L'acceptation de cadeaux importants de la part d'un salarié peut justifier son licenciement pour faute grave

17.06.2020

Il appartient à tout salarié, s'interrogeant sur la valeur raisonnable d'un cadeau, de questionner en premier lieu son responsable hiérarchique, ainsi que doit le prévoir le Code de conduite de l'entreprise.

Faits et procédure
La mise à jour de commandes répétées de cadeaux
Le 4 novembre 2015, un contrôleur financier d'une société se renseigne auprès de l’un des fournisseurs de ladite société, sur les modalités d’obtention d’un nouveau GPS pour les déplacements professionnels d’un salarié. Le fournisseur lui indique alors qu’il n’est pas possible de bénéficier d’un tel cadeau, puisque l’assistante achats de la société (dont le contrôleur financier est par ailleurs le supérieur hiérarchique) a déjà commandé les lots correspondant à une commande d’objets. Le contrôleur financier bloque l’envoi des deux tablettes, d’une valeur de 798 euros, au domicile de la salariée en question et informe la société des faits. Le 5 novembre 2015, l'assistante achats est convoquée à un entretien préalable en vue d’une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’à un licenciement. Le 7 décembre 2015, la salariée se voit notifier un licenciement pour faute grave par LRAR. Son contrat de travail prend fin le 9 décembre suivant, sans préavis ni indemnité de licenciement. Le 7 juin 2016, elle saisit le conseil de prud’hommes afin de faire déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir des indemnités de rupture.
Le jugement de première instance : l’absence de faute grave et de cause réelle et sérieuse de licenciement
Par jugement en date du 31 mai 2018, le conseil de prud’hommes considère que le licenciement ne repose ni sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse. La sociét est condamnée à payer des indemnités de préavis, des congés payés y afférents, une indemnité légale de licenciement, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des dépens.
La société interjette appel de cette décision le 22 juin 2018.
L’acceptation de cadeaux de la part du fournisseur en violation d’une politique d’éthique interne
L’existence d’une politique d’éthique au sein du groupe
La lettre de licenciement mentionnait l’existence de manquements graves commis par l’assistante achats. La société lui reprochait d’avoir commandé et accepté des cadeaux de la part de l’un des fournisseurs, et d’avoir expressément demandé à ce que lesdits cadeaux soient livrés à son domicile et ce, en violation des règles internes applicables au sein de la société et du groupe, lesquelles sont nombreuses et se composent :
  • d’un Code de conduite professionnelle ;
  • d’une Politique de conduite en affaires ;
  • d’une Politique en matière de cadeaux et marques de courtoisie ;
  • d’une Politique relative aux lois anticorruption.
Enfin, la société considérait que la salariée avait délibérément dissimulé les faits à sa hiérarchie, en demandant expressément au fournisseur de livrer les commandes à son domicile personnel, et non à l’adresse de la société comme cela est en principe le cas.
Le non-respect des critères d’acceptation des cadeaux
Or, la politique de conduite des affaires du groupe prévoit, notamment, que les marques de courtoisie et cadeaux peuvent être offerts ou donnés aux frais de la société, ou acceptés par les administrateurs, dirigeants et employés dans le cadre des activités de la société, sous réserve de respecter plusieurs critères, à savoir :
  • être en accord avec les pratiques commerciales entendues, n’enfreindre aucune législation et ne contredire aucune norme déontologique en vigueur ;
  • être en accord avec la politique relative aux lois anticorruption de la société et avoir été autorisés conformément aux procédures applicables ;
  • être de valeur raisonnable ;
  • ne pas avoir pour objet de servir, ou ne pas pouvoir être considérés comme pot de vin, compensation ou incitation indue ;
  • ne pas mettre la société dans l’embarras en cas de divulgation publique.
Dans le cas présent, ces critères n’étaient pas remplis, notamment puisque les cadeaux n’étaient pas de valeur raisonnable, que leur acceptation - tout comme leur livraison au domicile personnel de la salariée - n’avaient fait l’objet d’aucune autorisation préalable, et que la hiérarchie n’en avait même pas été informée.
