Inaction et qualité de l'air : une condamnation de l'Etat français

16.07.2020

Le Conseil d'Etat a prononcé une astreinte contre l'Etat pour solliciter l'adoption de mesures rapides visant à réduire la pollution d'air. Il s'agit de l'astreinte la plus importante jamais prononcée contre l'Etat.

La décision rendue par le Conseil d'Etat le 10 juillet 2020 est le fruit d’une procédure entamée en 2015 par l’association Les amis de la Terre – France, demandant au Président de la République, au Premier ministre et aux ministres chargés de l’environnement et de la santé, de mettre en œuvre toutes mesures utiles permettant de ramener, sur l’ensemble du territoire national, les concentrations en particules fines et en dioxyde d’azote dans les valeurs limites prévues par la directive 2008/50/CE, transposée dans le code de l'environnement.

Plus précisément, les articles 13 et 23 de la Directive 2008/50/CE, transposés en droit interne aux articles 221-1 et suivants du code de l'environnement, ont introduit plusieurs obligations pour les Etats membres, lesquels sont donc tenus :

  • de veiller à ce que les niveaux de particules fines PM10 dans l’air ambiant ne dépassent pas 40μg/m3 en moyenne par année civile et 50μg/m3 par jour plus de 35 fois par année civile ;
  • de s’assurer que les niveaux de dioxyde d’azote ne dépassent pas 40μg/m3 en moyenne par année civile ;
  • en cas de dépassement des valeurs susmentionnées, d’établir des plans relatifs à la qualité d’air prévoyant des mesures appropriées pour que la période de dépassement soit la plus courte possible et contenant, au moins, les informations énumérées à l’annexe XV de la directive.
Face au silence du gouvernement, l’association a saisi le Conseil d’Etat de ses revendications. 
Dans un premier temps, par une décision du 12 juillet 2017, la Haute juridiction avait, d’une part, annulé les décisions implicites de refus du Gouvernement de prendre les mesures sollicitées et, d’autre part, enjoint au Premier ministre et au ministre chargé de l’environnement de prendre toutes mesures nécessaires pour la mise en place d’un plan améliorant la qualité d’air dans toutes les zones encore concernées (ZUR Rhône-Alpes, Paris Île-de-France, Saint Etienne Rhône-Alpes, Grenoble Rhône-Alpes, Lyon Rhône-Alpes, Strasbourg Alsace, Montpellier Languedoc-Roussillon, ZUR Champagne-Ardenne et Toulouse Midi-Pyrénées). La requérante a toutefois estimé que ces mesures n’étaient toujours pas mises en place en 2018. En conséquence, elle a, avec plusieurs autres associations de défense de l’environnement, demandé au Conseil d’Etat de constater l’inertie de l’Etat et de prononcer, par conséquent, une astreinte à l’encontre de ce dernier. 
La 6e chambre de la section du contentieux du Conseil d’Etat a fait droit à la requête, en constatant plusieurs défaillances de la part du Gouvernement :
  • Premièrement, la qualité d’air était insatisfaisante dans plusieurs zones administratives de surveillance concernées par l'injonction du 12 juillet 2017. En effet, la concentration en dioxyde d’azote était excessivement élevée dans dix zones sur douze et, celle en particules fines PM10 dépassait le seuil indiqué dans trois zones (soit par rapport à la moyenne annuelle soit par rapport à la moyenne journalière).
  • Deuxièmement, les actions mises en place par le Gouvernement sont insuffisantes puisqu’elles ne comportent aucune estimation de l'amélioration de la qualité d’air, ni aucune indication précise relative aux délais prévus pour la réalisation des objectifs.
  • Troisièmement, seuls les plans de protection de l'atmosphère de la Vallée de l’Arve et de l’Ile-de-France ont été révisés – étant précisé que le plan relatif à l’Ile-de-France se borne à retenir l’année 2025 comme date pour revenir en dessous des valeurs limites, ne respectant pas l’exigence d’une période de dépassement devant être la plus courte possible.
Ainsi, le Conseil d’Etat juge que "les différents éléments produits au cours de la procédure juridictionnelle ne permettent pas d'établir que les effets cumulés des différentes mesures adoptées à la suite de la décision du 12 juillet 2017 permettront de ramener les niveaux de concentration en ces deux polluants en deçà des valeurs limites dans le délai le plus court possible” et que “l’Etat ne peut être regardé comme ayant pris des mesures suffisantes propres à assurer l’exécution complète de cette décision".
Par conséquent, "eu égard au délai écoulé depuis l’intervention de la décision dont l’exécution est demandée, à l’importance qui s’attache au respect effectif des exigences découlant du droit de l’Union européenne, à la gravité des conséquence de défaut partiel d’exécution en termes de santé publique et à l’urgence particulière qui en découle", la Haute juridiction a prononcé contre l’État une astreinte de 10 millions d’euros par semestre de retard.
Ce montant est susceptible d’être à chaque échéance semestrielle.
Emmanuel Daoud, Avocat au Barreau de Paris, associé du cabinet Vigo, membre du réseau international d’avocats GESICA Hugo PARTOUCHE, Avocat au barreau de Paris, collaborateur du cabinet Vigo, membre du réseau international d’avocats GESICA, Martina BIONDO

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