je réagis ? Le gouvernement prépare une grande casse sociale, voilà tout. M. Le Maire parle de relocalisation mais on comprend vite en écoutant Mme Borne qu'il s'agit de reclasser et d'accompagner les salariés. Ce n'est pas un plan de sauvegarde des fonderies mais un plan de restructuration qui nous est annoncé". Le délégué syndical, qui nous précise que la recherche d'un repreneur pour le site de la fonderie de Bretagne sera officialisée le 10 mai lors d'un CSE extraordinaire, indique que la CGT, qui représente 77% des voix au second collège, réfléchit à la suite...

Nous ne voulons pas des millions pour payer des licenciements mais de l'argent pour relocaliser 

 

A la fonderie du Poitou (600 salariés à Ingrandes-sur-Vienne), Jean-Philippe Juin, DS CGT, a le même discours : "Nous ne voulons pas des millions pour payer des licenciements mais de l'argent pour relocaliser et réindustrialiser nos sites. Dire qu'on nous disait hier que la France pouvait se concentrer sur le haut de gamme et la technologie. Maintenant, les constructeurs produisent des voitures électriques à l'étranger". Le délégué de la fonderie, qui n'a pour donneur d'ordres que Renault, estime que le constructeur continue d'organiser la délocalisation : "Ici, nous fabriquons des culasses en aluminium mais aussi des carters en fonte. Et bien, les futures culasses de Renault ne seront plus fabriquées chez nous. Le transport en camion, ce sera écologique ça ? Nous, nous demandons une véritable politique industrielle".

Ça traduit l'impuissance du gouvernement 

 

Dans le Jura, à Saint-Claude, Nail Yalcin, délégué syndical de MBF Jura (fonderie de 260 salariés) et responsable national CGT pour les fonderies, d'où sa participation au comité de la filière hier, pointe également la responsabilité de leur donneur d'ordres : "Depuis un an, les deux tiers de nos volumes ont été délocalisés en Espagne par Renault". Et le délégué d'ajouter : "Ces annonces traduisent surtout l'impuissance du gouvernement face aux constructeurs. Ce que réclament les salariés, ce sont des engagements des donneurs d'ordres pour donner des volumes aux sous-traitants !"

Nous pourrions perdre un tiers des effectifs 

 

Florent Grimaldi, secrétaire du syndicat CGT du centre d'ingénierie Renault de Lardy, dans l'Essonne, est tout aussi inquiet. "Nous sommes 1 900 salariés à Lardy mais nous pourrions perdre un tiers de nos effectifs car Renault mène un plan de départs de 4 600 emplois. La direction nous dit qu'il ne faut pas s'inquiéter, qu'il faut regarder les investissements et l'innovation dans l'électrique, mais les faits sont là, et la production de véhicules va cesser à Flins", nous dit le syndicaliste. Pour Florent Grimaldi, ce ne sont pas 50 millions d'euros qui vont sauver les fonderies du Poitou, de Bretagne, MBF Jura ou SAM à Decazeville (Aveyron), alors même que certaines produisent des pièces qui resteront indispensables pour des véhicules électriques. C'est une logique de concentration et de délocalisation des activités qui est en jeu chez les donneurs d'ordre que sont Renault et PSA, assure-t-il.

Cette inquiétude se retrouve en effet sur certains sites de PSA comme celui de Douvrin, dont les élus se sont vus annoncer en CSE en février dernier la délocalisation de la production de certains moteurs (EP génération 3) vers l’usine d’Opel de Szentgottard en Hongrie. Pour la CFDT, c'est "la fin programmée du site de Douvrin à court terme".

Un signe que l'Etat a pris conscience du défi industriel

Eric Vidal, qui représente la CFE-CGC au comité stratégique, expose pour sa part une analyse différente. Obliger les donneurs d'ordre à passer des commandes ? "Pas si simple", répond-il. La filière est confrontée aux défis posés par une transition vers les moteurs hybrides et électriques imposée de façon plus rapide que prévu par les politiques, alors même qu'elle a déjà vu ses ventes diesel baisser de 70% à 25% en 6 ans, ce qui impacte directement certaines fonderies. D'autre part, l'automobile, "un milieu très compétitif", a vu la Covid provoquer une baisse de 20% du marché l'an dernier, et est aujourd'hui confrontée à une pénurie de semi-conducteurs. "Tout cela combine une situation inédite", argumente Eric Vidal qui veut croire que l'Etat a enfin pris conscience de l'urgence de l'enjeu industriel des problèmes à traiter. "Une mutualisation de l'innovation et des centres de recherche est à inventer pour imaginer un futur pour la fonderie française", insiste-t-il. "Il faut sauver des gens, faire de la formation, assurer les reconversions, tout en sachant qu'on a des atouts en main", conclut Eric Vidal. 
 

(1) Rappelons que l'Etat, qui est actionnaire de Renault, a accompagné l'externalisation croissante du groupe vers des pays "low cost", Renault ayant devancé en la matière PSA.

 

La construction automobile pourrait perdre entre 25 000 et 32 000 emplois d'ici 2025  

Dans la construction automobile, 76 500 emplois ont été perdus dans la décennie 2010, soit une diminution de plus de 28% entre 2008 et 2019, selon une étude de l'observatoire de la métallurgie publiée le 20 avril dernier (1). Comme on le voit sur le schéma ci-dessous, la Bretagne (-44%), Centre‑Val de Loire (-35%), Grand Est (-33%) et Nouvelle-Aquitaine (-33%) sont les régions les plus touchées par ces pertes d’emplois, tandis que Pays de la Loire (-8%) et Auvergne-Rhône-Alpes (-20%) résistent un peu mieux. Pas moins de 150 zones d’emploi, comptant au moins 200 salariés, ont perdu au moins 10 emplois. Quant à 2020, l'année Covid aurait vu 13 000 nouvelles suppressions d'emplois.

 

Et demain ? L'étude dresse deux scénarios. Le premier consiste à prolonger la tendance en cours, "sans correction profonde de ces handicaps" : ce scénario aboutirait à la disparition de 32 000 emplois entre 2020 et 2025, ce qui pourrait conduire à faire que la France, avec seulement 90 000 emplois au coeur de la filière automobile, quitte le rang des grandes nations en la matière. Le second scénario, qui mise "sur une stratégie ambitieuse de mobilisation et de reconquête" pour "relocaliser des volumes de production dans le territoire national et accroître le flux d’investissements productifs dans la filière vers la France", réduirait ces pertes d'emplois à 25 000 postes entre 2020 et 2025 avant d'amorcer des recréations d'emplois mais non chiffrés. 

Quoi qu'il en soit, le document a aussi le mérite de dresser une cartographie de l'évolution des métiers et des compétences et donc de dresser des passerelles possibles pour l'évolution des qualifications, comme on le voit ci-dessous : 

 

 

(1) Les impacts des mutations de la construction automobile sur l'emploi et les compétences, avril 2021, voir la synthèse du document.

Bernard Domergue

Nos engagements