Remarque : la société met en avant le caractère répété des manquements et souligne qu’il ne s’agit pas de faits isolés, puisque la salariée avait déjà commandé et reçu à son domicile personnel un cadeau de ce même fournisseur en mai 2014 (une tablette d’une valeur de 159 euros).
L’argument de la salariée d’une "pratique courante en France"
De son côté, la salariée faisaitvaloir qu’elle avait accepté un cadeau de la part du fournisseur dans le cadre de pratiques commerciales, mais qu’elle n’avait jamais commandé ce cadeau, qui lui avait été proposé. Elle avançait également qu’il s’agit d’une pratique courante dans les entreprises en France et qu’aucune réglementation ne prévoit que les salariés doivent refuser un cadeau. Enfin, elle considérait qu'il n'y avait ni corruption, ni soudoiement.
La violation des exigences d’intégrité de la société en connaissance de cause : une faute grave
Le principe d’exécution de bonne foi du contrat de travail
La cour rappelle que la faute grave "est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié constituant une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, dont il appartient à l’employeur de rapporter la preuve". Elle souligne également que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi (C. trav. , art. L. 1222-1).
Le critère de  "valeur raisonnable" prévu dans la réglementation interne en matière de cadeaux d’affaires
Aux termes de la lettre de licenciement, la salariée se voit reprocher d’avoir accepté à deux reprises des cadeaux de la part d’un fournisseur, et de les avoir fait livrer à son domicile personnel. La cour d’appel rappelle la réglementation interne de la société en matière de cadeaux d’affaires, et notamment le code de conduite professionnelle. En l’espèce, la salariée aurait dû s’interroger sur la "valeur raisonnable" du cadeau et questionner son responsable hiérarchique, comme le prévoit le code de conduite professionnelle.
Remarque : la responsable juridique en charge de dispenser les formations légales et conformité/éthique a en outre assuré avoir dispensé à la salariée en question de nombreuses formations concernant la politique d’éthique du groupe et les règles en vigueur en matière de cadeaux. Elle y rappelait notamment qu’il était interdit d’offrir ou d’accepter des cadeaux, que les cadeaux personnels étaient à proscrire, et enfin que seuls les présents de valeur raisonnable pouvaient être acceptés, soit d’une valeur d’environ 20 euros.
Enfin, le code de conduite professionnelle précisait également que l’acceptation des cadeaux ne devait pas "constituer une habitude" : or, la salariée a violé à deux reprises la règle applicable en matière de cadeaux.
L’acceptation des cadeaux en dépit de la connaissance des exigences d’intégrité en vigueur au sein de la société
Formations sur l’éthique, la déontologie ou la lutte anticorruption au sein de l’entreprise, diffusion des codes de conduite… alors que la société justifie de la participation de la salariée à de nombreuses formations sur l’éthique, ainsi que du rappel fréquent des exigences d’intégrité dans plusieurs documents internes diffusés aux salariés, l’employée, en demandant à ce que les produits soient livrés à son domicile, a sciemment dissimulé les cadeaux ; sa parfaite connaissance des exigences d’intégrité en vigueur au sein de l’entreprise lui faisait pourtant prendre conscience du caractère fautif de son acte.
Aussi, la cour a-t-elle retenu que la salariée avait :
  • potentiellement perturbé les règles encadrant le choix du fournisseur, au préjudice de son employeur dont l’image est ternie ;
  • privé la société de gratifications qu’elle entendait utiliser pour son compte ;
  • fait peser sur la société un risque de redressement eu égard à l’avantage en nature indument octroyé ;
  • manqué à son obligation de loyauté vis-à-vis de l’employeur.
La gravité de la faute commise était donc de nature à justifier qu’il soit mis fin immédiatement au contrat de travail de la salariée ; le licenciement pour faute grave était justifié.
La salariée est déboutée de sa demande de requalification de son licenciement et ses demandes indemnitaires par voie d’infirmation du jugement, et condamnée au paiement des dépens de première instance et d’appel. Enfin, elle est condamnée à verser à la société la somme de 800 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile en première instance et en appel.
Elise Le Berre

Nos engagements