L'augmentation des risques de corruption et LCB-FT en période de pandémie

03.06.2020

De nombreuses institutions et organisations spécialisées dans la lutte anti-corruption soulignent depuis le début de la pandémie du Covid-19 les risques accrus en matière de corruption posés par la crise sanitaire. Les acteurs économiques ont brusquement changé, voire stoppé, leurs activités commerciales pendant le confinement et mis en place des plans de gestion de crise.

Dans ces circonstances inhabituelles, la question de la capacité des entreprises à mettre en œuvre des dispositifs de lutte anti-corruption et anti-blanchiment ainsi que des mesures de lutte contre le financement du terrorisme en parallèle de l’effort de gestion de la crise sanitaire est centrale.
Cette crise a en effet obligé, et oblige toujours, les entreprises à geler des achats, engager des fournisseurs ou sous-traitants dans des secteurs d’activité ou zones géographiques nouvelles, renégocier certains contrats et réorganiser l’environnement de travail de ses salariés en privilégiant le travail à distance tout en structurant le retour au lieu de travail en intégrant les nouvelles problématiques de santé et d’hygiène. Ces changements ont été le plus souvent opérés dans l’urgence rendant ainsi vulnérables les entreprises aux risques de fraude et à des nouveaux modes opératoires tirant profit de la crise sanitaire.
Le réseau des autorités de prévention de la corruption, présidé par l’Agence Française anticorruption depuis janvier 2020, a publié un communiqué le 11 mai 2020 alertant sur les risques de corruption en période de pandémie et a donné quelques pistes de réflexion pour lutter efficacement contre ces nouvelles formes de corruption :
  • une transparence accrue concernant le stockage de données afin de "renforcer la confiance dans l'intégrité des décideurs et des institutions" ;
  • une simplification des procédures pour les marchés publics et privés ;
  • l’utilisation de portails en ligne sécurisés ;
  • renforcer l’accompagnement et la protection des lanceurs d’alerte.
Les mesures préconisées par l’AFA font largement écho aux lignes directrices publiées le 15 avril 2020 par le Groupe d’Etats contre la corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe à l’intention de ses 50 Etats membres pour prévenir la corruption dans le contexte de la situation d’urgence sanitaire causée par la pandémie du Covid-19. Le président du GRECO a par ailleurs fortement souligné qu’en raison des sommes significatives injectées dans l’économie pour atténuer la crise, la transparence dans le secteur public était primordiale.
Les lignes directrices du GRECO identifient sans surprise les secteurs de la santé et de la recherche et développement comme particulièrement sensibles et préconisent des contrôles renforcés en matière de conflits d’intérêts, d’activité de lobbying et d’engagement des tierces parties afin d’éviter tout risque de trafic d’influence et corruption.
Le Groupe d’Action Financière (GAFI) a lui aussi émis en mai 2020 un rapport d’analyse sur les défis, bonnes pratiques et réponses aux nouvelles menaces en matière de LCB-FT. Le GAFI estime que l’épidémie de Covid-19 a favorisé l’émergence des risques en matière de LCB-FT  et identifie les conséquences suivantes:
  • apparition de nouvelles méthodes de contournement des mesures de conformité ;
  • augmentation de l’utilisation frauduleuse de services financiers en ligne pour déplacer et dissimuler le produit des infractions ;
  • utilisation des politiques de relance et des procédures de liquidation à des fins de détournement et blanchiment de gains illicites ;
  • augmentation de l’utilisation du secteur financier non régulé ;  
  • détournements de fonds étatiques et internationaux d’aide à la relance ;
  • exploitation de la réduction de l’activité économique et industrielle dans les pays en développement en raison de la crise sanitaire par les personnes finançant le terrorisme.
Le GAFI insiste, à l’instar des autres organisations, sur la nécessité de surveillance du marché privé et public des appels d’offres et constate que les infractions suivantes ont déjà été perpétrées dans le contexte de la crise sanitaire et risquent d’augmenter:
  • usurpation d’identité d’agent public ;
  • contrefaçons ; 
  • collecte de fonds pour des œuvres caritatives trompeuses ;
  • escroqueries aux investissements.
La Commission européenne a également publié le 7 mai dernier un plan d’action, sur les douze prochains mois, pour une politique globale de l’Union Européenne en matière de prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. Ce plan a pour objectif de surveiller et coordonner l’application des règles UE en matière de LCB- FT.
Le plan d’action présenté repose sur les six piliers suivants :
  • application effective des règles de l'UE ;
  • mise en place d’un ensemble de règles européennes harmonisées et unique ;
  • un contrôle au niveau européen passant par la création d'une autorité européenne de surveillance au premier trimestre 2021 ;
  • amélioration de la coordination et du soutien pour les cellules de renseignement financier des États membres ;
  • application des dispositions de droit pénal et en matière d'échange d'informations arrêtées au niveau de l'UE ;
  • renforcement du rôle de l'UE à l'échelle mondiale en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
La Commission européenne entend également encourager l'Autorité bancaire européenne (ABE) à « faire pleinement usage de ses nouveaux pouvoirs pour combattre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. »
Les acteurs économiques doivent donc redoubler d’attention et maintenir leur efforts de perfectionnement de leurs politiques internes de lutte LCB-FT afin de ne pas pâtir d’une vague de dommages collatéraux liés au Covid-19.
Emmanuel Daoud, Avocat au Barreau de Paris, associé du cabinet Vigo, membre du réseau international d’avocats GESICA Marie Perrault, Avocate aux barreaux de Paris, New York, Angleterre et Pays de Galle, collaboratrice du cabinet Vigo, membre du réseau int

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